Slim Dali : « Nigeria, une croissance non-inclusive ? »

Slim Dali est économiste à l’Agence Française de Développement.

Publié le 1 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Plus qu’un prétendu choc des civilisations entre le Nord chrétien et le Sud musulman, c’est l’incapacité des pouvoirs publics à endiguer la corruption et à redistribuer les fruits de la croissance qui est à l’origine des violences qui minent le pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 170 millions d’habitants). Seul un programme de réforme ambitieux permettra d’amenuiser les antagonismes et de pérenniser le régime de croissance actuel.

La révision des comptes nationaux en mars 2014 est venue confirmer ce que bon nombre d’observateurs pressentaient : en moins d’une décennie, l’économie nigériane s’est imposée comme la première économie du continent africain, et sa capitale, Abuja, comme un pôle majeur d’activité en Afrique de l’Ouest. Le dynamisme des activités nouvelles notamment les services (dont les divertissements) couplée à une meilleure comptabilisation des activités existante s’est traduit par une revalorisation nominale de près de 90% du niveau de la richesse nationale. Il faut dire que l’exercice n’avait pas été effectué depuis 1990. Entre temps, l’économie nigériane, longtemps très dépendante de l’exploitation du pétrole, s’est diversifiée, ce qui a permis une stabilisation du rythme de croissance (plus de 9% depuis 2000) et une progression significative du niveau de richesse par habitant : ce dernier a plus que doublé en termes réels depuis le début de la décennie 2000 (à plus de 3000 USD). 

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Malgré les bons résultats affichés au niveau macroéconomique, la pauvreté, une des plus élevée d’Afrique, n’a pratiquement pas reculée.

Ces chiffres cachent cependant une réalité beaucoup plus contrastée. En effet, la croissance de l’économie nigériane ne s’est pas traduite par une redistribution massive de la richesse. Malgré les bons résultats affichés au niveau macroéconomique, la pauvreté, une des plus élevée d’Afrique, n’a pratiquement pas reculée. En 2010, 62% de la population vivait avec moins d’1,25 USD par jour en parité de pouvoir d’achat.

Le développement des trois principaux pôles d’activités que sont Abuja (capitale administrative situé au centre du pays), Lagos (capitale économique située au Sud-Ouest) etn Port Harcourt, située au Sud-Est dans une région pétrolière, n’a pas non plus contribué à résoudre un problème ancien : le déficit de développement des états du Nord qui affichent un taux de pauvreté de 72% contre « seulement » 52% au sud.

A ces disparités économiques, s’ajoutent des disparités sociales, notamment en matière d’éducation et de formation. Le taux de scolarisation primaire, relativement bas (64%) en comparaison des autres pays d’Afrique Sub-Saharienne (76%), est jusqu’à 10 points inférieur dans les états du nord. C’est dans ce contexte d’insuffisance économique et sociale d’une partie du territoire et de polarisation croissante des revenus qu’ont émergé plusieurs groupes rebelles. C’est notamment le cas du Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger, au Sud du pays, où la rente pétrolière a polarisé les tensions (jusqu’à l’amnistie de 2009) et plus récemment de la secte Boko Haram.

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Les exactions massives et répétées de cette dernière dans le Nord Est du pays essentiellement, conjuguées aux crispations identitaires qui se manifestent dans nos sociétés, ont contribué à imposer une lecture essentialiste des conflits qui agitent le pays. Le Nigéria serait victime d’un choc de civilisation entre une moitié Nord à majorité musulmane et une moitié Sud à majorité chrétienne.

S’il est difficile de nier les différences d’ordre traditionnelles, ethniques (environ 250 ethnies) ou confessionnelles dans un pays aussi vaste et divers, cette interprétation est plus que contestable. Elle fait fi des facteurs économiques et institutionnels qui jouent un rôle prépondérant dans la lutte que se livrent les différents groupes armés et l’Etat. De fait, le caractère répandu de la corruption et les difficultés de l’administration, régulièrement mis en exergue dans les rapports de la Banque Mondiale et de Transparency International, a largement contribué au développement de logiques de captations de rentes, lesquelles alimentent les antagonismes.

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Face à ces troubles récurrents, le nouveau gouvernement se devra d’engager des réformes structurelles permettant d’aller vers une croissance plus inclusive, c’est-à-dire qui profite à l’ensemble du territoire et des nigérians. Et ce, même si les marges de manœuvre se sont fortement réduites du fait de la forte contraction des prix du pétrole (50% depuis juin 2014).

Celle-ci a en effet entraîné une baisse importante des recettes budgétaires du gouvernement fédéral et des exportations de biens, dépendant de la production pétrolière (respectivement à hauteur de 70% et de 95%). S’ils ont pu jouer un rôle d’amortisseur dans un premier temps, les mécanismes macroéconomiques de résilience que constituent le fonds souverain (estimé à 2 Mds USD, soit 0,4% du PIB) et les réserves de change (estimées à 33 Mds USD) ne seront pas d’un grand secours si les prix se maintiennent durablement à moins de 50 USD le baril.

Plusieurs chantiers apparaissent pourtant prioritaires : la réforme des subventions à l’énergie et du secteur pétrolier, le règlement des insuffisances du secteur électrique, la lutte contre la corruption, le développement du secteur éducatif… En effet, seule une redistribution plus équitable des fruits de la croissance pourra contribuer efficacement à une stabilisation du pays et garantir la poursuite de la dynamique vertueuse entamée au début des années 2000.

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