États-Unis : Loretta Lynch, la justicière
Au bout d’un anormalement long processus de nomination, Loretta Lynch est devenue fin avril la première femme noire ministre de la Justice des États-Unis, dans un contexte de vives tensions raciales. Portrait d’une femme exemplaire, qui a la lourde tâche de réconcilier la communauté africaine-américaine avec sa police.
Un véritable baptême du feu. À peine Loretta Lynch prêtait-elle serment, le 27 avril dernier, en tant que nouvelle ministre de la Justice des États-Unis (attorney general) que Baltimore était la proie des flammes suite au décès de Freddie Gray, un jeune Noir de 25 ans, alors qu’il était aux mains de la police, le 12 avril.
À 55 ans, la première femme noire à occuper ce poste s’est donc trouvée catapultée sur le devant de la scène, comme son prédécesseur, Eric Holder, l’avait été lorsque de graves troubles avaient secoué Ferguson après la mort de Michael Brown.
Holder s’était par la suite attiré les foudres des syndicats de policiers pour avoir vivement critiqué les arrestations plus que musclées des membres des minorités par les polices du pays. Lynch a quant à elle promis un changement de ton. Elle a réagi a minima en condamnant les "actes insensés de violence" commis à Baltimore, laissant à Obama le soin de mentionner les causes profondes de l’exaspération de la communauté noire, lors d’un discours remarqué, pointant du doigt une "crise larvée" et la manière "incorrecte" dont certains policiers se comportent avec les jeunes Noirs pauvres.
Les vestiges de la ségrégation raciale
Lynch ne s’est pas non plus rendue sur place à la différence d’Holder à Ferguson. La situation est cependant assez différente puisque la jeune procureure noire de la ville, Marylin Modsy, a décidé de poursuivre les six policiers – trois Blancs et trois Noirs – impliqués dans l’arrestation de Gray.
Une annonce, inédite par sa rapidité, qui a été accueillie par les manifestations de joie de la communauté afro-américaine de la ville, habituée à l’impunité de la police. Et qui a du coup a relégué Lynch au second plan. Pour l’instant.
Car s’il y a bien une personne toute désignée pour combler le fossé entre la communauté noire et la police, c’est Loretta Lynch, native de la Caroline du Nord, dont le père, un pasteur, et la mère, une documentaliste, ont connu les lois ségrégationnistes du sud des États-Unis.
La jeune Loretta en a connu des vestiges. En 1977, alors qu’elle était la meilleure élève de son collège de Durham, elle avait dû partager le diplôme la récompensant avec deux élèves blancs, par peur du scandale. Diplômée d’Harvard, et après un passage dans le privé, Lynch, très "bûcheuse" et "intelligente" selon l’une de ses camarades de promotion, Sharon Malone, qui n’est autre que la femme de Holder, rejoint le bureau du Procureur pour l’est de New York.
Elle se fait un nom en poursuivant les policiers responsables du tabassage en 1997 de l’immigrant haïtien Abner Louima. Pour le sénateur démocrate de New York, Charles Schumer,"Lynch a réussi à se faire adorer tant de la police que des minorités". Après un retour dans le privé, où elle rencontre son futur mari, Stephen Hargrove, salarié de la chaîne de télévision Showtime, Lynch devient procureur de Brooklyn en 1999. Elle y acquiert une réputation de femme de fer.
"Dure au mal et diplomate"
"Elle a une main de fer dans un gant de velours. Elle est dure au mal et en même temps diplomate", indique un ancien collègue. Le principal fait d’armes de Lynch : la poursuite du mafieux Vincent Asaro pour le vol de 6 millions de dollars à l’aéroport JFK, il y a 36 ans. Une affaire immortalisée au cinéma dans le film Goodfellas.
Ses qualités ont été scrutées de près lors du processus de confirmation de Lynch devant le Sénat. Elle a dû en effet attendre plus de cinq mois – un record absolu – avant d’être adoubée par le Sénat républicain, en raison d’obscures divergences sur un projet de loi sur la traite des êtres humains.
D’autres y ont vu une motivation raciste, à commencer par le révérend Al Sharpton."Pourquoi la première femme noire candidate à ce poste est-elle traitée de manière aussi irrespectueuse ?", s’est-il demandé. Et un sénateur démocrate a même comparé Lynch à Rosa Parks. L’Amérique, que ce soit dans les rues de Baltimore ou dans les salons feutrés du Congrès, n’en a pas fini avec ses démons raciaux.
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