Égypte : rassemblement anti-voile place Tahrir, les femmes s’expriment
L’écrivain et journaliste égyptien Cherif Choubachy a appelé, le 6 avril, sur sa page Facebook, les femmes égyptiennes à retirer leur voile sur la place Tahrir le 1er mai. Un appel qui fait polémique.
Cherif Choubachy n’en est pas à son premier coup d’éclat. Ancien présentateur du journal télévisé égyptien en langue française, il s’était attiré les foudres des islamistes lors de la parution de son livre Le Sabre et la Virgule, en 2005, dans lequel il défendait une réforme de l’arabe classique. Nommé ministre de la Culture en 2002, il avait fini par démissionner face aux protestations et aux pressions islamistes. Aujourd’hui, il jette à nouveau un pavé dans la mare.
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Un geste politique fort
L’initiative est simple : toutes les femmes égyptiennes voilées sont appelées à retirer leur voile sur la place Tahrir au cours de la première semaine du mois de mai. Dans son appel publié le 6 avril sur son compte Facebook, Cherif Choubachy promet : "Je serai le premier des hommes à les défendre". Aussitôt publié, le message provoque un tollé en Égypte, où, depuis, islamistes et nationalistes, laïcs et religieux, conservateurs et progressistes, s’affrontent.
Malgré les menaces, le journaliste persiste à défendre une certaine idée de la femme égyptienne en se référant explicitement à Houda Sharawi. La figure de proue du féminisme musulman, avait été la première femme d’Égypte à se dévoiler au retour d’un voyage en Europe en 1923. La majorité des Égyptiennes l’avaient alors imitée et avaient abandonné le voile.
Cent ans après cette initiative, le projet de rassemblement anti-voile véhicule un message politique fort. Reproduire le geste de la première féministe du monde arabo-musulman reviendrait, selon Choubachy, à refuser symboliquement l’obscurantisme et son interprétation patriarcale du Coran, pour renouer avec l’identité laïque égyptienne.
"Briser les tabous religieux et sociaux"
En Égypte où l’extrême majorité des femmes sont voilées, un tel rassemblement a de quoi surprendre. D’ailleurs, les Égyptiennes n’ont pas tardé à dénoncer une initiative qu’elles qualifient pour beaucoup de "provocation" et revendiquent leur droit de porter ou non ce voile sans que personne, ni les religieux, ni les laïques, ne viennent interférer dans leur décision. C’est le cas de Dalia Ziada, écrivain voilée, qui s’oppose au rassemblement : "Ces personnes, qui appellent aujourd’hui, les femmes voilées à retirer leur voile, ne sont pas différents de ceux qui l’ont imposé au départ." Et de poursuivre : "Tous violent les droits des femmes et s’ingèrent dans le plus basic de ses droits : son apparence."
Je n’enlèverai pas mon voile (…) mais je soutiens les jeunes femmes qui, veulent l’enlever.
Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité parmi les Égyptiennes. Basma Osman vit à Assouan. Elle a 28 ans, porte le voile, et trouve elle aussi étrange, que l’initiative vienne d’un homme. "Le hijab est censé être une histoire de femmes" explique-t-elle. Pourtant, elle soutient cette idée de rassemblement anti-voile. Elle précise : "Je n’enlèverai pas mon voile car je crois qu’il s’agit d’un ordre commandé par Allah à toutes les musulmanes, mais je soutiens les jeunes femmes qui, veulent l’enlever."
Ragia Mostefa les soutient aussi. À 28 ans, la cyber-activiste cairote n’est pas voilée. Elle salue le débat qu’a provoqué cette idée de rassemblement : "Une telle controverse est essentielle car elle brise les tabous religieux et sociaux et encourage à les considérer d’un œil neuf et libre". Elle explique : "J’aborde ce rassemblement dans l’idée qu’il s’adresse essentiellement aux jeunes femmes voilées à cause des pressions familiales ou la terreur religieuse".
Alyaa Gaad, 44 ans, rendue célèbre en Égypte grâce à sa chaîne YouTube n’est pas voilée non plus, mais elle aussi soutient l’initiative de Cherif Choubachy. "Je le défends parce que je crois en la liberté d’expression" justifie-t-elle.
Ces jeunes femmes qui militent pour l’égalité des genres sont de plus en plus nombreuses à faire entendre leurs voix. En mars dernier, sur un plateau télé, l’écrivain renommée Nawal el-Saadawi avait ironisé sur le port du voile qu’elle jugeait "immoral" en déclarant : "Comme si en achetant un hijab à 50 livres, j’achète ma place au paradis. Je veux y accéder par mes actions et mon comportement et non par un bout de tissu sur ma tête."
Le voile, une protection ?
Dans le monde arabe aussi, la controverse largement relayée sur les réseaux sociaux n’a pas tardé à faire réagir. Une Saoudienne de 20 ans, qui pour des raisons de sécurité souhaite garder l’anonymat, témoigne : "Si j’étais en Égypte, je me serais certainement dévoilée." Et d’insister : "Nous ne voulons pas forcer celles qui le portent à l’enlever, nous demandons seulement la liberté, à commencer par la liberté de croyance".
Le mufti saoudien Cheikh Abdel-Azizi Ben Abdallah est lui aussi intervenu. Dans une fatwa, il qualifie "d’acte diabolique" l’idée d’un tel rassemblement et rappelle que le voile est "une obligation, un honneur et une protection pour la femme."
Un argument qui chez beaucoup de femmes ne passe pas. Alyaa confie : "Je n’ai pas vécu un jour de ma vie en Égypte sans avoir été victime de harcèlement sexuel dans la rue, chez nous, c’est un style de vie !" Alors, à ceux qui comme le mufti Saoudien s’égrènent à rappeler que le voile, ce symbole de pudeur, sert justement de protection aux agressions sexuelles, la jeune femme rétorque : "J’ai des amies qui ont retiré leur voile et qui depuis se font moins harcelé dans la rue." Elle insiste : "Croyez-moi, certains hommes ont des femmes voilées l’image de femmes faibles, fragiles, et ils en profitent pour les harceler plus". Ragia Mostefa, confirme : "Je pense que le voile encourage le harcèlement en donnant raisons aux revendications misogynes des islamistes".
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Le débat n’a pas fini d’agiter la toile. Le meeting, lui, a finalement été fixé au 1er mai. L’atmosphère tendue fait craindre des débordements. Nul doute que les islamistes seront aux premiers rangs pour empêcher la tenue du rassemblement. Ragia, compte bien y participer, "pour soutenir les égyptiennes voilées dans leur décision". Elle pose néanmoins une condition : que les forces de l’ordre assurent la sécurité. Sur l’impact du rassemblement, Alyaa, elle, est plus pessimiste : "Je sais que beaucoup de voilées rêvent secrètement d’y assister, mais elles ne le feront sûrement pas par peur". L’Égypte figure ces dernières années comme le pire pays en termes de droit des femmes. Pour rappel, dans son dernier rapport publié en 2013, l’ONU révélait qu’au cours de leurs vies, 99,3% des Egyptiennes sont victimes de violences sexuelles.
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