Santé : zoom sur le « syndrome post-Ebola »

Ils ont vécu le pire et s’en sont sortis indemnes, ou presque. Alors que l’OMS a annoncé la fin de l’épidémie Ebola au Liberia, l’attention se tourne vers les survivants,  parmi lesquels plusieurs troubles pathologiques sont apparus. Mise au point.  

Des survivants au virus Ebola, ici le 28 septembre 2014 à Monrovia © Jerome Delay/AP/SIPA

Des survivants au virus Ebola, ici le 28 septembre 2014 à Monrovia © Jerome Delay/AP/SIPA

Publié le 13 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Fatigue, douleurs et troubles de la vision

En septembre 2014, l’OMS avertissait déjà, dans un rapport, des troubles observés chez un certain nombre de survivants. Parmi eux : fatigue et sentiment de faiblesse généralisés, douleurs articulaires et musculaires, céphalées, douleurs abdominales, perte de cheveux, troubles oculaires ou encore perte d’audition d’après le rapport.

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Interrogé par le New York Times, le Docteur John Fankhausser, directeur médical de l’hôpital ELWA à Monrovia au Liberia, déclarait que des douleurs chroniques, des maux de tête et des troubles oculaires étaient les problèmes physiques les plus fréquemment mentionnés. "Sur une centaine de survivants, environ 40% avaient des douleurs et de l’inflammation dans les yeux, certains souffraient d’uvéites, (inflammation de l’œil qui occasionne baisse de la vision, rougeurs et douleurs oculaires, NDLR)" a-t-il déclaré.

Le virus logé dans le sperme et dans l’œil

Aucune étude n’a encore été menée sur les causes de ces troubles, aucune explication sur leur origine n’a donc été prouvée. Mais des hypothèses sont pourtant énoncées. À commencer par celle d’une infection localisée dans certaines régions du corps. L’infectiologue François Bricaire, président de la commission des opérations internationales de la Croix-Rouge française, explique : "Il y a des endroits de l’organisme où le système immunitaire fonctionne moins bien (…) Les anticorps y pénètrent plus difficilement, et le virus y est moins facilement atteint". Parmi ces zones figurent le système nerveux, le système oculaire et l’appareil génital désignés dans le jargon scientifique sous le terme de "sanctuaire".  

Le virus Ebola exploiterait donc la faille immunitaire de ces "sanctuaires" pour y prospérer. Les médecins savent d’ailleurs qu’une fois vaincu, le virus persiste dans le sperme. C’est la raison pour laquelle les autorités libériennes entre autre ont interdit aux survivants d’avoir des relations sexuelles, trois mois après leur guérison.

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Un autre cas de persistance du virus dans l’œil a été révélé. Le docteur Ian Crozier atteint du virus avait finalement été guéri avant de revenir à l’hôpital Emory (Atlanta), deux mois après, se plaignant de douleurs vives à l’œil. Un matin, il constate que son œil gauche a changé de couleur : il était passé du bleu au vert avant de retrouver sa couleur d’origine après un traitement. Si tous les ophtalmologues s’accordent sur le fait qu’un changement de couleur des yeux peut survenir après une infection virale, tous peinent à expliquer pourquoi l’œil du docteur Ian Crozier a fini par retrouver sa couleur d’origine. Le docteur Foster a lui affirmé au au New York Times : "La seule explication que je puisse concevoir en termes de logiques, est que les cellules de l’œil infectée par le virus ont seulement été endommagées et non détruites"

Risques de cécité et d’infertilité

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Le cas du docteur Ian Crozier montre que les survivants du virus Ebola doivent se faire suivre pour prévenir une possible contamination oculaire dont on ignore combien de temps elle peut persister. Et c’est d’autant plus urgent, que les risques d’une infection pouvant conduire jusqu’à la cécité sont envisagés par une porte-parole de l’OMS, Margaret Nanyonga, qui a déclaré dans un communiqué : "Les problèmes oculaires, notamment les uvéites, semblent particulièrement répandus, et certaines indications suggèrent qu’en l’absence de traitement ils pourraient conduire à une cécité totale". François Bricaire rapporte que des cas de cécité ont été observés à Conakry : "On ignore encore pourquoi mais il est possible qu’elles soient liées à la persistance du virus dans le globe oculaire", indique-t-il.

La porte-parole de l’OMS suggère également que le syndrome post-Ebola en affectant l’appareil génital pourrait causer des handicaps comme l’infertilité.

Quant aux fatigues et douleurs articulaires, elles sont fréquemment observées après plusieurs types d’infections virales. François Bricaire souligne à ce titre que "le chikungunya donne lui aussi des manifestations articulaires prolongées qui apparaissent des mois après chez les personnes guéries".

Traumatisme psychologique

Le contexte de fragilité psychologique et sociale des survivants peut également avoir un impact sur leur état de santé général. Alain Epelboin, médecin anthropologue et consultant OMS, déclare : "ces survivants souffrent de stigmatisation, d’un sentiment de culpabilité et d’exclusion, ils sont meurtris".

Au travail de deuil, rendu difficile puisque les corps des victimes sont tous incinérés, s’ajoutent les problèmes de pauvreté endémique et de la difficile réinsertion sociale et professionnelle.

Un rapport de la banque mondiale revient sur l’histoire de Saah, ancien voiturier et commerçant, qui a survécu à Ebola avant de se voir forcé par sa communauté à fermer son magasin. Cette souffrance psychologique et sociale affecte nécessairement le moral des survivants. Une étude menée par le MIT Governance Lab à Monrovia, sur un panel de Libériens, a révélé que 72% des personnes interrogées ont déclaré qu’au sein de leurs communautés les survivants au virus sont inquiets et que 70% d’entre eux souffrent de harcèlement.  

Les scientifiques disposent encore de  trop peu d’informations sur Ebola et sur ses conséquences à long-terme chez les personnes guéries. En raison d’un taux de décès de 50 à 80 %, la priorité a jusqu’alors été de soigner les malades. Mais depuis l’éradication du virus, avec les quelques 10 000 survivants connus en Afrique de l’Ouest, les perspectives d’études sont désormais sérieusement élargies. Des chercheurs français et américains, en Guinée et au Liberia, ont ainsi constitué des "cohortes", des groupes de population ayant survécu au virus, qui seront suivis au fil du temps.

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