Rien n’arrête la locomotive Bolloré

Deux ans après avoir raflé le deuxième terminal à conteneurs du port d’Abidjan, le groupe français double la concurrence et décroche le futur chemin de fer reliant Lomé à Abidjan. Récit du casse du siècle.

Le groupe Bolloré a entamé puis suspendu la construction de cette boucle ferroviaire. © DR

Le groupe Bolloré a entamé puis suspendu la construction de cette boucle ferroviaire. © DR

ProfilAuteur_FredMaury OLIVIER-CASLIN_2024

Publié le 4 mai 2015 Lecture : 8 minutes.

L’image est insolite. Le président nigérien, Mahamadou Issoufou, tout sourire au volant d’une Bluesummer, le cabriolet 100 % électrique fabriqué par le groupe Bolloré. À ses côtés, le PDG Vincent Bolloré – jamais là où on l’attend -, visiblement pas mécontent de son effet. Ce 7 avril, à Niamey, les deux « amis » dans leur drôle d’engin ont attiré les foules à l’occasion de l’inauguration de la Bluezone de la capitale nigérienne.

Un espace multifonctionnel alimenté en électricité grâce aux solutions de stockage d’énergie solaire développées par le groupe français et où les citoyens peuvent accéder gratuitement à internet, à l’eau potable, faire du sport ou encore assister à des spectacles. La veille, l’homme d’affaires français, dont la fortune est estimée par le magazine Challenges à 10 milliards d’euros, inaugurait une autre Bluezone au Bénin avec le président Boni Yayi.

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Deux concessions

Accompagné de Michel Roussin et Ange Mancini, deux de ses proches, Vincent Bolloré a profité de ce nouveau périple africain pour sceller les documents juridiques entourant la construction et la rénovation de la voie de chemin de fer de 1 050 km reliant Cotonou à la capitale nigérienne. Amateur d’images symboliques, le Français aurait aimé que la signature ait lieu dans un wagon installé sur les rails qui traversent désormais Niamey.

Mais pour des questions de protocole et de sécurité, les autorités ont finalement préféré un endroit plus sûr et moins exposé. C’est donc à la présidence que Vincent Bolloré, Mahamadou Issoufou et le ministre béninois du Développement, Marcel de Souza, ont paraphé la convention tripartite comprenant deux concessions : l’une de trente ans sur les infrastructures et l’autre de vingt ans sur l’exploitation (avec une période d’exclusivité).

La société Bénirail, détenue à 40 % par Bolloré, à 10 % par chacun des États et à 40 % par des acteurs privés des deux pays, sera constituée pour l’occasion. L’investissement s’élèvera à 1,07 milliard d’euros, entièrement amené par le partenaire privé de référence, comme Vincent Bolloré s’y est lui-même engagé.

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Coup de maître

Deux ans après avoir remporté la concession du deuxième terminal à conteneurs (TC2) d’Abidjan, le groupe français a une nouvelle fois surpris tout le monde, en s’arrogeant 1 050 des 2 700 km de la future boucle ferroviaire reliant Abidjan, Ouagadougou, Niamey, Cotonou puis Lomé. Un coup de maître pour celui qui, via la société Sitarail, détient déjà depuis deux décennies la concession de la partie existante du tracé entre Abidjan et Kaya, au Burkina.

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>>>> Lire aussi – Boucle ferroviaire : statu quo au Burkina Faso

Sur ce tronçon, Bolloré s’est engagé mi-2014 à réhabiliter la voie, moyennant un investissement de 400 millions d’euros. Mais la finalisation se fait encore attendre… « Nous devons avancer de concert sur les deux tronçons pour ne fâcher personne », explique Michel Roussin, conseiller de Vincent Bolloré pour les affaires africaines. Pour parachever sa mainmise sur l’ensemble de la boucle, il ne manque plus au Breton que quelque 500 km à construire entre Kaya et Niamey.

Si Frank Timis, patron d’African Minerals, semblait bien positionné pour la partie burkinabè de ce tronçon, notamment pour la ligne reliant sa mine de Tambao, la situation semble avoir tourné en sa défaveur avec la chute de Blaise Compaoré et la suspension début mars de la licence minière que l’homme d’affaires australo-roumain détenait sur le gisement de manganèse situé dans le nord du Burkina Faso. Vincent Bolloré a désormais un boulevard devant lui.

D’autant plus que, lors d’un discours prononcé le 7 avril, Mahamadou Issoufou a bien insisté sur la possibilité de voir le géant français décrocher également cette partie. Cinq pays, 2 500 kilomètres, 2 milliards d’euros d’investissement… En moins de deux ans, Bolloré a raflé la mise, sans rencontrer le moindre appel d’offres, sur ce que beaucoup présentent comme « le projet du siècle ».

Un coup de force réalisé par un Vincent Bolloré qui suit ce dossier depuis très longtemps. Michel Roussin ne nie pas la méthode « à la chinoise » : « Les choses ne se sont pas faites dans l’ordre habituel, confirme celui qui, à l’occasion de ces négociations, a fait son grand retour au sein des organes dirigeants de Bolloré. Il faut du temps pour faire avancer un appel d’offres, et les chefs d’État ont en effet permis une accélération. Les détracteurs du groupe vont encore trouver des bonnes raisons pour le critiquer, mais là, tout a été transparent. »

À un an de leurs échéances présidentielles respectives, les actuels chefs d’État du Bénin et du Niger peuvent ainsi s’appuyer sur des premières réalisations visibles pour vanter le mérite de leurs programmes de développement. Avec un processus plus classique – études préalables et procédure d’appels d’offres -, il aurait sans doute fallu attendre des années pour voir démarrer les premiers travaux.

Bolloré, lui, n’a même pas attendu de disposer de contrats juridiques pour que, le 7 avril 2014, soient donnés les premiers coups de pioche au Niger. Il a également rénové dans les mêmes conditions la gare centrale de Cotonou. « On a commencé comme des artistes sans filet, rappelle Ange Mancini. À l’ancienne, je dirais, sur la seule base d’un serrage de main entre deux chefs d’État et Vincent Bolloré. »

>>>> Lire aussi – Pourquoi Bolloré accélère en Afrique de l’Ouest

Le cabinet d’avocats conseillant le Bénin et le Niger, Hogan Lovells, a été nommé après le début des travaux, et les discussions juridiques se sont faites en parallèle. Un an plus tard, 75 km de rails ont été posés entre Niamey et Dosso. Quelque 120 000 tonnes de rails ont déjà pu être acheminées d’Europe par bateau via Abidjan et Cotonou, quatre ponts construits, 100 000 traverses en bois amenées du Cameroun, et Bolloré produit désormais lui-même et sur place ses traverses en béton.

2500 kilomètres, 2 milliards d’euros, cinq pays… Le Français a raflé la mise.

En dehors du terrassement, confié notamment à Sogea Satom ainsi qu’à la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE, groupe sénégalais) et à plusieurs acteurs locaux, il s’occupe de tout. Un nouveau métier pour ce logisticien. À l’occasion de l’absorption en 2014 de Bolloré Africa Logistics dans un ensemble plus vaste baptisé Bolloré Transport Logistics, l’homme d’affaires a d’ailleurs créé un pôle ferroviaire qui n’existait pas jusqu’à présent, dirigé par Thierry Ballard. « Le 31 juillet, nous aurons fini les 140 km reliant Niamey à Dosso », avance Ange Mancini, qui reconnaît toutefois quelques retards liés à la complexité du projet.

Suspicions

« Certains pourraient penser que nous avons mis tout le monde devant le fait accompli. En réalité, nous avons répondu à la demande expresse des États qui souhaitaient voir naître ce projet ferroviaire rapidement. Le groupe Bolloré laissera les suspicions s’exprimer. Et répondra dans la sérénité », affirme Michel Roussin. Sondés par Jeune Afrique, les bailleurs de fonds n’expriment – en tout cas publiquement – aucune réserve face à une procédure qui n’a pourtant pas respecté les règles de l’art.

Outre le fait qu’il est le principal logisticien du continent et qu’il gérait déjà Sitarail, Bolloré a un autre avantage : il a les poches bien remplies. En cinq semaines, le groupe a mis sur la table 2,8 milliards d’euros pour porter sa participation de 5 % à 14 % dans le géant français des médias Vivendi. « Pour la boucle ferroviaire, il n’a en pratique même pas besoin des financements des bailleurs de fonds, lâche un connaisseur.

Mais le contact est loin d’être rompu, d’autant que le groupe a besoin des institutions financières pour soutenir la réalisation et le développement des Bluezones partout en Afrique. » Une information confirmée par Michel Roussin : « Nous sommes en contact avec les bailleurs de fonds, et les négociations seront certainement facilitées lorsqu’ils verront que le privé joue son rôle en investissant. » Comme dans l’affaire du TC2 d’Abidjan, Bolloré fait une nouvelle fois des mécontents.

Certains techniciens défendaient l’utilisation de l’écartement standard des rails, d’ailleurs initialement privilégié par les États. Mais, pour favoriser une réalisation rapide et moins coûteuse, Bolloré a privilégié le même écartement métrique qu’entre Abidjan et Kaya. Autre insatisfait, le Béninois Samuel Dossou, laissé sur le carreau.

Michel Roussin prend le train en marche
De retour auprès de Vincent Bolloré, l’ex-« Monsieur Afrique » d’EDF est un allié de poids.

Michel Roussin est un homme fidèle. À l’Afrique, qu’il n’a jamais vraiment quittée durant sa carrière, dans le public comme dans le privé. Et surtout à Vincent Bolloré, qu’il vient de rejoindre à nouveau. Et, à le voir dans son beau bureau de Puteaux (banlieue parisienne) avec vue imprenable sur la Seine, il a l’air content d’être rentré au bercail.
Lire la suiteMichel Roussin prend le train en marche 

En 2010, PIC Network, une filiale du groupe Petrolin, détenu par cet ancien protégé d’Omar Bongo Ondimba, décrochait en effet – « après appel d’offres international », précise un conseiller juridique – un contrat global d’infrastructures portant sur la construction d’un aéroport, d’un port en eau profonde, de ports secs, et sur le développement du chemin de fer… jusqu’à Niamey. Le tout sur une durée de quarante ans.

L’existence de ce contrat a d’abord fait reculer le groupe Bolloré. Puis sa direction juridique lui a donné son feu vert après avoir constaté que le contrat était trop global et pas assez précis pour présenter un véritable risque. Samuel Dossou, de son côté, a entamé en 2014 une procédure de contentieux contre l’État béninois. Un an plus tard, aucun jugement n’a encore été rendu.

Tout de suite

Dernière victime enfin : la mise en concurrence. Envisagée fin 2011, cette procédure s’est mise en place avec la création d’un secrétariat permanent chargé de l’exécution de la boucle. En mai 2013, des annonces de recrutement avaient été passées et les postes de secrétaire permanent, des chargés d’études techniques, de maîtrise d’ouvrage, d’études juridiques et financières avaient été pourvus par les différents États concernés par le chemin de fer.

Financé notamment, via le Niger, par la Banque islamique de développement, le cabinet Africa Consulting & Trading a travaillé pendant deux ans avant de remettre son rapport au début de l’année 2014. Un document qui n’aura servi finalement à rien… Bolloré, lui, avait rapidement compris une chose : qu’importent les négociations et les longues études techniques, c’est tout de suite que le Bénin et le Niger voulaient ce chemin de fer !

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Bluezones : opération séduction
« Ligne de vie et d’espoir », la boucle ferroviaire (baptisée Blueline par Bolloré) sera jalonnée de Bluezones. Ces espaces multifonctionnels alimentés grâce à l’énergie solaire ont déjà été construits (pour environ 1 million d’euros chacun) au Bénin et au Niger. D’autres sont en projet en Côte d’Ivoire et au Burkina. Des démonstrateurs grandeur nature pour fixer les populations autour du rail mais aussi montrer aux investisseurs les possibilités techniques de ces zones autonomes en énergie. Grâce à ses batteries solaires, Bolloré entend en effet se positionner sur l’immense marché des énergies décentralisées.

Lire aussiEnergie : de nouvelles « Bluezones » au Bénin et au Niger

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