Maroc : les anges déchus de Sa Majesté

Ils ont contribué à l’expansion des activités économiques du Palais, mais sont brutalement tombés de leur piédestal en raison de leur imprudence ou de graves écarts de gestion, voire de malversations. Retour sur leurs parcours.

Khalid Oudghiri, Saad Bendidi, Karim Zaz, Hassan Bouhemou, Anas Alimi. © Aline Zalko/Agent 002 pour J.A.

Khalid Oudghiri, Saad Bendidi, Karim Zaz, Hassan Bouhemou, Anas Alimi. © Aline Zalko/Agent 002 pour J.A.

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 15 mai 2015 Lecture : 7 minutes.

Lundi 13 avril, tribunal correctionnel de Casablanca. Il est 13 heures précises quand le président, Abdellatif Belhmidi, commence à donner lecture du verdict dans l’affaire Zaz. Mais, à cause du brouhaha – la salle est archicomble – et de l’absence de micros, personne ne parvient à entendre distinctement le juge. Avocats et journalistes se ruent à la barre pour attraper au vol quelques bribes de l’énoncé des peines dont ont écopé les douze prévenus.

Karim Zaz, 49 ans, ancien patron de l’opérateur téléphonique Wana, filiale du holding royal Société nationale d’investissement (SNI), est condamné à cinq ans de prison ferme pour constitution de bande criminelle, faux et usage de faux, et détournement d’appels internationaux. Son avocat, Me Amin Lahlou, annonce qu’il va faire appel.

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JA2833p048 5 Karim Zaz cAline Zalko Agent002 JAArrêté le 3 mars 2014, le « David marocain des télécoms », qui avait lancé la diversification du conglomérat royal dans le secteur, n’a cessé de clamer son innocence depuis sa cellule de la prison d’Oukacha, à Casablanca, où il a été placé en détention préventive, se disant victime d’un complot et entamant même une grève de la faim en octobre dernier pour obtenir la clémence royale. Sans succès.

Les auditions ont continué le plus normalement du monde. Karim Zaz est soupçonné d’être à l’origine de la création de plusieurs sociétés à l’étranger qui détournaient les communications internationales en direction du Maroc, les faisant passer par un réseau clandestin high-tech, ce qui a permis à l’intéressé et à ses complices d’empocher ensuite des revenus en devises.

« Il n’était pas blanc comme neige, mais le dossier est mal ficelé. Il faut être fou pour voler le roi, surtout pour quelqu’un qui a vu comment son ex-collègue Khalid Oudghiri, ancien patron d’Attijariwafa Bank, a été brutalement traîné en justice ! » s’exclame un patron casablancais.

L’histoire de Khalid Oudghiri, 58 ans, est aussi celle d’une ascension et d’une chute. Tout commence en novembre 2003, quand ce banquier réalise la plus grande opération de fusion de l’histoire du secteur dans le royaume en rachetant, via la Banque commerciale du Maroc (BCM, un établissement royal), qu’il dirigeait à l’époque, la Wafabank de la famille Kettani.

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Un coup de maître qui permet à la maison mère de la BCM, l’Omnium Nord Africain (ONA, absorbé depuis par la SNI), de créer un géant financier pesant 9 milliards de dirhams (à l’époque environ 793 millions d’euros) de fonds propres et doté d’un portefeuille de 1,2 million de clients.

JA2833p048 4 Khalid Oudghiri cAline Zalko Agent002 JAOudghiri devient la star incontestée du capitalisme marocain, mais son arrogance et son indépendance vont lui attirer les foudres de ses supérieurs. Ces derniers n’apprécient guère les rapports privilégiés qu’il a noués avec les actionnaires ibériques d’Attijariwafa Bank (Santander) ni son attitude de diplomate autoproclamé lorsqu’il est reçu, lors d’un voyage en Tunisie, par le président Zine el-Abidine Ben Ali. Sans oublier un rapport où il préconise le désengagement du holding royal du coeur de l’économie. C’en était trop pour ses supérieurs, qui décident de convoquer un conseil d’administration dans les quarante-huit heures.

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Sèchement remercié, Oudghiri part se faire oublier en Arabie saoudite à la banque Al-Jazira, au poste de directeur général. Le 1er août 2008, il est rattrapé par une plainte pour corruption déposée contre lui par Abdelkrim Boufettas, un notable soussi, qui affirme lui avoir versé un pot-de-vin de 20 millions de dirhams en contrepartie de facilités de crédit. En février 2011, il est condamné par contumace à vingt ans de prison pour « complicité de faux et escroquerie », alors que Boufettas n’est pas inquiété.

Oudghiri rentrera au pays en 2012 à la faveur d’une grâce royale. Peu avant cette grâce, des médias avaient rapporté son intention de publier ses Mémoires, dont il ne démentira jamais l’existence. Entendait-il faire pression sur ses anciens patrons pour obtenir une grâce ? Depuis son retour au Maroc, il est à la tête d’un fonds d’investissement, Almamed, et se fait discret.

Démis séance tenante

L’affaire Oudghiri n’avait pas fini d’ébranler le microcosme financier qu’une autre affaire éclatait au grand jour. Le 11 avril 2008, lors d’un conseil d’administration organisé encore une fois en quarante-huit heures, le président de l’ONA, Saad Bendidi, 56 ans aujourd’hui, est débarqué à cause de problèmes financiers liés à la filiale Wana. Jamais un président de l’ONA n’avait été démis ainsi, séance tenante. Le communiqué est assassin : défaillances dans la planification, prévisions non maîtrisées, manque de réactivité… Ce jour-là, Bendidi présente un business plan pour Wana, où il demande une rallonge de 4,5 milliards de dirhams par rapport à l’enveloppe d’investissement initialement prévue. Les administrateurs ne comprennent pas ce grand écart.

JA2833p048 2 Saad Bendidi cAline Zalko Agent002 JADès la première année de son existence, en 2007, la société engloutit 7 milliards de dirhams. Pour la maison mère, il n’est pas question de réinjecter le moindre dirham avant d’avoir des assurances de la part de Bendidi en matière de retour sur investissements. Le conseil d’administration se transforme donc en grand oral. Mais Bendidi ne parvient pas à convaincre. Son mandat lui est retiré illico presto. Pourquoi lui a-t-on fait porter le chapeau, alors que Wana est présidé et géré par Karim Zaz ? Ironie du sort, le même Zaz sera rattrapé quelques années plus tard par la roue de l’infortune…

Brillant centralien, ancien vice-président du groupe d’Othman Benjelloun, FinanceCom, fondateur de Méditel, deuxième opérateur de téléphonie mobile du pays, Saad Bendidi est un oiseau rare. Ce qui n’a pas échappé aux managers royaux, qui réussissent à le ramener dans leur escarcelle en 2005 afin de lancer leur propre activité de télécoms. Et lui confient la prestigieuse présidence du groupe ONA. « Ce qu’on a reproché à Bendidi, ce n’est pas tant ses projections financières extravagantes sur Wana que son absence de réaction face aux signaux d’alerte sur la santé de l’opérateur », explique-t-on dans les milieux financiers.

Éjecté, Bendidi tente lui aussi de se faire oublier. Il évite les mondanités, décline les offres de salariat et choisit de créer une petite société d’investissement, Jasia Holding, qui va racheter une entreprise de mobilier de bureau, Haworth Maroc, dont il triplera le chiffre d’affaires en moins de quatre ans. En 2013, Moulay Hafid Elalamy réussit à le convaincre de travailler pour lui en tant que directeur général délégué du groupe Saham.

>>>> Lire aussi – Saâd Bendidi : le retour de l’enfant prodigue

Épuration

Au moment du départ de Bendidi, l’ONA affichait un chiffre d’affaires consolidé de 36,6 milliards de dirhams, avec onze filiales, sans compter la myriade de participations financières de son actionnaire de référence, la SNI.

JA2833p048 3 Hassan Bouhemou cAline Zalko Agent002 JAEn 2010, le président de cette dernière, Hassan Bouhemou, 47 ans, surnommé « la calculette » en raison de ses capacités phénoménales d’analyse financière, concocte une cure d’amincissement ingénieuse pour le mastodonte : une fusion ONA-SNI qui permettrait à la nouvelle entité de devenir une simple société de participation financière en se désengageant des filiales qui fabriquent des produits de base (huile, sucre, lait…) et de se repositionner sur de nouveaux secteurs comme les télécoms, les énergies renouvelables, la finance…

Mais Bouhemou ne réussit pas à redorer l’image de la SNI. En outre, ses relations avec son mentor, Mohamed Mounir Majidi – président du holding royal Siger -, celui-là même qui l’avait débauché en 2001 de Marfin, la société de gestion d’actifs de la BMCE d’Othman Benjelloun, se sont dégradées. « Il avait tellement de pouvoir qu’il ne ménageait pas ses supérieurs », confie un patron. Sa chute interviendra après un article-entretien paru dans l’hebdomadaire français Le Point, en juillet 2014, où il est présenté comme « le trésorier du roi ».

À cela s’ajoute le scandale immobilier de la Compagnie générale immobilière (CGI), qui a coûté son poste à son ami Anas Alami, président de la maison mère de celle-ci, la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), surnommée la Makhzen Bank. Bouhemou quitte le navire royal le 1er octobre à l’issue d’un conseil d’administration resté courtois. À ses proches, il dira que c’est lui qui voulait partir pour « raisons personnelles ». Voire…

noopener noreferrer" target="_blank">JA2833p048 1-Anas Alami cAline Zalko Agent002 JAQuelques mois plus tard, les membres de son clan passent à la trappe. Mohamed El Amrani, président de Marjane Holding, est débarqué pour irrégularités de gestion, les actionnaires de la SNI ayant constaté qu’il avait engagé le holding dans des opérations immobilières qui n’étaient pas dans son coeur de métier. Driss Bencheikh, président de Wafa Assurance, démissionne, alors qu’il venait de rejoindre son poste. Sans oublier Anas Alami, actuellement auditionné par le juge d’instruction de Fès pour dilapidation des deniers publics. Les hommes de Bouhemou ont tous disparu de l’échiquier. Comme si on voulait effacer toute trace de lui…

Même si elles ont éclaté au grand jour, ces disgrâces resteront nimbées d’un certain mystère. Une chose est sûre, ces petits dieux déchus ont fortement contribué à la modernisation des activités économiques du Palais ces quinze dernières années, et les conditions de leur départ intriguent le monde des affaires. « La jeune élite hésite désormais à briguer ce type de postes », se désole un patron casablancais. Une situation à laquelle les nouveaux managers de la SNI, notamment son patron, Hassan Ouriagli, devraient remédier.

>>>> Maroc : grandeur et décadence de la CDG

Dans la haute administration aussi

Ils faisaient partie des stars de la haute administration et ont été brutalement déchus après la publication de rapports corsés de la Cour des comptes. Le plus emblématique reste Taoufik Ibrahimi, ancien patron de la compagnie maritime Comanav, condamné en 2013 à cinq ans de prison ferme dans une affaire aussi mystérieuse que le chef d’accusation : « Atteinte à la sécurité de l’État ». Ibrahimi était soupçonné d’avoir encouragé les conflits sociaux dans la compagnie afin de l’affaiblir et de la racheter par la suite à vil prix. Accusation abandonnée au cours du procès.

Autre cas emblématique : Abdelhanine Benallou, ancien directeur de l’Office national des aéroports (Onda), condamné à cinq ans de prison pour dilapidation de deniers publics. Ces condamnations, comme celles qui ont frappé de grands patrons, montrent néanmoins que la moralisation de la vie publique suit son cours.

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