La France en face

Robert Ménard, le très zemmourien (du nom de son jumeau médiatique, lui aussi déraciné d’Algérie) maire de Béziers, est un ancien secrétaire général de Reporters sans frontières.

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Publié le 11 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

C’est un homme (très) intelligent et, surtout, un as de la provoc qui sait mieux que personne susciter la polémique. Il faut lui reconnaître qu’il récolte le plus souvent les fruits escomptés. Dans sa ville, il a par exemple débaptisé la rue du 19-Mars-1962, date des accords d’Évian, qui se nomme désormais rue du Commandant-Hélie-Denoix-de-Saint-Marc, un homme qui participa au putsch des généraux contre de Gaulle au nom de l’Algérie française.

Premier effet : un coup de pub pour lui et un carton plein auprès de son électorat d’extrême droite. Deuxième effet, tout autant recherché : il ridiculise tous ceux, et ils furent nombreux, qui s’insurgèrent de manière pavlovienne contre ce choix, poussant des cris d’orfraies sans même savoir qui était réellement Hélie de Saint-Marc.

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Un sacré bonhomme et un excellent écrivain dont la vie exceptionnellement riche ne se résumait pas, loin s’en faut, à avril 1961. En lieu et place de ces réactions primaires entretenues par des médias qui ne voient souvent que l’écume des choses, l’affaire aurait sans doute mérité plus de recul… Nouvelle provocation et nouveau tollé le 4 mai. Notre ex-confrère confesse avoir recensé les élèves de Béziers dont les prénoms semblent indiquer qu’ils sont de confession musulmane.

En France, la collecte de données fondées sur l’origine ethnique ou religieuse est illégale. Mais laissons de côté l’affaire Ménard elle-même pour nous intéresser, sans polémique inutile, au débat qu’elle suscite : ces fameuses statistiques ethniques ou religieuses. Principal argument à l’appui de leur interdiction, répété tel un mantra : elles seraient contraire au modèle républicain et à ses principes d’intégration.

>> À lire aussi : France : cinq clés pour mieux comprendre le débat sur les statistiques techniques

Il s’agirait d’une manifestation de défiance à l’égard du processus d’intégration des populations d’origine étrangère. Or c’est justement là que le bât blesse : le modèle français en la matière ne se signale pas par l’excellence de ses résultats. Manuel Valls, le Premier ministre, l’a pour la première fois reconnu en parlant récemment d’un "apartheid territorial, social et ethnique".

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Et la dernière enquête du Migrant Integration Policy Index (Mipex), un organisme de la Commission européenne qui mesure les performances de 38 pays à travers le monde, vient de le confirmer. La France arrive loin derrière la Suède, la Finlande, le Canada, les Pays-Bas, les États-Unis, le Portugal, ­l’Espagne, ­l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne…

Vous avez dit modèle ? Tout montre au contraire que les statistiques ethniques sont indispensables pour mieux connaître et comprendre l’évolution de la société française afin d’agir, pour combattre les clichés des semeurs de haine concernant le communautarisme ou le coût de la "déferlante" migratoire. Comment mener des politiques efficaces en matière d’intégration et lutter contre les discriminations dans le brouillard, sur la base de simples approximations ? Imagine-t-on un médecin soigner une malade sans avoir établi un diagnostic préalable ?

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Pas question pour autant de passer d’un extrême à l’autre en autorisant n’importe qui à faire n’importe quoi. Les écueils sont réels, mais ils n’ont rien d’insurmontable. La France est une vieille démocratie, ce qui, contrairement à nombre de pays africains où n’existe aucune garantie que de telles données ne seraient pas exploitées de manière malsaine, l’autorise à se doter de ce type d’outil.

À condition, bien sûr, qu’il ne dépende que de l’État et ne puisse être utilisé que dans des conditions drastiques, clairement encadrées par la loi et en toute transparence. Il ne s’agit pas ici de tenir un fichier : l’identité importe peu, c’est le nombre qui compte. Cela permettrait d’en finir avec les stériles polémiques sur ce fameux "vivre-ensemble" dont tout le monde parle sans bien savoir de quoi ni de qui il s’agit. Pour que la France se regarde enfin en face. Si Ménard pouvait servir au moins à cela, il faudrait l’en remercier. 

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