Ibrahima Sissoko, l’art du partage
Danseur, chorégraphe, compositeur, ce Français d’origine malienne milite pour un art de l’écoute et du métissage
Devant, la blonde et frêle violoncelliste. Derrière, le danseur noir au physique massif. Entre les deux, un trait d’union : l’archet. Avec leur délicat duo, En filigrane, Ophélie Gaillard et Ibrahima Sissoko racontent l’histoire d’amour de la danse et de la musique, le mariage de Jean-Sébastien Bach et du hip-hop. "Ce spectacle est né d’un coup de foudre artistique très fort, raconte Sissoko. Il évoque la rencontre entre deux personnes d’univers différents qui ont envie d’aller l’une vers l’autre."
Au fond, toute la vie d’Ibrahima Sissoko pourrait se narrer en suivant cette piste humaniste, la féconde alliance des différences. Ainsi, Sissoko a vu le jour dans la plus malienne des villes de France, le 2 octobre 1976. Ses parents, originaires de la région de Kayes, se sont installés à Montreuil dans le quartier du Morillon avec leurs enfants – Ibrahima étant l’avant-dernier d’une fratrie de six. Madame fait du commerce, cuisine dans un foyer, tandis que monsieur travaille chez Citroën.
>> À lire aussi : Danse : Mufasa, hip-hop évolution
Mais le Mali reste chevillé au corps et au coeur : ancien combattant doté de la nationalité française, le père, natif de Gory Gopela, a fondé l’importante association de Maliens vivant en France, Bencounda. "La double culture, on l’a dès le départ mais on ne s’en rend pas compte, soutient Sissoko. On la vit au jour le jour, on parle bambara à l’intérieur de la maison et français à l’extérieur."
Aujourd’hui marié à une Française de Fouquescourt (dans le nord de la France) et père de cinq enfants, le danseur évoque une cité "où on avait la notion du vivre-ensemble" et de "bons profs avec lesquels ça ne blaguait pas". "J’ai eu la chance d’être porté par le sport avec des enseignants qui alliaient performance et résultats scolaires", se souvient-il. À la maison, dans une famille très unie, le sport est un rempart contre l’appel de la rue et les mauvaises fréquentations.
>> À lire aussi : Danse : "Sophiatown", hommage énergique à la lutte anti-apartheid
Frères et soeurs y excellent, les parents encouragent. "J’ai été dès le départ dans ces starting-blocks-là… Et comme j’étais assez nerveux et impulsif, l’athlétisme me canalisait." Sélectionné pour le championnat de France sur trois disciplines, Sissoko avait le physique pour poursuivre dans cette direction. Mais à 15 ans, au centre de la Vacquerie, il reçoit la révélation de la musique et de la danse.
"J’ai été accaparé par le hip-hop et, tout de suite, j’ai voulu apprendre cette performance physique et me donner les moyens d’y arriver." Accompagné de ses fidèles amis Awady et Christophe, il commence à s’entraîner. Le centre de la Vacquerie, pluridisciplinaire, offre son épaule et ses professeurs. "À l’époque, il n’y avait pas d’exemples de personnes ayant réussi dans le hip-hop."
Comme il ne faut pas trop inquiéter les parents, il passe un bac électronique. Mais dès 1992, il danse pour la compagnie Choream, s’ouvrant à une multiplicité de disciplines : capoeira, modern jazz, arts du cirque, etc. En 2000, le certificat de scolarité délivré par l’Académie internationale de danse de Paris vient rassurer un père un peu réticent… Parallèlement, porté par l’envie de chorégraphier et de transmettre son savoir, il crée la compagnie Ethadam et entreprend de créer ses propres spectacles.
Cette trajectoire d’artiste que Sissoko raconte posément pourrait paraître évidente, presque lisse : elle ne l’est pas. "J’ai toujours eu soif d’apprendre, d’aller vers l’autre, même si je suis passé par la case "je ne suis pas français"." Et par celle "je ne suis pas malien", serait-on tenté d’ajouter, puisque, lors de son premier séjour au Mali, on l’appelait "le Français". "Le cul entre deux chaises, on se pose beaucoup de questions, reconnaît-il. Mais la recherche d’identité et le travail sur l’estime de soi sont source d’inspiration créative. Ce qui m’a fait le plus changer, ce sont les voyages."
Tournées en Afrique avec l’Agence française d’action artistique, devenue ensuite CulturesFrance, séjour en Haïti où "la misère est bien pire mais l’énergie incroyable" et rencontres l’alimentent. "Je suis très attiré par les vieilles personnes, qui sont souvent de vraies banques à idées", signale-t-il au passage. Danseur, chorégraphe et compositeur, "ouvert d’esprit à 360°", Sissoko se voit déjà lui-même en passeur.
Non seulement il enseigne, mais il a aussi cofondé l’International Artistic Production Studio (IAPS), une structure de production multidisciplinaire, axée surtout sur la musique, mais ouverte à de jeunes talents. Du 28 au 30 avril, IAPS organise d’ailleurs son festival, 1 435 (pour "1 435 minutes intenses d’énergie, de création, d’émotion et de partage"), à Noisy-le-Grand (banlieue parisienne). "Finalement, c’est dans l’entre-deux que je me sens le mieux, martèle Sissoko. Je veux faire de la différence un atout. Plus associatif que partisan, mon combat politique est artistique."
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Émigration clandestine : « Partir, c’est aussi un moyen de dire à sa famille qu’on...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon
- Les « maris de nuit », entre sorcellerie et capitalisme