Comment Castel a mis K.-O. les Brasseries ivoiriennes
Lancée en 2013, la filiale d’Eurofind avait rapidement fait vaciller le groupe français, leader de la bière en Côte d’Ivoire. Mais deux ans et quelques difficultés plus tard, elle a été rachetée par son grand rival.
Le 14 avril, dans la salle des fêtes du Sofitel Abidjan Hotel Ivoire, Adham El Khalil, l’un des patrons d’Eurofind, présentait les activités de son groupe. Mais il n’a pas estimé nécessaire de parler du pôle brasserie et de confirmer sa cession au groupe Castel, révélée récemment par Jeune Afrique. En proie à des difficultés, le holding d’investissement présent dans l’acier, la chimie et l’alimentaire n’a eu d’autre choix que de revendre sa filiale, les Brasseries ivoiriennes, qui lui a coûté plus de 30 millions d’euros d’investissement en outils industriels, à son concurrent le plus farouche. Selon nos informations, le coût de la transaction avec Castel a été fixé à 32 milliards de F CFA (près de 48,8 millions d’euros).
L’échec de la bière de luxe Gold 5.5, fin 2013, a signé le début des ennuis du nouveau brasseur.
Jusque-là, tout semblait pourtant bien marcher pour les Brasseries ivoiriennes. En moins de deux ans, la filiale d’Eurofind lancée en 2013 avait réussi à bousculer la Société de limonaderies et brasseries d’Afrique (Solibra), filiale de Castel et leader du marché. Avec son produit phare, la bière d’entrée de gamme Number One, elle est parvenue à grignoter 28 % de part de marché contre 36 % pour la Bock, la marque leader de sa grande concurrente.
Agressive
Pour atteindre ce résultat, « les Brasseries ivoiriennes ont investi dans un réseau de distribution efficace à Abidjan. Elles ont offert toute une logistique et des gadgets publicitaires aux gros distributeurs de la capitale économique ivoirienne, haut lieu de la consommation de bière dans le pays », confie une source qui a requis l’anonymat. Grâce à cette stratégie commerciale et marketing très agressive, l’entreprise fonctionnait à pleine capacité, avec 250 000 hectolitres par an produits sur son site de 9 ha situé dans la zone industrielle de Yopougon (banlieue nord d’Abidjan).
Fin 2013, en moins de six mois d’activité, les Brasseries ivoiriennes avaient déjà réalisé un chiffre d’affaires de près de 10,7 millions d’euros et visaient le double pour l’année 2014. Pendant ce temps, la Solibra avait du mal à réagir. Son site exigu de la commune de Treichville, dans le sud de la capitale, ne pouvait pas faire l’objet d’une extension. Et les problèmes de pénurie d’eau dans cette zone n’arrangeaient guère la situation.
Mais dès décembre 2013, les Brasseries ivoiriennes ont rencontré leurs premières difficultés avec l’échec du lancement de la marque Gold 5.5, une bière de luxe qui devait permettre à la société de parfaire son image et d’être distribuée dans les bars et les boîtes de nuit pour VIP. Par ailleurs, l’application, à partir de février 2014, d’une taxe de 13 % sur le coût de revient de la bière, et d’une autre de 15 % sur son prix de vente, a fait exploser les charges des Brasseries ivoiriennes et augmenter les prix pour le consommateur.
Les volumes ont baissé de 10 % à la fois pour les Brasseries ivoiriennes et pour la Solibra. Les finances des deux sociétés en ont souffert. Si la filiale d’Eurofind n’a pas communiqué ses chiffres, celle de Castel a vu son résultat net baisser au premier semestre 2014 (6,14 milliards de FCFA, – 31 % sur un an). Mais dotée de plus de ressources, cette dernière a pu se relancer.
La Solibra a notamment joué sur sa politique de crédit aux distributeurs agréés. « Au moment où la Solibra proposait à ses distributeurs de payer les stocks enlevés en quinze jours, les Brasseries ivoiriennes n’avaient pas suffisamment de marge et proposaient un délai de dix jours. Mieux, la Solibra a imposé une exclusivité aux distributeurs », explique l’un d’eux, installé à Abidjan. De 250 000 hectolitres en 2013, la production des Brasseries ivoiriennes est ainsi tombée à environ 140 000 hectolitres fin 2014.
Embuscade
La disparition de Moustapha Khalil, fondateur d’Eurofind, en mars 2014, va précipiter la chute de l’entreprise. Souad Khalil, qui prend alors la relève de son père, ne parvient pas à relancer la filiale. La décision de la céder est donc très vite mûrie dans les hautes instances d’Eurofind. Une première approche auprès du groupe néerlandais Heineken n’a pas été concluante. Le groupe Castel, en embuscade, n’a alors pas hésité à se porter candidat au rachat.
Castel ne perd pas de vue l’arrivée d’un concurrent de taille d’ici à 2017 : Heineken, associé au groupe de distribution CFAO.
Celui-ci doit encore attendre la validation de cette transaction par le gouvernement, mais il devrait ainsi pouvoir renforcer son monopole sur le marché de la bière en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, le groupe français compte d’ailleurs fusionner les Brasseries ivoiriennes et la Solibra. L’ensemble des employés de la filiale d’Eurofind sera conservé, et la Number One restera sur le marché, tandis que la Gold 5.5 devrait disparaître.
Mais la Solibra ne perd pas de vue l’arrivée d’un concurrent de taille d’ici à 2017. En effet, Heineken a prévu d’implanter une brasserie dans le pays. Les investissements sont estimés à 150 milliards de F CFA pour une production d’environ 1 million d’hectolitres de bière. Le brasseur néerlandais, qui a signé un accord au niveau local avec le géant de la distribution CFAO, prévoit une stratégie basée sur l’introduction de ses marques ghanéennes et camerounaises sur le marché ivoirien. Les investissements devraient être lancés avant la fin de l’année et se poursuivre après l’élection présidentielle d’octobre.
>>> Pour en savoir plus sur l’installation de Heineken et CFAO à Abidjan
Par Baudelaire Mieu, à Abidjan
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