Royaume-Uni : vers l’explosion du traditionnel bipartisme ?

Traduction de « the big mess » : « le grand foutoir ». C’est ce que risque de provoquer la défaite annoncée des conservateurs aux législatives du 7 mai et l’explosion du traditionnel bipartisme qui a toutes les chances de s’ensuivre.

David Cameron, le 1er ministre sortant, en campagne à Weaver Vale, dans le nord du pays, le 20 avri © Toby Melville/Reuters

David Cameron, le 1er ministre sortant, en campagne à Weaver Vale, dans le nord du pays, le 20 avri © Toby Melville/Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 4 mai 2015 Lecture : 6 minutes.

Quel Parlement sortira des urnes, le 7 mai, à l’issue des élections législatives britanniques ? A priori aucun parti ne devrait obtenir la majorité absolue des 326 sièges. Les sondages annoncent conservateurs et travaillistes au coude à coude avec 34 % des intentions de vote, et les bookmakers londoniens s’en donnent à coeur joie.

Il ne fait certes aucun doute que le futur occupant du 10, Downing Street, la demeure des Premiers ministres de Sa Majesté, sera soit David Cameron, le sortant conservateur, soit Ed Miliband, son challenger travailliste, mais ce résultat n’est habituel qu’en apparence. La vérité est que le bon vieux bipartisme est mort ! Bien malin qui prédirait la composition du futur gouvernement. Et ne parlons pas des soutiens ou de la marge de manoeuvre dont il disposera.

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Le royaume entre dans un cycle politique inconnu. Pour Cameron, c’est une amère déception dans la mesure où son bilan économique est assez impressionnant. Son pays jouit de la croissance la plus forte d’Europe et même du G7 ; son taux de chômage est passé de 7,8 % en 2010 à 5,6 % ; et son déficit public a été divisé par deux. Du coup, les entreprises ne ménagent pas leur soutien financier aux tories.

Enfin, toutes les enquêtes d’opinion montrent que Miliband a le plus grand mal à convaincre ses compatriotes de sa capacité à diriger le gouvernement. Dans ces conditions, comment expliquer que, pour David Cameron, l’échec électoral se profile à l’horizon ?

Par deux raisons essentielles. La première est que l’United Kingdom Independence Party (Ukip), une formation xénophobe et antieuropéenne dirigée par Nigel Farage, a réussi à séduire les électeurs conservateurs les plus à droite. La seconde est que les tories sont perçus par l’opinion comme dévoués aux riches et sans pitié pour les plus modestes, que l’austérité étrangle.

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Thatchérien

Pour tenter de corriger son image, Cameron a présenté un programme "thatchérien" censé être favorable à la classe laborieuse. Il présente désormais son parti comme celui des travailleurs, à qui il promet "une bonne vie", et envisage de consacrer 8 milliards de livres (environ 11 milliards d’euros) supplémentaires au service national de santé, à la vente à prix avantageux des logements sociaux aux 1,3 million de locataires qui les occupent, au doublement des heures de garderie gratuites pour les bambins, à l’exemption des smicards de l’impôt sur le revenu, etc.

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Et bien sûr, il persiste dans sa volonté de tenir en 2017 un référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. C’est ce qu’on appelle le "Brexit", mot-valise associant Britain à exit ("sortie"). Résultat ? Bof. L’électorat populaire n’est pas emballé et les intentions de vote ne décollent pas. Les travaillistes sont eux aussi frustrés. L’opinion ne leur pardonne pas d’avoir quitté le pouvoir en 2010 en laissant un déficit abyssal.

Miliband jure que, s’il l’emporte, il veillera à ne pas creuser le trou budgétaire "d’un seul penny", qu’il fera en sorte que toute nouvelle dépense soit dûment financée et qu’il rétablira l’équilibre budgétaire dès 2020. Mais ses promesses peinent d’autant plus à convaincre qu’il est dans le même temps contraint de placer la barre à gauche, ne serait-ce que pour contrer le programme antiaustérité des indépendantistes écossais.

S’il est élu, Miliband s’est donc engagé à geler les tarifs ferroviaires pendant un an et ceux de l’énergie pendant deux ans ; à remettre en question le statut des non-doms, ces résidents étrangers (ils sont 120 000) qui ne paient aucun impôt sur leurs revenus si cet argent n’entre pas sur le territoire britannique ; à relever à 50 % la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu ; à taxer les propriétés immobilières d’une valeur supérieure à 2 millions de livres ; et à porter le salaire minimum à 8 livres de l’heure.

Mais les électeurs attendent pour voir. La vérité est que l’atomisation du corps électoral se confirme de scrutin en scrutin. Fini le temps où conservateurs et travaillistes s’adjugeaient 97 % des suffrages (1951). En 2010, leur score cumulé n’était plus que de 65 %. Cette année-là, le succès des libéraux-démocrates (LibDem) et leur alliance gouvernementale avec les conservateurs avaient fait croire à l’avènement du tripartisme…

Boulevard

Las, l’émiettement politique s’est poursuivi. L’impopularité des conservateurs et des travaillistes puis l’effondrement des LibDem pour cause de soutien à l’austérité et à la guerre en Libye ont ouvert un boulevard devant la droite souverainiste de l’Ukip, désormais troisième force politique du pays, le SNP écossais, mais aussi, dans une moindre mesure, le parti nationaliste gallois (Plaid Cymru), les Verts et les unionistes nord-irlandais.

Autant de voix, bien sûr, que les deux grands partis n’auront pas. Inévitablement, le Royaume-Uni va goûter aux délices d’un gouvernement de coalition. Chaque petite formation fait monter les enchères et négocie pied à pied son éventuel ralliement. Les LibDem veulent bien servir d’appoint au parti qui arrivera en tête, mais refusent de s’allier aux conservateurs si ceux-ci acceptent le renfort de l’Ukip, trop antieuropéen à leur goût.

De même, ils sont prêts à travailler avec les travaillistes, mais à condition que le SNP n’intègre pas la coalition. L’Ukip pourrait envisager d’épauler les conservateurs, mais pour durcir la législation anti-immigrés. Quant au SNP, il tend la main aux travaillistes mais leur demande de renoncer à l’austérité. Les projections en sièges faites par le site du quotidien The Guardian* montrent que les possibles combinaisons sont en nombre limité.

Seule une alliance travaillistes-SNP obtiendrait une majorité absolue de 326 sièges, qui resterait fragile sans le renfort des LibDem. À droite, si les conservateurs parvenaient à fédérer l’Ukip, les LibDem et les Irlandais, ils pourraient compter au mieux sur 311 voix. Pas assez pour prétendre former un gouvernement.

À deux semaines du scrutin, l’hypothèse de la victoire d’une coalition de gauche paraît donc la plus probable. Mais le Royaume-Uni n’en aura pas fini pour autant avec les soubresauts politiques, car la mise en oeuvre des programmes largement contradictoires des futurs alliés promet de rudes empoignades ! D’aucuns pronostiquent qu’il faudra revenir avant longtemps devant le corps électoral.

 * www.theguardian.com/politics/ng-interactive/2015/feb/27/guardian-poll-projection

Plutôt Bruxelles que Londres !

Première ministre et chef du Parti national écossais (SNP), Nicola Sturgeon (44 ans) mène sa barque avec maestria. Son cap ? Voir la "Calédonie" – l’antique appellation de l’Écosse – accéder à l’indépendance "de [son] vivant", bien que 55,3 % de ses compatriotes aient rejeté cette perspective lors du référendum de septembre 2014. Sa force ? Elle a quadruplé en six mois le nombre des adhérents de son parti. Et elle pourrait ravir aux travaillistes la quasi-totalité des circonscriptions écossaises qu’ils détiennent, ce qui lui permettrait de compter une cinquantaine de députés (contre six actuellement) au Parlement de Westminster. Plus subtile qu’Alex Salmond, son prédécesseur, elle conserve deux fers au feu. À Édimbourg, elle veut l’emporter sur les travaillistes, auxquels elle reproche de vouloir poursuivre l’austérité budgétaire et d’être favorables au maintien en Écosse des missiles nucléaires Trident. À Londres, elle espère faire battre David Cameron, car elle sait que l’indépendance ne sera obtenue que pas à pas. En l’absence vraisemblable de majorité travailliste, elle donnera sans doute un coup de main à Ed Miliband pour lui permettre d’entrer à Downing Street. En échange, bien sûr, de pouvoirs accrus pour le Parlement écossais. Et si Cameron redevenait malgré tout Premier ministre ? Ce serait pain bénit pour cette europhile convaincue. Elle profiterait à n’en pas douter de la profonde antipathie des Écossais pour le leader conservateur, mais aussi du référendum que ce dernier a promis d’organiser en 2017 sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, pour relancer un référendum sur l’indépendance de l’Écosse, qu’elle entend, à l’inverse, arrimer fermement au continent.

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