Corsafrique : une tribu (presque) comme les autres
Pour eux, l’honneur et la famille passent avant tout… Les Africains ? Non, les Corses !
Dans le bureau de son agence de voyages, au coeur de Libreville, où il est né, Jean-Michel Casanova, 53 ans, répond du tac au tac. "Rentrer au pays ? Mais pour quoi faire ? ! Y’a rien là-bas. Ma vie est ici. Et puis la Corse, c’est comme l’Afrique. Trop de pesanteurs sociales. Les Gabonais, les Corses, on est pareils !"
Pareils, vraiment ? "Il y a un peu de ça, renchérit, à Paris, Louis Dominici, un ancien ambassadeur de France au Gabon (1986-1994). En Corse, j’entendais parler de l’Afrique depuis tout petit, et dès que j’y suis arrivé [en 1963, au Cameroun], je m’y suis senti à l’aise. Les cultures paysannes aident à comprendre les cultures africaines. Et puis nous avons un peu les mêmes valeurs : le sens de l’honneur, une conception large de la solidarité familiale…"
Autrement dit : le clan. Celui que l’on ne peut renier, sous peine d’être déconsidéré ; celui qui vous rattrape sans cesse et vous oblige à aider un "compatriote" pour la simple raison qu’il vient de votre village. Certains en sont même arrivés à parler des Corses comme d’une ethnie africaine et de l’Afrique comme du troisième département corse (l’île en compte deux).
Ou encore à décrire la "corsitude" comme on évoque en certaines contrées la "pulitude" (pour les Peuls). Ce que Noël Pantalacci, un acteur de la "Corsafrique" à l’époque de Charles Pasqua – lui-même surnommé "le grand Batéké des Hauts-de-Seine" -, a un jour résumé ainsi : "La corsitude est un système de valeurs, familiales et amicales, tellement complexe qu’elle est difficile à comprendre de l’extérieur."
>> À lire aussi Cameroun, Congo, Gabon, Mali, RDC… : ci-gît la Corsafrique !
Favoristisme
Cette construction ethnique est à double tranchant : elle alimente fantasmes et caricatures. "C’est tellement facile de se conformer aux stéréotypes. On y trouve des avantages aussi", admet Jean-Jérôme Feliciaggi, le fils de Robert, dans la thèse de Vanina Profizi*. Cette chercheuse qui a étudié la société "corsafricaine" note que "déjà, sous la colonisation, les Corses ne se considéraient pas tout à fait de la même manière que les autres Européens" et que l’on y observe des cas de favoritisme (avéré ou présumé, en tout cas dénoncé) entre Corses.
>> À lire aussi : La mort du parrain
Durant la première moitié du XXe siècle, écrit Vanina Profizi, les Corses sont des coloniaux comme les autres, mais ils se distinguent sur un point : leur rapport aux "indigènes" : "Il y a des affinités, lui explique un ancien colon. Les Corses n’ont pas de rapport de colon à colonisé." D’ailleurs, veut croire le docteur Alain Guglielmi, 71 ans, une figure à Libreville, "les Gabonais ne nous considèrent pas comme les autres Français, et les hommes politiques d’ici nous aiment bien".
Omar Bongo Ondimba, qui a un temps été le président d’honneur de l’Amicale corse, ne s’en cachait pas. "Quand je suis arrivé à Libreville, il m’a dit : "J’aime bien les Corses"", témoigne Louis Dominici.
_________
* À paraître aux éditions Vendémiaire sous le titre Les Corses et l’Empire.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Sextapes et argent public : les Obiang pris dans l’ouragan Bello
- Burkina Faso : entre Ibrahim Traoré et les miniers, une guerre de tranchées à l’ho...
- Guinée : ce que l’on sait de la mystérieuse disparition de Saadou Nimaga
- Sécurité présidentielle au Cameroun : Dieudonné Evina Ndo, une ascension programmé...
- Ilham Aliyev, l’autocrate qui veut « dégager » la France d’Afrique