Mariam Sankara : « J’ai confiance dans la justice burkinabè maintenant »

Après 27 années d’exil, Mariam Sankara revient au Burkina Faso le 14 mai avec l’espoir que toute la lumière soit faite sur l’assassinat de son époux, en 1987. À la veille de ce retour historique, elle s’est confiée à « Jeune Afrique ». Interview.

Mariam Sankara à Ouagadougou, en 1985, deux ans avant l’assassinat de son mari. © BSF/Archives Jeune Afrique

Mariam Sankara à Ouagadougou, en 1985, deux ans avant l’assassinat de son mari. © BSF/Archives Jeune Afrique

Publié le 13 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

À Ouagadougou, ce fut d’abord une rumeur, puis une information. C’est désormais un mot d’ordre : la veuve Sankara revient, rendez-vous jeudi 14 mai à 16 heures à l’aéroport pour l’accueillir. Plus de 27 ans après l’assassinat de son époux – le début, pour elle, d’un long exil -, Mariam Sankara est de retour au pays. Il ne s’agit pas d’une première : celle qui vit depuis plusieurs années à Montpellier, dans le sud de la France, avait déjà fait une réapparition en 2007, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de Thomas Sankara. Mais ce voyage-là a une saveur particulière : il intervient dans un contexte où l’euphorie se mêle à l’appréhension, six mois après la chute de Blaise Compaoré, l’ancien frère d’armes et de cœur de "Thom Sank" soupçonné d’avoir ourdi son assassinat.

Lors de son court séjour, Mariam Sankara (62 ans) participera à la Convention des partis sankaristes, les 16 et 17 mai. Celle qui était discrète lorsque son mari dirigeait la révolution est aujourd’hui une figure de proue de cette famille politique éclatée. Le lendemain, 18 mai, elle sera auditionnée par le juge en charge de l’enquête sur l’assassinat de son époux – enquête récemment ouverte par le régime de transition après deux décennies de blocage.

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Habituellement discrète, Mariam Sankara a répondu aux questions de Jeune Afrique trois jours avant de prendre l’avion pour Ouagadougou. Cet entretien a été réalisé par correspondance écrite.

Jeune Afrique : Vous vous rendez à Ouagadougou le 14 mai, huit ans après votre dernier séjour. Est-ce un retour définitif cette fois ?

Mariam Sankara : On peut dire cela, même si pour l’instant, c’est pour un bref séjour.

Rentrez-vous seule, ou avec vos deux enfants ?

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Je rentre seule. Les enfants [qui vivent aux États-Unis, NDLR] rentreront quand ils seront prêts.

Que direz-vous au juge chargé d’enquêter sur l’assassinat de Thomas Sankara, lorsqu’il vous auditionnera, le 18 mai ?

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C’est lui qui me convoque. Je ne sais pas encore ce qu’il va me demander. Dans tous les cas, je suis disposée à collaborer pleinement.

Je demande à toute personne qui détient des informations pouvant aider à l’avancement de l’enquête de bien vouloir nous les communiquer.

Avez-vous confiance dans la justice de votre pays désormais ? Croyez-vous que l’enquête aboutira enfin ?

Oui, j’ai confiance dans la justice de mon pays maintenant qu’il y a une volonté politique pour combattre l’impunité au Burkina. Je suis soulagée parce que l’instruction du dossier a enfin commencé, mais il faut rester vigilant. Il faut que l’enquête aboutisse. Ce n’est plus seulement une affaire de la famille Sankara. Le peuple burkinabè aussi demande que justice soit rendue au président Sankara. C’est aussi le vœu de nombre de personnes attachées aux droits de l’Homme.

Je saisis l’occasion pour remercier les ONG et les médias nationaux et internationaux qui, en relayant les informations, ont contribué à faire avancer le dossier Thomas Sankara et à perpétuer sa mémoire. Je remercie également le peuple burkinabè et toutes les personnes qui nous soutiennent dans notre combat. Enfin, je demande à toute personne qui détient des informations pouvant aider à l’avancement de l’enquête de bien vouloir nous les communiquer.

Savez-vous, ou du moins, croyez-vous savoir qui a tué votre mari ?

C’est ce que je cherche à savoir depuis son assassinat. Nombre d’analystes pensent que c’est une coalition, un complot international ourdi par tous ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, avaient intérêt à mettre fin à la révolution.

Mariam Sankara se recueillant sur la tombe de son époux, en octobre 2007, lors de la cérémonie de commémoration des 20 ans de son assassinat. © Kambiou Sia/AFP

La tombe supposée de votre époux a été placée sous scellées, ainsi que celles de ses camarades tombés sous les balles le 15 octobre 1987. Lorsque le corps supposé de votre époux sera exhumé, serez-vous présente au cimetière ?

Je ne le souhaite pas. Si je peux m’en passer, ce serait mieux pour moi. Une telle exhumation est avant tout demandée pour les besoins de la justice, et pour que la famille et moi-même, mais aussi tous ceux qui viennent se recueillir devant cette tombe, soient assurés que le président Thomas Sankara repose bien là.

Doutez-vous que ce soit son corps qui se trouve dans cette tombe ?

Je ne peux qu’être dans le doute. Nous serons fixés après l’exhumation et les analyses d’ADN prises en charge par l’État burkinabè.

Vous avez dit un jour : "Je suis l’héritière d’un passé qui me dépasse". Cet héritage est-il trop lourd à porter ?

Oui, il est très lourd. Mais heureusement, je ne le porte pas seule : il y a la famille et aussi tous ceux qui se réclament de l’idéal de Thomas Sankara.

Votre retour coïncide avec la Convention des partis sankaristes, qui se tiendra les 16 et 17 mai sous votre "haut patronage". Qu’y délivrerez-vous comme message ?

Je vais les exhorter une fois de plus à rester unis autour d’un programme et d’un candidat unique capable de l’incarner.

Pourquoi les partis sankaristes sont-ils si divisés ?

En réalité, le sankarisme est une vision et un mode d’action politique qui ne devrait pas souffrir de contradiction. Parler de division lorsqu’on parle du sankarisme est un non-sens. La division dont on parle découle essentiellement des manœuvres du régime de Blaise Compaoré, qui a favorisé l’émergence de groupuscules fantoches qui sont restés sous sa coupe. Sous Compaoré, les partis sankaristes ont eu du mal à s’exprimer réellement car Sankara et ses idées faisaient ombrage à Blaise Compaoré.

Un travail a été savamment mené pendant toutes ces longues années pour diviser les sankaristes. Mais aujourd’hui, les sankaristes, toutes générations confondues, ont décidé de relever le défi de l’unité.

Non, je ne suis pas candidate à la présidentielle d’octobre.

La parole et les idées de Thomas Sankara ont-elles encore une résonance dans le Burkina d’aujourd’hui ?

Oui, plus que jamais. Nous l’avons vu lors de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Les jeunes burkinabè, dont la majorité n’a pas connu la période révolutionnaire, se sont réclamés  de Thomas Sankara. Thomas Sankara était un innovateur qui cherchait en permanence avec le peuple à remettre en cause l’ordre établi par les puissants pour redéfinir un autre ordre visant à protéger et à responsabiliser les plus faibles. Le message de Sankara pose comme préalable le recours aux valeurs éthiques, une modalité de transformation économique et la responsabilisation du citoyen vis-à-vis de la société et de l’environnement naturel. Cette vision replace Sankara au cœur des nécessaires mutations actuelles du Burkina en particulier, et de l’Afrique en général.

Qui, parmi les leaders sankaristes actuels, est digne de porter cet héritage ?

Je laisse à la convention qui se tiendra dans quelques jours le soin d’en décider. Je soutiendrai celui qui sera désigné.

Y compris lors de la prochaine élection présidentielle, prévue en octobre 2015 ?

Oui, le candidat désigné par la convention aura mon entier soutien. Je compte aussi participer à la campagne dans la mesure de mes possibilités.

Vous ne serez donc pas candidate ?

Non, je ne suis pas candidate.

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