Maroc : ces paradis artificiels qui cachent la forêt

Les programmes résidentiels ont éclos un peu partout ces dernières années. Malgré le retard et, parfois, l’absence d’acquéreurs, l’état des lieux n’est pas si sinistre qu’on le croit.

La très chic cité balnéaire de Bouznika, entre Rabat et Casablanca. © Alexandre Dupeyron/JA

La très chic cité balnéaire de Bouznika, entre Rabat et Casablanca. © Alexandre Dupeyron/JA

Publié le 11 janvier 2013 Lecture : 5 minutes.

Bouznika, petite cité balnéaire à mi-chemin entre Rabat et Casablanca. C’est ici que nombre de nantis marocains prennent leurs quartiers pendant la saison estivale. Les maisons en front de mer, denrée rare, ont trouvé acquéreurs depuis parfois plusieurs décennies. Mais, il y a quelques années, boom immobilier aidant, de nouveaux promoteurs ont voulu investir le filon. C’est ainsi qu’est né le projet Eden Island : 22 hectares de résidences haut de gamme, d’installations sportives et de loisirs aquatiques au milieu d’un lac artificiel, le tout avec vue imprenable sur l’Atlantique. Eden Island porte décidément bien son nom ; un petit coin de paradis en plein coeur du Maroc qui bouge, sur l’axe Rabat-Casa. Pourtant, les allées de cet éden semblent bien peu peuplées. À l’heure où le soleil plonge dans l’océan, rares sont les maisons et les appartements qui s’illuminent, et si les rues proprettes s’éclairent à la tombée de la nuit, c’est parce que le personnel, nombreux, veille sur des habitants encore trop rares.

Retour sur terre

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Le marché n’est pas en crise. Il revient à une normalité bien plus saine économiquement.

Ici, loin de l’euphorie des années 2000, on est redescendu sur terre. Les appartements de grand standing qui, hier, étaient mis en vente à 5 millions de dirhams (DH, 450 000 euros) sont aujourd’hui proposés à moitié moins, avant négociation. Bienvenue dans le marché réel.

Youssef fait les frais de cette bulle en train de retomber. Locataire d’un petit appartement à Casablanca, le jeune patron d’entreprise a acheté une villa à Dar Bouazza (dans la banlieue sud de la capitale économique), qu’il comptait mettre en location. « Je voulais devenir propriétaire tout en ayant des rentrées d’argent supplémentaires, mais je dois complètement revoir mes plans. Cela fait presque six mois que je cherche un locataire et je n’en trouve pas, même pour les 16 000 DH [1 435 euros, NDLR] que j’en demande maintenant, soit à peine plus cher que le loyer de mon appartement de quatre pièces en plein centre de Casablanca. »

Comme l’explique Mehdi Jennane, directeur de projet à Carré Éden, un projet urbain intégré de haut standing à Marrakech, « c’est en effet le secteur du résidentiel secondaire, à la périphérie des grandes villes ou en province, qui subit le plus les effets de la crise due à une surabondance de l’offre, qui plus est quand la qualité ou la pertinence des concepts ne sont pas au rendez-vous ». À Marrakech par exemple, on ne compte plus les grands projets sinistrés, les resorts à l’arrêt et les chantiers fantômes.

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À Casablanca et à Rabat, toujours dans le logement haut de gamme, la situation est à peine meilleure. La plupart des observateurs notent un tassement des transactions. « Il y a encore quelques mois, la plupart de mes confrères passaient une grande partie de leur temps à gérer les questions de recouvrement ; aujourd’hui, c’est le niveau des commandes qui diminue dangereusement », confie l’un des principaux promoteurs immobiliers de la capitale économique.

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Dans les environs immédiats de Casablanca, ce sont les ambitieux projets en construction à Bouskoura qui suscitent le plus d’interrogations. Lancés par les leaders du secteur (Addoha, CGI, Palmeraie Développement, etc.), ils accusent pour la plupart un lourd retard de livraison. À tel point que les futurs heureux propriétaires de ces complexes résidentiels à la Desperate Housewives – qui ont tous acheté sur plan dans l’euphorie du boom immobilier, souvent par crainte d’une hypothétique hausse des prix -, ne sont plus tout à fait rassurés. Organisés en associations, ils entendent faire pression sur les promoteurs pour que ceux-ci tiennent les engagements (non écrits) qu’ils ont pris.

« Le trop-plein de l’offre immobilière dans le haut standing commence déjà à se résorber et l’on constate que les projets de qualité trouvent toujours preneurs, même si les rythmes de vente ont nettement ralenti », rassure cependant Mehdi Jennane. Deux raisons principales motivent cet optimisme : Marrakech reste une destination privilégiée de vacances pour les Marocains. Par ailleurs, selon Mehdi Jennane, la demande européenne, notamment française, ne faiblit pas – « beaucoup de nos clients sont de jeunes séniors français qui cherchent à investir à Marrakech pour y établir leur résidence semi-principale, voire principale ».

À Casablanca, Amine Guennoun, directeur général des Espaces Saada, spécialiste du logement social, est lui aussi plutôt optimiste. « La crise immobilière dont parlent certains est celle des projets lancés dans l’euphorie il y a quelques années et qui, à l’époque, trouvaient preneurs. Aujourd’hui, on ne peut plus se permettre de lancer des projets immobiliers sans les avoir structurés rationnellement, explique le promoteur. Ce qui conduit à une professionnalisation du secteur. »

Y aura-t-il trop de bureaux à Casa ?

Une étude réalisée par le leader national, Lazrak Immobilier, souligne qu’entre 2013 et 2016 le parc de bureaux à Casablanca – qui, avec Rabat, fournit 80 % de l’offre nationale – devrait augmenter de 60 %. Or « l’industrie des immeubles de bureaux est un miroir de l’activité économique », rappellent les auteurs de l’étude : « Les entreprises qui prospèrent recrutent davantage et cherchent des espaces en adéquation avec leur développement. A contrario, [celles] en difficulté se tournent naturellement vers la réduction de coûts, à commencer par ceux immobiliers. » Pourtant, 650 000 m2 de bureaux seront commercialisés d’ici à 2016 à Casa Finance City, 120 000 m2 à Casa Marina, 60 000 à Casanearshore. À ce rythme, la capitale économique a toutes les chances de produire plus du double de la demande actuelle en bureaux. Ce qui, dans quatre ans, pourrait porter l’offre excédentaire à 500 000 m2, soit le quart du parc prévu. Un peu de prudence serait donc de mise.

Sur le terrain, le ralentissement de l’activité, visible en ce qui concerne le haut standing, n’est pas perceptible de la même manière pour le milieu de gamme et le logement social. Les principaux acteurs de ces marchés, tels qu’Addoha, CGI ou les Espaces Saada, continuent de bien travailler, tout autant, avec des marges qui se sont néanmoins contractées en raison de l’augmentation des coûts de revient. L’autre petit bémol à apporter à cette bonne santé affichée du marché de l’immobilier économique est que, si le secteur connaît encore peu de méventes, c’est également au prix d’un soutien massif de l’État, qui en a fait une priorité nationale.

Normalité

Mais n’oublions pas que, comme souvent au Maroc, la météo a aussi son mot à dire. « Les récentes précipitations ne manqueront pas d’avoir un impact sur l’activité du secteur immobilier, veut croire un promoteur casablancais. Quand il pleut, les ruraux sont plus optimistes, consomment plus, investissent plus, et cela se répercute en particulier sur le logement social », argumente-t-il. « Au Maroc, gouverner, c’est pleuvoir », disait déjà Lyautey…

Selon les professionnels, les perspectives pour l’immobilier résidentiel en général, et sur le segment économique en particulier, ne semblent donc pas aussi mauvaises qu’ils pouvaient le craindre. Même si certains doutes planent encore sur l’immobilier professionnel (lire encadré), le marché marocain n’est donc pas à proprement parler en crise. Tout du moins pas encore. Les nuages sont certes nombreux, mais la plupart des acteurs veulent encore croire aux lendemains qui chantent puisque, après la folle envolée des prix des années 2000, le marché semble enfin revenir à une normalité bien plus saine économiquement.

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