Tunisie – Nidaa Tounes : Mohsen Marzouk, à quitte ou double

Mohsen Marzouk, le conseiller spécial du président Béji Caïd Essebsi, a été élu mercredi secrétaire général de Nidaa Tounes. Sa mission est délicate : remettre sur pied un parti affaibli par les crises internes et menacé d’implosion.

Mohsen Marzouk, à Tunis, le 6 février 2015. © Ons Abid pour JA

Mohsen Marzouk, à Tunis, le 6 février 2015. © Ons Abid pour JA

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 14 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

On efface tout et on recommence ! Dans une mise en scène bien réglée, le bureau politique de Nidaa Tounes s’est réuni, mercredi 13 mai, pour entériner la démission de Taieb Baccouche du poste de secrétaire général et son remplacement par Mohsen Marzouk. Sommé de choisir entre ses responsabilités ministérielles (il est le chef de la diplomatie tunisienne) et ses fonctions au sein du parti, Baccouche a donc préféré garder sa place au gouvernement. Marzouk, lui, va faire le chemin en sens inverse, puisqu’il va quitter la présidence, où il officiait en qualité de conseiller spécial (avec rang de ministre), pour prendre les rênes d’un parti fragilisé par une succession de crises internes, incapable de digérer ses victoires aux législatives d’octobre et à la présidentielle de décembre 2014.

Lieutenant admiré et jalousé du président Béji Caïd Essebsi, dont il a grandement contribué à l’élection en dirigeant sa campagne, Mohsen Marzouk, 50 ans, attendra néanmoins quelques jours avant d’être intronisé : il doit faire partie de la délégation qui ira aux États-Unis d’Amérique, aux côtés du chef de l’État tunisien, les 21 et 22 mai. Il y était encore la semaine passée, pour préparer le terrain, en sherpa. L’homme, qui a travaillé pour le compte de nombreuses ONG internationales, dispose d’un solide carnet d’adresses dans le monde anglo-saxon.

Les rivalités qui avaient conduit le parti au bord de l’implosion n’ont pas disparu par enchantement, mais une formule de compromis semble avoir été trouvée.

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Ambiance de réconciliation

Plus encore que la décision elle-même, ce sont les conditions de la nomination de Mohsen Marzouk qui retiennent l’attention. Il a en effet été désigné par consensus, dans une ambiance de grande réconciliation. Les photos diffusées immédiatement sur la page Facebook du parti montraient les cadres et les caciques de Nidaa réunis ensemble, tout sourire, dans une belle image d’unité. Évidemment, personne n’est dupe : les haines et les rivalités qui avaient conduit le parti présidentiel au bord de l’implosion n’ont pas disparu par enchantement. Mais une formule de compromis permettant de contenter les principaux protagonistes de la crise semble avoir été trouvée.

Trois postes de vice-président ont été créés. Le premier a été attribué à Taieb Baccouche, en lot de consolation pour cette figure de l’aile gauche du parti, issue de la mouvance syndicale. Le deuxième ira à l’homme d’affaires Faouzi Elloumi, frère de l’actuelle ministre du tourisme, Selma Elloumi Rekik, qui passe pour avoir été un des grands argentiers de Nidaa Tounes. Le troisième tombera dans l’escarcelle de Hafedh Caïd Essebsi, le fils du chef de l’État. Soutenu par les milieux proches de l’ex-RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de l’ancien président Ben Ali, dissout au lendemain de la Révolution), "HCE" avait été à l’origine de la fronde. Mohamed Ennaceur, le président du Parlement, continuera à assumer la présidence de Nidaa Tounes, un poste essentiellement honorifique. Enfin, un nouveau porte-parole sera bientôt désigné. Des rumeurs insistantes évoquent le nom du journaliste Noureddine Ben Ticha, figure controversée, proche de l’homme d’affaires et lobbyiste Kamel Eltaief. Ainsi, chacun aurait son os à ronger.

La première mission du nouveau secrétaire général sera de remettre le parti en ordre de marche, pour préparer sereinement le congrès, qui tranchera la question du leadership.

Le nouvel organigramme du parti au pouvoir obéit donc à un savant dosage, une subtile alchimie des contraires. Les initiés reconnaîtront sans doute la patte de l’actuel chef de l’Etat, "BCE", tacticien madré qui, au long des trois ans passés à la présidence de Nidaa, avait réussi à désamorcer toutes les contestations et à faire travailler ensemble des concurrents qui se détestent. La victoire était à ce prix. Mais voilà : tout s’est déréglé au lendemain de l’alternance, en janvier 2015.

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Le choc des ambitions

Le feuilleton de la formation du gouvernement d’Habib Essid a révélé les frustrations de bon nombre de parlementaires de Nidaa, qui auraient souhaité que le Premier ministre soit choisi dans les rangs du parti, et non en dehors. L’étrange "alliance-coalition" avec Ennahdha, inévitable, dans la mesure où Nidaa Tounes ne disposait pas de la majorité absolue à l’Assemblée des représentants du peuple, a achevé de déboussoler les militants. Enfin, la perspective du prochain congrès du parti, initialement prévu en juin, a attisé les rivalités entre les clans. Le choc des ambitions a fait le reste.

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"Nidaa était dans un état de décomposition avancée, explique une cadre du mouvement. Le siège, aux Berges du Lac, à Tunis, ressemblait à un vaisseau fantôme. Les structures de base ne fonctionnaient pratiquement plus. Les loyers de certains sièges ne sont plus payés. La première mission du nouveau secrétaire général sera de remettre le parti en ordre de marche, pour préparer sereinement le congrès, qui tranchera la question du leadership."

Après la victoire à la présidentielle de décembre 2014, les dirigeants les plus influents de Nidaa avaient migré vers le palais de Carthage, à l’instar de Mohsen Marzouk et de Ridha Belhaj (l’ex-directeur exécutif du parti, devenu directeur de cabinet du président) ou vers le gouvernement, comme Taieb Baccouche. L’Instance constitutive, censée exercer l’autorité suprême, en attendant le congrès, n’avait pas réussi à s’imposer, faute de légitimité élective. Bref, il fallait, d’urgence, un taulier. C’est donc à Mohsen Marzouk que va incomber cette mission délicate.

Un homme qui marche à l’adrénaline

Le défi n’est pas pour lui déplaire : c’est un vrai politique, un homme de coups, qui marche à l’adrénaline. Il avait excellé dans le rôle de directeur de la campagne présidentielle. Et il continue à jouir d’une popularité élevée auprès de la base militante, où son charisme et son bagout font merveille. Ceux qui le connaissent expliquent qu’il se sentait un peu à l’étroit au Palais de Carthage, qu’il n’y était pas pleinement épanoui…

Le secrétariat général de Nidaa Tounes peut constituer une rampe de lancement idéale en prévision de futures échéances disent déjà les mauvaises langues. Les adversaires de Mohsen Marzouk – il n’en manque pas – aiment à le dépeindre comme un homme pressé, dévoré par l’ambition. À les entendre, il rêverait de mettre la main sur parti dans l’optique de la présidentielle de 2019. En réalité, ces spéculations sont à la fois vaines et prématurées.

Amalgame volatil de tendances et de personnalités, Nidaa restera traversé par les courants. Il y a objectivement peu de chances que cet assemblage hétéroclite créé pour faire pièce à l’hégémonie d’Ennahdha ne se transforme en une machine disciplinée et bien huilée au service d’une seule ambition. Ceux qui lui ont proposé le poste le savent : Mohsen Marzouk prend un risque en s’échappant de sa cage dorée à la présidence pour descendre dans l’arène partisane. Il joue à quitte ou double. Si le congrès vire au fiasco, on le regardera comme une "carte brûlée". S’il réussit la restructuration, s’il parvient à revigorer Nidaa, ce grand corps malade, et à lui réinsuffler un semblant d’unité et d’armature idéologique, alors tous les espoirs seront légitimes. Pour lui et pour son parti.

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