Merzak Allouache : « La violence en Algérie est à fleur de peau »

Trois ans après « Le Repenti », Merzak Allouache est de retour avec « Les Terrasses », un film unanimement salué par la critique. Sélectionné au 70e Festival de la Mostra de Venise, il a reçu le Grand prix du film arabe au Festival d’Abu Dhabi, ainsi que le prix de la critique internationale. Rencontre avec un réalisateur qui regarde en face la société algérienne.

Merzak Allouache, ici entouré de ses acteurs, lors de la Mostra de Venise, en 2013. © Andrew Medichini/AP/SIPA

Merzak Allouache, ici entouré de ses acteurs, lors de la Mostra de Venise, en 2013. © Andrew Medichini/AP/SIPA

Publié le 11 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

Au rythme des cinq prières de l’islam, le temps d’une journée, le dernier film de Merzak Allouache invite le spectateur à découvrir cinq quartiers d’Alger à travers cinq terrasses, chacune donnant à voir une histoire particulière. Le réalisateur, pour qui la ville natale est une source inépuisable d’inspiration, livre dans son oeuvre un regard désabusé sur la société algérienne, "malade de ses contradictions". Interview. 

Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi de tourner uniquement sur des terrasses pour ce film ?  

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Merzak Allouache : À Alger, mais aussi à Oran et dans les grandes villes d’Algérie, il y a beaucoup de terrasses sur les immeubles. Elles jouent un rôle dans la ville, un rôle qui a changé. Avant elles étaient considérées comme le lieu des femmes. Dans la casbah ou dans les villes européennes d’Algérie, les femmes s’y retrouvaient fréquemment. Mais depuis quelque temps, à cause du surpeuplement, les gens logent là où ils peuvent, et ils se sont mis à habiter sur les terrasses, dans les caves. Et finalement tourner sur ces terrasses me paraissait intéressant, il s’agissait pour moi d’un studio à ciel ouvert où je pouvais raconter mes histoires, tout en gardant une vue sur Alger. J’essaie d’observer la société algérienne dans ses traditions, ses mutations. J’essaie de porter un regard sur les gens qui font partie de cette société.   

De quoi vous êtes-vous inspiré ?

Je m’inspire comme dans tous mes films de la réalité algérienne. Quand je suis en Algérie, j’apprends plein de choses. Il y a  des milliers d’histoires qui sont racontées,  des rumeurs qui circulent. Et malgré l’immobilisme de la société, il y a des choses incroyables qui se passent. Alors je lis, je regarde autour de moi. En général, je retravaille pour la fiction des histoires qui ont existé, qu’on m’a racontées, que j’ai vues. Donc il y a bien sûr une grande part de réalité. D’ailleurs, lors de la projection du film à Toulon, récemment, il y a avait des Algériens dans la salle, dont certains m’ont dit que le film leur rappelait des choses qu’ils avaient vu ou connu en Algérie.     

Entre les scènes de torture, les coups, les meurtres, le film déborde de violence. À l’image de la société algérienne ? 

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Nous avons vécu des années terribles et nous n’avons pas réglé les problèmes de cette décennie noire. La violence qu’on a vécue a été une violence suprême, incroyable. Les choses ne peuvent pas disparaître comme cela. La société algérienne n’est pas stabilisée, après ce qu’elle a vécu. Or il  y a aujourd’hui une amnésie qui s’est installée, une sorte de chape de plomb, ça n’a pas l’air de bouger. Les jeunes générations se plaignent, veulent partir, ne trouvent pas leur compte dans cette société. Oui Alger est très belle, mais on s’y ennuie beaucoup. La violence en Algérie est à fleur de peau. Et ce n’est pas seulement à cause de l’islamisme. II y aussi la question de savoir ce que nous sommes, où nous allons. Il faut dans toute société un projet. Mais en Algérie, le seul projet, c’est le commerce informel, les épiceries, les gens qui vendent, qu’ils soient barbus ou non. On a l’impression d’un vide qui se ressent d’autant plus fortement dans la vie culturelle. Il n’y a pas d’infrastructures, pas de moyens de distraction, il n’y a que des commerces et des habitations.  

Votre regard sur la société algérienne est donc pessimiste…  

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Disons que, dans mon observation actuelle, je suis pessimiste, je regarde la société d’un œil critique. Et quand vous allez en Algérie, beaucoup de gens sont pessimistes, se plaignent de quelque chose qui est là, latent, de cette société qui stagne sans projet. Quand vous allez en Algérie, vous croisez dans les rues des commerçants, des gens qui marchent, sans savoir pourquoi. On ne sait pas où on en est, ce n’est donc pas un tableau réjouissant.  

La vraie censure, c’est qu’on ne montre pas nos films au public. Il n’y a pas de salle.

Quel a été l’accueil réservé au film en Algérie?   

J’ai présenté le film au Festival du film maghrébin qui a eu lieu à Alger. Les gens du milieu sont venus. Il y a un microcosme de culture à Alger. Ils ne sont pas nombreux, mais à eux seuls, ils ont rempli la salle (rires). Quant à la presse, elle n’aime pas mes films. Je ne sais pas pourquoi. Beaucoup de journalistes algériens me reprochent de tourner des films sur l’Algérie alors que je n’y vis plus. C’est une presse qui se proclame indépendante, mais dont on sait qu’elle n’a au fond aucune indépendance. C’est un ensemble de gens qui ne travaillent pas sur la crise de la culture et de la production artistique, qui s’instituent critiques de cinéma sans qu’on sache d’où ils viennent. Ils se contentent de flatter les films officiels, les films sur la guerre d’indépendance. Mais j’accepte bien sûr toutes les critiques. Quand je tourne un film, je pars du principe qu’il appartient à tout le monde, chacun écrit ce qu’il veut, mais personnellement, je ne prends pas en compte la presse algérienne.  

On vous a aussi reproché de ne pas boycotter Israël, d’où vient cette polémique ?

C’était au moment où le film a été sélectionné au festival de la Mostra de Venise. Des journalistes m’ont sorti une histoire selon laquelle parce qu’il y avait également un film israélien sélectionné [Ana Arabia, de Amos Gitai, NDLR], je devais retirer mon film en guise de symbole de boycott d’Israël. J’ai évidemment refusé car c’est n’importe quoi sauf un bon motif…

Dans quelles mesures les réalisateurs algériens sont-ils confrontés à la censure?    

La vraie censure, c’est qu’on ne montre pas nos films au public. Il n’y a pas de salle. On en arrive au point où un film tourné en Algérie n’a de sens d’exister que s’il est présenté dans des festivals ou qu’il est diffusé à l’étranger. On a des films officiels, des professionnels du milieu qui viennent les voir, et on s’arrête là. Il n’y a pas de vie culturelle. C’est ma grande frustration. Il y a des cinéastes qui se complaisent dans cette situation, qui trouvent cela normal. À cette censure indirecte liée à l’absence de diffusion en Algérie, s’ajoute parfois une censure directe sur le scénario qu’on dépose. J’en ai payé les frais lors de mon film Le Repenti pour lequel je n’ai reçu aucune aide financière au motif que les autorités n’étaient pas d’accord avec le sujet de mon film. Cette censure peut amener les cinéastes à faire de l’autocensure. Tristement, c’est le cas dans le monde arabe : les cinéastes connaissent les lignes rouges qu’il ne faut pas dépasser. Et cette autocensure amoindrit les choses qu’on raconte dans un film ou une pièce de théâtre.

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