Cameroun-Gabon : s’entendront-ils enfin ?

Poids lourds du système financier d’Afrique centrale, le Cameroun et le Gabon pourraient être les locomotives de l’intégration régionale. Encore faudrait-il qu’ils parviennent à s’entendre.

Conférence des chefs d’État de la Cemac (en juillet, à Brazzaville). La délicate question de la fusion des Bourses de Douala et de Libreville a été une nouvelle fois reportée… © Baudouin Mouanda/JA

Conférence des chefs d’État de la Cemac (en juillet, à Brazzaville). La délicate question de la fusion des Bourses de Douala et de Libreville a été une nouvelle fois reportée… © Baudouin Mouanda/JA

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 2 janvier 2013 Lecture : 5 minutes.

Juillet 2012. Le monde financier de l’Afrique centrale braque son regard sur Brazzaville, à l’affût d’une décision de la conférence des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) permettant de concrétiser, enfin, la fusion entre la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC, à Libreville) et le Douala Stock Exchange (DSX). Peine perdue. Les dirigeants de la zone ont préféré renvoyer ce délicat projet, auquel ils avaient pourtant donné leur feu vert en janvier 2010, à une négociation bilatérale entre le Cameroun et le Gabon. Vieille de plusieurs années, l’idée d’un rapprochement entre les deux places financières pour créer une Bourse commune aux six pays membres de la Cemac (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad) peine à avancer. La raison ? Une silencieuse guerre de leadership que se livrent ces deux pays pour abriter l’entité régionale.

L’idée d’un rapprochement entre les deux places financières peine à avancer.

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Le Cameroun, avec 21 millions d’habitants – soit près de la moitié de la population de la Cemac -, représente plus de 30 % du PIB de la sous-région. Le Gabon, pourtant nettement moins peuplé que son voisin (1,5 million d’habitants), vient ensuite, avec environ 25 % du PIB. En plus de peser plus de la moitié des richesses créées chaque année dans la Cemac, ces deux économies sont aussi les deux poids lourds de son système financier. La première absorbe environ 42 % de la totalité des crédits accordés par les institutions de la communauté, et la seconde 28 %.

Bourse : une rivalité stérile

Dans leur bras de fer, les deux pays multiplient les initiatives pour s’imposer. Depuis le début de 2012, Libreville a déjà injecté, via la Banque gabonaise de développement, 2 milliards de F CFA (environ 3 millions d’euros) dans les caisses de la BVMAC, devenant ainsi le principal actionnaire de cette Bourse, dont la vocation initiale était régionale. La création de la BVMAC avait été décidée par les chefs d’État de la Cemac en 2010 pour renforcer l’intégration financière de la région. De son côté, le Cameroun s’efforce de dynamiser le DSX en multipliant les émissions obligataires. En tout, pas moins de 430 millions d’euros doivent y être mobilisés cette année par l’État, avec pour objectif de lui donner un niveau d’activité plus élevé que sa concurrente de Libreville.

« Il s’agit là d’une rivalité stérile qui dessert l’intégration financière de la sous-région et pénalise en premier lieu les économies des deux pays, qui gagneraient à collaborer, affirme un cadre de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf). Deux Bourses, deux régulateurs dans une même union monétaire, cela signifie qu’il n’y a pas d’économies d’échelle. » De fait, le marché financier de la zone, malgré son fort potentiel, peine à se développer et n’affiche que de piètres résultats.

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Seules trois entreprises (la Société africaine forestière et agricole du Cameroun, la Société des eaux minérales du Cameroun et la Société camerounaise de palmeraies) sont cotées à Douala… et jusqu’à présent aucune à Libreville. En tout, sur ces deux Places qui fonctionnent sans aucune synergie entre elles, à peine 762 millions d’euros (actions et obligations) ont jusqu’ici été levés. Les analystes sont formels : seule la mise en place d’une véritable Bourse régionale permettra de créer un marché financier plus dynamique, plus crédible, capable de collaborer avec les marchés étrangers et de bénéficier d’innovations technologiques.

Banque : retard à l’allumage

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Au-delà du secteur boursier, ce sont aussi les banques du Cameroun et du Gabon, ainsi que celles des autres pays membres de la Cemac, qui profiteraient d’une coopération renforcée entre ces deux pays. « Le rapprochement de deux économies permet aux entreprises d’avoir accès à une base de clientèle élargie », concède Henri-Claude Oyima, PDG de BGFI Bank.

Reste que le groupe gabonais et son homologue camerounais Afriland First Group, les deux leaders de la zone, ont eux-mêmes attendu longtemps pour investir réciproquement sur le marché voisin. Certes, le principe de l’agrément unique, qui régit l’activité bancaire dans la zone Cemac et permet aux établissements d’opérer sur l’ensemble du marché communautaire une fois qu’ils ont obtenu la licence dans l’un des États membres, est parfois difficile à appliquer dans la pratique. Mais les deux groupes n’ont-ils pas aussi joué le jeu de la rivalité qui oppose leurs pays respectifs ?

Le rapprochement de deux économies permet d’avoir accès à une base de clientèle élargie.
Henri-Claude Oyima, PDG de BGFI Bank

« Quand nous sommes arrivés au Cameroun en 2010, on nous a demandé pourquoi nous avions attendu aussi longtemps », se souvient Henri-Claude Oyima. Et pour cause : pour BGFI Bank, numéro un du secteur en Afrique centrale avec un total de bilan de 4,4 milliards de dollars en 2011 (3,4 milliards d’euros), le Cameroun est un marché important. À l’inverse du Gabon, dont le tissu économique est essentiellement composé de grandes entreprises opérant dans le secteur minier, l’économie camerounaise est plus diversifiée, avec un secteur privé et des PME parmi les plus dynamiques de la sous-région. Des PME à fort potentiel de croissance qui constituent justement l’une des principales cibles du groupe gabonais. D’ailleurs, BGFI Bank affirme tabler pour cette fin d’année sur des résultats qui seront nettement supérieurs à ses prévisions.

Pendant ce temps, pour Afriland First Group, devenu la seule banque camerounaise à opérer à l’international depuis la mise sous administration de Commercial Bank-Cameroun (CBC, groupe Fotso), l’heure n’est pas encore à une ouverture au Gabon. Pourtant, même si le groupe estime que sa cible première, la clientèle des petits entrepreneurs, n’y est pas très importante, les analystes assurent que ce marché peut être intéressant. « Le taux de bancarisation y est encore très faible [moins de 10 %, NDLR], et la nouvelle politique d’industrialisation mise en oeuvre par les autorités devrait conduire au développement des PME », expliquent-ils.

Assurances : le parent pauvre

Si dans la banque les lignes ont donc commencé à bouger, dans les assurances, on en est encore loin. Ce secteur reste le parent pauvre de l’intégration régionale. Comme pour les marchés financiers et les banques, « le Gabon et le Cameroun, qui représentent entre 65 % et 70 % du marché de l’assurance de la Cemac, peuvent montrer la voie en renforçant leur coopération dans le domaine », estime Jean-Claude Ngbwa, le secrétaire général de la Conférence interafricaine des marchés assurances (Cima). D’autant que dans ces deux pays où l’activité minière est importante, « la plupart des grandes opérations sont davantage couvertes par fronting [consortium d’assureurs] et les règlements donnent la priorité aux compagnies locales pour la couverture de certains risques », ajoute-t-il.

Reste qu’à l’inverse du secteur bancaire celui de l’assurance ne bénéficie pas encore du principe de l’agrément unique. Résultat : tout assureur souhaitant opérer dans l’un des États membres doit refaire à chaque fois une demande d’agrément. De fait, aucune société d’assurances du Cameroun n’opère aujourd’hui au Gabon, et vice versa. Autant dire que le chemin vers une véritable intégration financière est encore long.

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