En Égypte, c’est « la restauration »
Peu d’entre vous le savent : les États-Unis ont tranquillement repris, il y a un mois, leur aide militaire de 1,3 milliard de dollars par an à l’Égypte.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 30 avril 2015 Lecture : 5 minutes.
Elle avait été "gelée" en 2013 pour punir le pays et son armée d’avoir renversé par la force un président élu, l’islamiste Mohamed Morsi. Et c’est dans la plus grande discrétion qu’elle vient d’être réinstaurée, comme si la démocratie américaine avait honte de ce geste de realpolitik. La presse, le New York Times en tête, a protesté mollement.
De son côté, la France a vendu à l’Égypte, en février, pour 5 milliards de dollars d’armes, principalement des avions Rafale, tandis que le Royaume-Uni et la Russie, parmi d’autres, s’engageaient à soutenir par leurs investissements l’économie du pays du maréchal Abdel Fattah al-Sissi.
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On ne peut que le constater : ce que les Égyptiens ont cru être une révolution a fait long feu ! Le président Moubarak a, certes, été renversé en février 2011. La place Tahrir s’est exprimée bruyamment avant et après sa chute ; des élections libres ont donné la présidence aux islamistes, mais ces derniers ont vite abusé du pouvoir au point de se faire rejeter par l’opinion…
L’armée est alors intervenue pour sonner "la fin de la récréation" : elle a soumis la candidature de son chef, le maréchal Sissi, au vote des Égyptiens, et ces derniers l’ont plébiscité le 28 mai 2014. S’étant débarrassée du vieux Moubarak usé jusqu’à la corde, l’armée a repris la place qu’elle occupait à la tête de l’État, avec un chef plus jeune et populaire. Une parenthèse de deux ans s’est ainsi refermée.
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Depuis qu’elle a pris le pouvoir en 1952, l’armée égyptienne a réprimé les islamistes, mais les a laissés exister. Avec Sissi, elle a décidé de les éradiquer et ne recule devant aucun moyen pour y parvenir. Et, comme nous pouvons le constater, les grandes démocraties, surmontant les scrupules et les doutes qu’elles ont pu avoir, ont pris acte de l’acceptation par la majorité des Égyptiens du pouvoir instauré par Sissi au nom de l’armée, dont il est le chef – et de la politique qu’il conduit.
La Turquie d’Erdogan exceptée, le monde entier a fini par s’incliner devant la détermination de Sissi et de ceux qui le soutiennent. L’Union africaine ? Sous l’influence du président Alpha Oumar Konaré, elle avait exploré la voie du compromis entre l’armée et les islamistes. Elle a dû y renoncer au bout de quelques mois, et l’armée égyptienne a désormais pleine latitude pour "éradiquer" les frères musulmans.
Hier asiatiques, aujourd’hui africains
Puisque j’en suis arrivé à évoquer l’Union africaine, il me faut déplorer… son absence. L’actualité africaine la plus brûlante est celle des boat people : ils étaient asiatiques il y a plus de trente ans, ils sont désormais africains. L’expression fut inventée en 1978. Cette année-là, ils furent des centaines de milliers à quitter par bateaux le Cambodge et le Vietnam, ravagés par deux guerres, la française puis l’américaine, et entièrement occupés par les communistes.
Des milliers périrent en mer, et des dizaines de leurs bateaux, surchargés d’hommes, de femmes et d’enfants, accostèrent en Malaisie, à Singapour et à Hong Kong (qui, après avoir tenté de les refouler, durent les accepter). Le G7, sommet des pays les plus riches du monde, qui se réunissait à Tokyo, dut modifier son ordre du jour pour se saisir précipitamment de ce problème dramatique. Un plan fut élaboré par le président Jimmy Carter, à la faveur duquel, en vingt ans, deux millions de boat people trouvèrent refuge et accueil dans divers pays : les États-Unis, le Canada, l’Australie, la France et même Israël se les étaient alors répartis.Il y a donc un précédent dont l’Union européenne et l’ONU devront s’inspirer pour s’attaquer à ce problème.
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L’Italie et l’Europe appellent la Méditerranée Mare nostrum ("notre mer") : c’est leur manière de s’accaparer une mer qui, en réalité, appartient à tous ses riverains. Mais cela leur impose de sauver et d’accueillir les Africains qui s’y jettent dans l’espoir hasardeux de quitter l’enfer pour le paradis. Cette année, plus d’un millier d’entre eux ont déjà été engloutis par les flots.
"La Méditerranée est une mer, pas un cimetière !" s’est exclamé Matteo Renzi, président du Conseil italien. Il a mille fois raison. Si la Méditerranée est "leur mer", ceux qui tentent de la franchir au risque de leur vie sont africains : ce sont donc nos enfants, et il est incompréhensible de constater que l’Union africaine donne l’impression, par son silence, que ce problème n’est pas aussi le sien.
Est-ce parce que la présidente de sa commission, Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, et son président en exercice, Robert Mugabe, se trouvent être tous les deux originaires d’Afrique australe qu’ils sont si peu sensibles à ce qui concerne d’abord le Centre, l’Ouest et le Nord du continent ? Je ne puis le croire.
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Les boat people africains n’embarquent ni d’Égypte, ni de Tunisie, ni d’Algérie, ni du Maroc. C’est de Libye qu’ils partent tous ; ils payent des passeurs, ces "esclavagistes modernes" qui les entassent sur des rafiots de fortune et les envoient à une mort probable en leur faisant miroiter les lumières de l’Europe. La Libye ? Depuis que la France, le Royaume-Uni et les États-Unis l’ont "libérée" de Mouammar Kadhafi, ce pays, qui n’était pas une nation, s’est disloqué ; il n’a plus d’État : c’est une Somalie au centre de la Méditerranée, bourrée d’armes et qui constitue une grave menace pour tous ses voisins.
La France, le Royaume-Uni et les États-Unis ont débarrassé les Libyens de leur dictateur, en application d’une résolution de l’ONU qu’ils ont interprétée à leur guise. Il en faut une autre pour aider ce malheureux pays à se stabiliser et à protéger ses voisins de ses débordements. Il est donc urgent d’en susciter une nouvelle : les voisins africains de la Libye et ses vis-à-vis européens ont pour intérêt commun d’édifier un État pacifique et stable sur les décombres de la dictature de Kadhafi, qu’il fallait éliminer.
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Le futur État libyen sera probablement fédéral et devra très certainement être assisté pendant de très longues années. Raison de plus pour le concevoir, l’élaborer et le mettre en place sans plus attendre : s’il n’est pas d’abord contenu puis résorbé, l’actuel désordre libyen ne pourra que faire tache d’huile.
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