Paul Fokam : « Notre rôle est de promouvoir l’esprit d’entreprise »
Le banquier camerounais souhaite participer activement au développement des pays dans lesquels son groupe s’implante. Dans son viseur : la Côte d’Ivoire et le Togo, entre autres. Et peu importent les critiques qui pointent la fragilité d’Afriland…
Paul Fokam est un homme discret, qui ne goûte guère les entretiens avec les médias. Pourtant, Afriland First Bank, le groupe bancaire qu’il a fondé en 1987 au Cameroun, a depuis rayonné, avec une présence dans neuf pays africains, de la Zambie à la Guinée en passant par le Soudan du Sud et la Guinée équatoriale, son principal actif désormais. Le banquier camerounais, en pleine tourmente depuis que la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) l’a mis en cause en début d’année (lire p. 134), livre à Jeune Afrique sa stratégie de développement et sa vision d’une banque au service des entrepreneurs.
Jeune Afrique : Afriland a été un des premiers groupes bancaires africains à ouvrir des filiales dans d’autres pays du continent. Mais depuis, d’autres sont allés plus vite que vous. Pourquoi ?
Paul Fokam : Les stratégies de développement dépendent essentiellement de la vision de chaque groupe. Dans notre cas, nous avons deux façons de voir le développement de l’Afrique. D’abord sous l’aspect de la promotion de l’entreprise et de l’entrepreneur. Les entreprises africaines sont en grande majorité des PME et des PMI. Les capitaux internationaux n’étaient pas prêts à investir dans ces entreprises sous prétexte que le risque était important, nous avons adopté un rythme de développement rapporté à nos propres moyens. Le deuxième aspect est celui de la création de richesse dans les milieux pauvres. Nous ne voulons pas être seulement une banque qui fait des profits, mais une banque citoyenne qui pense aux populations exclues. Parce que c’est de ces populations que viendront les clients de demain.
Nous discutons avec au moins trois banques en Afrique de l’Ouest, dont BIA Togo. Nous comptons nous implanter dans l’UEMOA en 2013, peut être en Côte d’Ivoire.
Venez-vous de reprendre Access Bank Côte d’Ivoire ?
Nous sommes en négociation exclusive pour une période donnée. Nous discutons avec au moins trois banques en Afrique de l’Ouest, dont BIA Togo. Nous comptons nous implanter dans l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine, NDLR] en 2013. Cela peut être en Côte d’Ivoire ou ailleurs.
Le Gabon vous intéresse-t-il ?
Nous voulons participer activement au développement des pays dans lesquels nous nous implantons, et nous ne sommes pas toujours très pressés d’entrer dans des économies relativement développées.
Dans quels pays allez-vous vous implanter prochainement ?
Nous avons parlé de la Côte d’Ivoire. Nous sommes déjà au Soudan du Sud. La Tanzanie, le Mozambique, l’Ouganda et le Tchad sont tous des pays dont les économies peuvent avoir immédiatement besoin de nos services. Nous avons aussi travaillé sur un projet au Zimbabwe, mais nous y avons renoncé pour deux raisons : la loi d’indigénisation et le minimum de capital de 100 millions de dollars [75 millions d’euros], qui, à notre avis, ne se justifie pas. Aux États-Unis, il faut 10 millions de dollars, 7 millions d’euros en Europe. Difficile de comprendre qu’on nous demande 100 millions dans une économie qui a un potentiel bien trop faible, pour ne pas dire insignifiant, par rapport aux pays précités.
C’est aussi le capital désormais requis en Zambie, où vous comptez une filiale…
Nous n’avons pas de solution à court terme, mais nous pensons qu’il est possible d’expliquer aux dirigeants du pays le bien-fondé d’une politique davantage axée sur le développement économique et sur la nécessité d’avoir des banques innovantes capables d’apporter des solutions idoines aux besoins de l’économie.
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Il y a quelques années vous avez créé un holding, Afriland First Group, qui regroupe toutes les filiales bancaires et qui est basé en Suisse. Pourquoi ce choix ?
Nous avions besoin d’une politique générale identique dans toutes nos banques, avec les mêmes manières d’opérer. La Suisse est l’une des meilleures places financières au monde, avec les moyens de communication les plus appropriés, susceptibles de toucher toutes nos unités en temps réel. Être sur cette place nous permet aussi de mobiliser plus rapidement les fonds nécessaires à notre développement, avec une meilleure visibilité.
Qui sont les actionnaires de ce holding ?
Le FMO [l’agence de développement néerlandaise], le DEG [son homologue allemande] et un groupe d’Africains dirigé par moi-même. Le capital est de plus de 300 millions d’euros. Les fonctions organisationnelles et de coordination, à savoir les ressources humaines, la direction générale, la direction du risque, la direction du contrôle des engagements et la direction du marketing, sont basées à Genève. D’autres fonctions très opérationnelles, telles que l’audit par exemple, sont placées en Afrique pour des raisons de commodité.
Que vous ont inspiré les difficultés de Commercial Bank, l’autre grand groupe bancaire camerounais ?
Nous ne sommes pas un grand groupe bancaire camerounais, nous sommes un groupe bancaire africain. Je suis certes de nationalité camerounaise, mais nous avons d’autres actionnaires qui ne sont pas camerounais. Je n’ai pas de commentaires ou d’analyse particulière sur les difficultés de Commercial Bank. On peut aussi parler des difficultés des banques nigérianes, par exemple. Notons que quand Citi aux États-Unis ou Fortis en Europe ont connu des difficultés, les autorités ont tout fait pour les sauver. En Afrique, on a l’impression que certains sont contents qu’une banque disparaisse. Ceux-là semblent ignorer que la faillite d’une seule banque a sans doute un impact désastreux sur l’ensemble du système bancaire et, partant, sur l’économie.
Un rapport récent de la Cobac attaque lourdement votre groupe et sa gestion. Contestez-vous les éléments contenus dans ce document ?
Je ne suis pas habitué à commenter les rapports de la Commission bancaire dans la presse, malgré le fait que ce rapport se trouve aujourd’hui sur la place publique alors qu’il est supposé être confidentiel. Le principe d’un tel rapport, c’est la contradiction. Il y a eu un problème d’interprétation des textes. Nous avons fait connaître nos observations. Le dossier a été remis à une tierce partie, en l’occurrence les commissaires aux comptes. Nous attendons leurs conclusions.
Nous voulons être une banque citoyenne qui pense aux populations exclues.
Le rapport de la Cobac parle de fonds propres négatifs. Pouvez-vous rassurer vos clients ?
Vous les avez rassurés vous-même dans une édition antérieure de votre journal. Les performances d’Afriland First Bank, sa rentabilité, la distribution de dividendes tous les ans, sa liquidité, ses positions dans tous les pays et la qualité de ses services sont là pour mettre en évidence la solidité du groupe. Et même s’il était prouvé qu’une de nos banques était en difficulté, la solidité de son actionnariat permettrait de résoudre le problème.
Pensez-vous que l’Afrique soit un terrain de plus en plus favorable à la création d’entreprise ?
Contrairement à ce que laisse entendre une certaine opinion, l’Afrique est un terrain favorable à la création d’entreprise et donc à la création de richesse. Les sociétés qui mesurent le risque en Afrique exagèrent et multiplient celui-ci par deux ou trois. Le continent est une importante réserve d’hommes et de consommateurs.
Que dire de l’entrepreneuriat en Afrique ?
De façon globale, il y a un manque de maturité entrepreneuriale. Le rôle des banques, c’est d’inciter, de promouvoir le concept même de l’entreprise. Beaucoup d’entrepreneurs considèrent ainsi l’entreprise comme quelque chose à laquelle ils doivent être attachés à vie et pensent que posséder seuls des actions dans une entreprise leur garantit quelque chose. Cela ne leur garantit rien du tout, si ce n’est l’échec.
Quel regard portez-vous sur la croissance économique soutenue en Afrique au cours de ces dernières années ?
Ce n’est que de la poudre aux yeux. Pour une raison toute simple. L’Afrique enregistre un taux de croissance économique de 5 %, mais son taux de croissance démographique moyen, qui est de 2,8 %, ainsi que son taux d’inflation moyen, qui est de 3 % obèrent cette performance. L’Afrique se doit de réaliser une croissance minimum de 10 % pour espérer changer la donne.
Quand la Cobac s’en mêle
Depuis avril, Afriland First Bank a la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) contre lui. Cette dernière a en effet enclenché une procédure disciplinaire à l’encontre de la filiale camerounaise de la banque et de ses dirigeants, dont Paul Fokam. Dans une charge brutale, l’institution de surveillance reproche notamment les conditions dans lesquelles les participations de la banque dans les autres filiales du groupe ont été cédées à Afriland First Group, le holding basé en Suisse ; mais aussi une gouvernance insuffisante. « Le président du conseil d’administration s’ingère souvent dans la gestion courante, reléguant la direction générale au second rang », note ainsi le rapport de la Cobac, qui estime que le contrôle interne et la lutte contre le blanchiment sont insuffisants. Interrogé sur le sujet, Paul Fokam précise que les règles de bonne gouvernance sont appliquées au sein de son groupe.
Le rapport estime également que « près de 40 % des engagements sont improductifs », avec « une sinistralité importante en grande partie imputable aux engagements portés sur les entreprises du groupe que la banque […] finance de manière inconsidérée depuis plusieurs années, directement ou à travers ses filiales CenaInvest et Sapa ». Paul Fokam commente : « Je ne possède pas d’entreprises en tant que telles, j’ai une université privée qui n’emprunte pas d’argent à la banque. Tout ce qu’on peut vous dire d’autre est faux. » Le banquier camerounais ajoute : « Si vous lisez bien le rapport, vous comprendrez que l’essentiel de ce qui s’y trouve est faux. La banque a créé un fonds d’investissement [CenaInvest, NDLR], qui prend des parts minoritaires dans des entreprises – dont je ne connais même pas certains promoteurs – dans toute l’Afrique centrale. En quoi suis-je concerné ? Il y a une ignorance de certains, qui font des interprétations malveillantes. »
L’épée de Damoclès reste toutefois au-dessus de la filiale camerounaise : outre la procédure disciplinaire enclenchée, la Cobac évalue à 57,4 milliards de F CFA « au moins » (87,5 millions d’euros) les fonds propres supplémentaires nécessaires pour couvrir les provisions qu’elle recommande. Paul Fokam dément, ajoutant que l’actionnariat de son groupe, composé de deux institutions financières européennes de renom (FMO et DEG), est suffisamment solide. F.M.
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