Street art – Shoof : « Quand Ben Ali est parti, on s’est exprimé ! »

Du 5 au 30 mai 2015, la galerie Itinerrance accueille le graffeur tunisien Shoof, à travers l’exposition « Dripping Point ». Le « calligraffeur », armé uniquement d’un pinceau et de peinture, s’empare de la lettre arabe pour mieux la déconstruire.

Shoof, en plein travail sur une maison du village d’Erriadh sur l’île de Djerba, en août 2014 © Shoof/Facebook

Shoof, en plein travail sur une maison du village d’Erriadh sur l’île de Djerba, en août 2014 © Shoof/Facebook

Publié le 6 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

En poussant la porte du 7bis rue René Gosciny à Paris, n’ayez pas peur de plonger dans l’obscurité de la galerie Itinerrance. Simplement éclairé par une lumière noire, l’endroit resplendit des œuvres de Shoof.

Hosni Hertelli, de son vrai nom, manie le pinceau comme d’autres les bombes et le qalam. Pourtant, l’artiste tunisien de 35 ans, avant de vivre de sa passion, a suivi un parcours académique des plus classique : étudiant en droit à Tunis et à Paris, ce n’est qu’en 2007 qu’il se lance dans le street art.

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Son travail s’inspire de la calligraphie classique, mais ne cherche pas à donner un sens aux lettres arabes : Shoof se les approprie et les utilise pour nous livrer une peinture brute, presque géométrique. Il est à la calligraphie ce que le déconstructivisme est à l’architecture.

Le graffeur est devenu aujourd’hui un acteur incontournable du street art tunisien, boosté par la révolution de 2011. Entretien avec l’artiste. 

Jeune Afrique : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours ? Et d’où vous vient votre passion du graffiti ?

Shoof : Je suis né à la Médina de Tunis et j’y ai passé mon enfance dans les années 1980. Après le Bac, j’ai étudié le droit privé, et en 2004 je suis venu à Paris pour continuer mon cursus, un Master d’Histoire et d’Anthropologie juridique. Ensuite je me suis inscrit en thèse de droit public. C’est à la fin de cette première année, en 2007, que la calligraphie est venue à moi ! Aujourd’hui, j’en ai fait mon métier puisque cela fait quelques années que je réussis à en vivre. 

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Votre succès vous permet d’exposer vos œuvres dans des galeries d’art. Est-ce que vous graffez encore dans la rue aujourd’hui ?

C’est vrai, je travaille essentiellement pour des projets, comme la Tour Paris 13 ou Djerbahood, mais bien sûr il m’arrive de graffer dans la rue, gratuitement. Par contre, mon travail est  plus "friche" que "cité" : si j’ai envie de dessiner sur un mur je le fais, et d’ailleurs peu importe si les gens le voit ou pas. Je ne suis pas trop pour la communication à outrance de mes dessins. Je fais mon boulot, qu’il soit ensuite vu, ce n’est pas mon but ultime. Faire des vidéos de chacun de mes travaux, je pense que cela n’a pas de sens.

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Quelle est votre méthode de travail ?

Je prends la lettre arabe comme prétexte, mais je la retravaille, je veux désacraliser la calligraphie classique. Ce qui en ressort est illisible, même pour les arabophones. Pour dessiner, j’utilise le moins d’outils possible : une toile ou un mur et un pinceau, que je façonne à ma façon. Et je ne modifie jamais mes dessins : je n’utilise ni gomme ni ordinateur. Je travaille en one shot.

Constatez-vous un nouvel engouement pour le street art depuis la révolution tunisienne ?

Oui, et je crois que c’est normal. Les gens ont moins peur, donc forcément ils s’expriment plus. Pour moi, c’est le seul et unique gain de ce qui s’est passé en Tunisie, et forcément, il y a plus de "pratiquants", donc plus de murs peints. Le street art existait déjà avant la révolution, mais la dictature policière qui régnait dans le pays restreignait beaucoup sa diffusion, cela ressemblait plus à du "graff sauvage". Quand Ben Ali est parti, on s’est exprimé !

Pensez-vous  que le street art soit un moyen d’expression politique et social dans le monde arabe ?

Bien sûr ! Mais ce fait n’est pas nouveau. Depuis le tout début du street art en Tunisie, dans les années 1990, les graffs sont des vecteurs de revendication, de communication avec le peuple, mais aussi de réappropriation de l’espace public. Par contre, pour moi, ce ne sont pas des conditions sine qua none pour faire du street art. Je dirais même que, personnellement, cela  m’importe peu. Quand je vois un mur ou un support dans la rue, c’est sa pertinence et la force émotionnelle qu’il dégage qui vont m’attirer. Certains graffeurs veulent juste faire de l’art contextuel. Une esthétique particulière peut l’interpeller, et fera qu’il interviendra sur ce mur-là, et pas un autre.

Quels sont vos projets à venir ? Allez-vous exposer en Tunisie ou dans un autre pays arabe ?

Mehdi Ben Cheikh (le directeur de la galerie Itinerrance ndlr) organise une exposition collective au mois de juin en Tunisie, dont je ferai partie. Je participerai aussi à un spectacle qui aura lieu en novembre, au musée du Quai Branly à Paris. C’est une collaboration avec une compagnie de derviches tourneurs. C’est déjà pas mal. Pour la suite, on verra … 

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