Cameroun : quand l’économie ronronne…

Chute des cours du pétrole, effort de guerre, climat des affaires pesant… Le Cameroun fait face à de nombreux obstacles. Et le port de Kribi, censé dynamiser la croissance, est loin d’être terminé.

Le complexe portuaire de Kribi, au Cameroun, comptera à terme une vingtaine de terminaux. © Abel Aimé Menoba

Le complexe portuaire de Kribi, au Cameroun, comptera à terme une vingtaine de terminaux. © Abel Aimé Menoba

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Publié le 11 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

dossier-cameroun-ja © Renaud Van Des Meeren/J.A.
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Cameroun : mobilisation générale !

Face à Boko Haram, les Camerounais resserrent les rangs. Pendant qu’une nouvelle génération émerge, prête à assurer la relève et à assumer son rôle dans le développement du pays.

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Bonne nouvelle pour le Cameroun. En tenant bon face à Orange et à MTN, deux géants de la téléphonie mobile qui cherchent à renouveler leurs licences, le gouvernement a donné un peu d’air frais aux finances de l’État. Plus de 150 milliards de F CFA (près de 230 millions d’euros) vont tomber dans l’escarcelle des pouvoirs publics, qui auront ainsi les moyens de donner un coup de fouet à un secteur des technologies de l’information et de la communication moribond – avec un taux de pénétration d’internet bloqué à 7 % – et, dans la foulée, à l’économie nationale.

Car le Cameroun n’arrive toujours pas à se conformer aux ambitions affichées dans son Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE), qui doit permettre au pays d’accéder à l’émergence en 2035. Alors que le PIB devait progresser de 6,1 % en 2014, sa hausse s’est finalement arrêtée à 5,1 %, selon le FMI. Ce qui est « insuffisant pour entraîner un véritable décollage de l’économie et réduire la pauvreté », reconnaît un rapport récent du ministère des Finances, qui estime que le Cameroun dispose du potentiel « pour atteindre chaque année des taux supérieurs à 10 % ».

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Flou artistique

Les dépenses liées à la sécurité, qui affectent aussi bien l’activité touristique que les échanges commerciaux avec le Nigeria, conjuguées à la chute des recettes pétrolières – malgré une production en hausse en 2014 -, ne devraient pas améliorer le contexte à moyen terme. Même si, dans le même temps, la baisse des cours des hydrocarbures allège l’exorbitante ardoise des subventions au carburant, estimée à 330 milliards de F CFA rien que pour l’année dernière.

Incité à participer à l’effort de guerre contre Boko Haram, le secteur privé s’acquitte de cet « impôt informel » en rongeant son frein. Certes, une partie des entreprises profitent des généreuses exonérations offertes par la loi sur les incitations à l’investissement.

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Mais les patrons déplorent la pesanteur du climat des affaires, comme l’illustre la dégringolade de dix places du pays dans le dernier classement « Doing Business 2015 » de la Banque mondiale. Le Cameroon Business Forum, qui rassemble les représentants du secteur privé et des pouvoirs publics sous l’autorité de la Société financière internationale (IFC, groupe Banque mondiale), a déjà désigné le coupable de cette inertie ambiante : l’hôte du palais d’Etoudi…

Pour relancer une machine – au mieux – ronronnante, le gouvernement compte lever pour la première fois un eurobond de 1,5 milliard d’euros afin de financer un Plan d’urgence pour l’accélération de la croissance économique. Même si son contenu a été dévoilé, l’initiative renforce le flou artistique qui entoure la politique économique, et plus généralement la gouvernance du Cameroun aux yeux des milieux d’affaires. En dehors de la santé, avec la construction et la réhabilitation d’hôpitaux, et de quelques projets de logements sociaux, « les autres volets du plan d’urgence présentent des niveaux de maturité très faibles », déplore Emmanuel Nganou Djoumessi, le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire.

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Ville balnéaire

L’un des principaux freins à la croissance réside dans les insuffisances récurrentes du port de Douala (lire l’encadré ci-dessous), par où transitent 95 % des produits exportés. « L’un des sites portuaires les plus désastreux au monde », selon un armateur, exaspéré par les problèmes de congestion à répétition des terminaux. Entre l’ensablement du chenal d’accès et l’absence d’infrastructures de manutention modernes adaptées à l’intensité du trafic, le temps de passage des marchandises est de vingt-deux jours. « Il est cinq fois plus long à Douala qu’à Durban », selon une étude de la Banque mondiale.

Pour inverser la tendance, le pays compte sur les équipements en cours de construction à Kribi, dans le sud du pays. Cette petite ville balnéaire est au centre du plus grand chantier à ciel ouvert d’Afrique centrale. La première phase de la construction de ce complexe industrialo-portuaire, entamée en 2011, s’est achevée avec la réception des premiers terminaux courant 2014. Certains quais sont déjà opérationnels, même si l’attribution des concessions se fait encore attendre. Au total, une vingtaine de terminaux seront construits.

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En plus d’un centre de stockage d’hydrocarbures géré par la Société camerounaise des dépôts pétroliers (SCDP) et le canadien Blaze Energy, deux plateformes industrielles verront également le jour. La première, destinée à l’exportation du gaz liquéfié, sera gérée conjointement par GDF-Suez et la Société nationale des hydrocarbures (SNH) ; la seconde assurera la transformation du minerai de fer en provenance du gisement de Mbalam-Nabeba, situé à la frontière congolaise et exploité par l’australien Sundance. Dans le même temps, Rio Tinto Alcan (RTA) maintient son projet d’aluminerie, d’une capacité annuelle de 1,2 million de tonnes, dont le coût est estimé à près de 9 milliards de dollars (environ 8,5 millions d’euros).

Plus d’une trentaine d’industriels, dans les secteurs de la métallurgie, de la pétrochimie, du ciment, de l’agro-industrie ou de la logistique, ont déjà sollicité une réserve foncière. Un projet de zone économique spéciale (ZES) de plusieurs milliers d’hectares suscite déjà l’intérêt d’opérateurs chinois. L’ensemble de ces projets pharaoniques devrait permettre la création de 10 000 emplois directs, et la ville nouvelle de Kribi compterait 100 000 habitants. Pour le plus grand bénéfice de l’économie.

« Selon nos projections, le pays va gagner 1,5 point de croissance chaque année, une fois le complexe totalement opérationnel », affirme un proche du dossier. Une estimation plutôt optimiste, fondée sur l’objectif de faire de Kribi un « port d’éclatement » (où les conteneurs acheminés par des navires principaux sont chargés sur de plus petits navires), censé capter une partie du trafic maritime transitant par le golfe de Guinée. Encore faudrait-il lever très vite les doutes concernant les voies d’évacuation terrestres. Pour ne pas faire de Kribi un « port de stockage » semblable à celui de Douala.

Douala, port en eau trouble 

Le projet suscite tous les espoirs. « Kribi va résoudre les problèmes de congestion de Douala et contribuer à son enrichissement », affirme, optimiste, un responsable du comité de réalisation et de suivi du futur port. Selon lui, le plan de modernisation qui attribue aux quais de Douala une fonction commerciale et à ceux de Kribi le double rôle de complexe industrialoportuaire et de plateforme d’éclatement pourrait renforcer les capacités maritimes du Cameroun.

Le port de Kribi devenu opérationnel, les routes maritimes dans le golfe de Guinée devraient se trouver largement modifiées. Et ce terminal de transbordement pourrait détrôner Pointe- Noire,Tema et Abidjan, qui se partagent aujourd’hui le trafic dans la sous-région. Pour y parvenir, les responsables du projet souhaitent jouer sur les prix.

« Nous imposerons une baisse des tarifs aux futurs gestionnaires des terminaux qui aura obligatoirement des répercussions sur les frais de passage à Douala », poursuit l’expert. Des études indiquent qu’une réduction de 10 % à Kribi induira une baisse de 7 % sur les prix en vigueur à Douala. Une bonne nouvelle pour la compétitivité d’un port jusqu’alors critiqué pour ses insuffisances. À charge pour sa communauté portuaire d’être à la hauteur du défi en réalisant les investissements nécessaires. Les cadences de travail ne risquent certainement pas de faiblir à Douala, « surtout si des barges capables de contenir des centaines de conteneurs sont mises en ligne entre Douala et Kribi », estime un opérateur local.

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Par Omer Mbadi, à Douala

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