Achille Mbembé : « Faire la guerre est devenu un boulot comme un autre »

L’Europe ne veut pas de la jeunesse sahélienne ? Le jihad lui tend les bras. Analyse de l’historien et politologue camerounais, Achille Mbembé.

L’auteur de « Critique de la raison nègre »,57 ans, vit en Afrique du Sud et aux États-Unis © Vincent Fournier/J.A.

L’auteur de « Critique de la raison nègre »,57 ans, vit en Afrique du Sud et aux États-Unis © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 7 mai 2015 Lecture : 2 minutes.

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Cameroun : mobilisation générale !

Face à Boko Haram, les Camerounais resserrent les rangs. Pendant qu’une nouvelle génération émerge, prête à assurer la relève et à assumer son rôle dans le développement du pays.

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Jeune Afrique : Le Cameroun est en guerre contre Boko Haram. Une partie de la jeunesse originaire de l’Extrême-Nord s’est engagée dans les rangs de cette secte. Pourquoi un tel phénomène dans un pays qui n’a jamais connu de tensions religieuses ?

Achille Mbembé : Ces jeunes n’ont rien à perdre. Ils ont le choix entre l’émigration et la guerre, qui offre, elle aussi, une mobilité sociale. Il n’y a pas si longtemps, ils pouvaient aller en Libye, dans les pays du Golfe ou en Europe. Mais les possibilités d’émigrer s’amenuisant, il ne leur reste plus qu’à se faire enrôler sur les marchés régionaux de la violence. La foi ne joue ici qu’un rôle assez mineur. Ce choix est avant tout pragmatique, dénué de tout sentimentalisme. Faire la guerre est devenu un boulot comme un autre, l’un des mécanismes de la mobilité sociale.

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Le gouvernement camerounais a annoncé un plan d’urgence pour réduire les écarts de développement entre le Grand Nord et le reste du pays. La solution à la crise qui secoue le Sahel est-elle avant tout économique ?

Il faudra juger sur pièce. Les seuils de tolérance sont aujourd’hui largement dépassés. Les vieilles structures sociales, héritées de la conquête musulmane au XIXe siècle et renforcées ensuite aussi bien par la colonisation française que par le nouvel État indépendant, sont essoufflées. Surpeuplement, érosion dramatique des sols, amenuisement des pâturages viennent se greffer à d’intenses conflits fonciers. Parce que la crise est transfrontalière, sa solution sera forcément régionale. Il ne faut pas un plan d’urgence, mais un plan à long terme incluant, entre autres, une profonde réforme agraire, la lutte contre la désertification, la refonte des chefferies et des lamidats, la décriminalisation des échanges transfrontaliers et un réaménagement des rapports de pouvoir entre les musulmans et les populations non islamisées.

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Quel est le principal danger pour la stabilité du Cameroun ?

Le pays doit être repris en main pour être effectivement gouverné. Il faut mettre en place un gouvernement dynamique, entreprenant, ouvert sur le monde et son époque. Reprendre le projet d’unité nationale, relancer la lutte contre le tribalisme, moderniser l’administration, "débureaucratiser" la vie publique et replacer le Cameroun au coeur de la politique continentale. C’est à ces tâches que doivent s’atteler, dès aujourd’hui, les Camerounais.

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Que vous inspire l’émergence d’un discours antifrançais dans certains médias camerounais ?

C’est une perte de temps. La France n’est pas notre ennemie, et nous ne sommes pas ses laquais. Il faut assumer notre indépendance en bonne intelligence avec les grandes puissances. Ce dont les Camerounais ont besoin, c’est de se projeter dans le futur, de se mobiliser afin de donner une nouvelle trajectoire au pays. Tout le reste n’est que littérature. Entre le Cameroun et la France, il est possible de forger des liens où chacun est responsable. Comme avec l’Allemagne, les États-Unis ou la Chine. Encore faut-il que nos dirigeants inspirent le respect au reste du monde. Ils n’y parviendront qu’en bâtissant un projet crédible pour leur pays et pour l’Afrique et en cessant de profiter de la paranoïa ambiante pour cacher leurs insuffisances.

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