Burundi : les femmes, premières à porter la contestation au centre de Bujumbura
Elles sont parvenues à faire, dimanche, ce qu’aucun groupe de manifestants n’avait jusqu’ici réussi: porter la contestation contre un 3e mandat du président Pierre Nkurunziza dans le centre de Bujumbura, sanctuarisé par la police depuis le début du mouvement.
Depuis que les manifestations ont éclaté le 26 avril, la police cantonne par la force les protestations dans les quartiers périphériques de la capitale, empêchant les manifestants de converger vers le centre-ville pour s’y rassembler, ce qui déclenche des heurts fréquents, brutalement réprimés, parfois à balles réelles. Les violences liées à la contestation ont déjà fait 18 morts au Burundi.
Ce dimanche matin, devant le ministère de l’Intérieur, pas de jeunes armés de pierres, visages couverts de suie ou d’un tissu, qu’on croise sur les barricades. Mais des femmes, plutôt chic – lunettes de soleil, sacs à main, bijoux pour certaines – de tous âges, appartenant visiblement à la classe moyenne de la capitale.
"On est descendu par petits groupes" pour ne pas être repérées par la police, après un appel lancée sur une radio et une télévision privées, explique Amandine, jolie étudiante de 21 ans, descendu avec sa copine Aline, "on est contre le 3e mandat, c’est inconstitutionnel", expliquent les deux filles.
Rassemblées devant le ministère de l’Intérieur, fermé en ce dimanche, elles chantent "On veut la paix, l’unité, la démocratie", en frappant dans leurs mains. D’autres femmes les rejoignent progressivement. Le groupe enfle progressivement et tente alors de rejoindre la Place de l’Indépendance, au coeur de Bujumbura, leur point de rendez-vous initial, où la police les a empêchées de se rassembler. "Relâchez nos enfants", scandent-elles aux policiers, en référence aux nombreux jeunes arrêtés durant les opérations de répression des manifestations, interdites par les autorités, depuis l’annonce de la candidature de Pierre Nkurunziza, le 25 avril, qui a mis le feu aux poudres.
Les policiers mi-embarrassés, mi-amusés ont tout le mal du monde à empêcher le groupe de progresser. Le cortège est bloqué devant la banque centrale, où un officier tente de parlementer. "Les policiers nous disent qu’on a fait passer notre message et qu’on doit partir mais on n’a pas fini, c’est loin d’être fini", lance une manifestante.
Pas touche aux sacs à main
Plutôt que d’affronter la police, les femmes font demi-tour et reprennent leur marche, sous un soleil brûlant. Des policières arrivées en renfort n’y changent rien: bras écartés elle tentent d’empêcher la marche de se poursuivre, mais le groupe s’est encore renforcé et les quelques dizaines de policiers, casqués, peinent à retenir près de 300 femmes désormais, souriantes, mais déterminées qui mains en l’air repoussent les cordons de police.
"Les policiers n’osent pas tirer sur les femmes. Certaines pourraient être leurs mères", s’amuse Kelly, 18 ans, accompagnée de sa soeur Nelly, 17.
Une femme s’énerve contre une policière, un officier calme les esprits en souriant. Un adolescent, soupçonné de tenter de voler dans les sacs, est soudain pris à partie. Il faut plusieurs policiers pour l’arracher à la furie des manifestantes qui l’assaillent de claques et de coups.
"Aujourd’hui nous sommes ici pour soutenir nos frères qui manifestent contre les violations des lois fondamentales de ce pays", explique Elisabeth-Marie, désignée pour s’adresser à la foule, désormais assise sur un des principaux boulevard de la capitale.
"Même un surhomme ne peut pas nous forcer à un troisième mandat", raille-t-elle en référence au fait que M. Nkurunziza, chrétien "born again", dit tenir son pouvoir de la volonté divine, déclenchant rires et applaudissements.
Après une nouvelle vaine tentative de contourner par une rue voisine le cordon policier, les femmes se séparent joyeusement et calmement. "Beaucoup de femmes ont eu peur" à cause de la répression des deux dernières semaines, "mais dimanche prochain nous espérons être encore plus nombreuses", assure Nelly… "Ah non, la semaine prochaine, nous espérons que Nkurunziza aura renoncé!", rit-elle, fière comme les autres d’avoir réussi leur pari.
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