Jaloul Ayed : « La BAD n’a jamais été dirigée par un vrai banquier comme moi »
Pour cet ex-membre du gouvernement Essebsi, entre la direction de grands établissements bancaires internationaux et la présidence de la Banque africaine de développement, il n’y a qu’un pas.
Costume à rayures sur mesure, brushing impeccable, pince et épingle à cravate parfaitement ajustées, Jaloul Ayed n’a pas besoin de décliner son CV pour que l’on comprenne que c’est un homme qui compte. Début mai, de passage à Paris, l’ancien ministre tunisien des Finances a pris le temps de recevoir Jeune Afrique à l’hôtel Intercontinental. C’est la quatrième fois en moins d’un an qu’il se rend en France. Depuis que plusieurs de ses amis, dont il tait les noms, l’ont convaincu qu’il avait le profil idéal pour diriger la Banque africaine de développement (BAD). Autant de visites qui lui ont permis d’activer ses réseaux. Mais l’intéressé ne veut pas trop en dire. Tout juste consent-il à confirmer ses rencontres avec les anciens directeurs de l’Agence française de développement (AFD) Dov Zerah et Jean-Michel Severino.
« Au moins trois tours seront nécessaires pour désigner le vainqueur, pronostique-t-il. Et si je pense que j’ai le profil pour obtenir les voix des actionnaires internationaux de la BAD, il faudra auparavant obtenir au moins 51 % des voix africaines ». Le candidat sillonne donc le continent et devrait avoir visité une douzaine de pays à l’issue de sa campagne.
Dans cette course, l’ex-ministre a longtemps semblé seul. Obnubilé par ses problèmes intérieurs, Tunis n’a pas voulu accorder trop d’importance à cette élection. « Le président Essebsi, dont j’ai été le ministre en 2011, est derrière moi, assure pourtant Jaloul Ayed. Des démarches diplomatiques ont été entreprises pour appuyer ma candidature. C’est vrai que j’ai eu un peu peur, mais depuis plus d’un mois, tout est réglé. » Un émissaire aurait par exemple été envoyé pour rencontrer l’entourage d’Alassane Ouattara. Mauvaise pioche ? À Abidjan, on laisse entendre que le président ivoirien ne fera campagne pour aucun des huit prétendants. Mais le candidat tunisien a aussi mis les bouchées doubles pour s’assurer le soutien des pays d’Afrique du Nord, de l’Égypte jusqu’au Maroc, conscient que l’élection verra aussi s’affronter des stratégies régionales.
S’il met autant d’énergie dans cette campagne, c’est parce qu’après avoir quitté le gouvernement de transition en décembre 2011 Jaloul Ayed se cherche un destin à la hauteur de ses ambitions. En 2013, lors de la composition d’un gouvernement d’union nationale, il était en lice pour le poste de Premier ministre. Et, aujourd’hui, il n’est pas insensible aux rumeurs qui l’annoncent à la tête de la Banque centrale tunisienne, si d’aventure la BAD lui échappait.
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Atypique
À bien des égards, son programme pour l’institution panafricaine ressemble à celui des autres postulants : promouvoir une croissance inclusive, mettre l’accent sur le développement du secteur privé et notamment les petites entreprises, réformer les systèmes financiers et favoriser l’intégration africaine, qui freine le développement du continent. Mais il peut espérer tirer son épingle du jeu grâce à son profil atypique, alliant l’expérience de la chose publique et la maîtrise du monde des affaires. En 2011, il avait d’ailleurs organisé avec succès la participation de la Tunisie au G8 de Deauville.
Entré au sein du groupe Citibank en 1980, ce diplômé de l’université du Maryland, marié à une Américaine, a occupé des fonctions de dirigeants en Tunisie, au Maroc puis au Royaume-Uni. Mais c’est au sein de la banque marocaine BMCE que sa carrière a pris de l’altitude, juge son ex-collaborateur Eric Aouani. Quand Jaloul Ayed rejoint la banque en 1998, cette dernière fonctionne encore comme une administration. « La création de la banque d’affaires BMCE Capital a nécessité un changement de culture radicale. Son succès a impulsé le développement de la finance dans le Royaume et servi d’exemple aux autres banques de la place », insiste Éric Aouani.
Premières
Manager doué, privilégiant souvent le consensus, mais capable de trancher, Jaloul Ayed va fédérer à cette période une équipe de jeunes professionnels et multiplier les premières au niveau marocain en lançant par exemple un fonds consacré à l’immobilier et un autre aux infrastructures. Mais sa grande oeuvre reste le développement africain du groupe bancaire. Nommé administrateur directeur général de BMCE Bank en 2002, il a créé des filiales au Sénégal et au Cameroun. Au terme de sa mission, en 2011, le bilan du groupe avait été multiplié par trois par rapport à 2000. « C’est ma force, estime l’intéressé. Songez que la BAD n’a jamais été dirigée par un vrai banquier ».
« Ce qui bloque parfois, c’est son ego », reconnaît toutefois l’un de ses proches. L’homme a, il est vrai, une haute opinion de lui-même. En Tunisie, on lui reproche aussi de voir les choses en grand. Mais il est l’un des seuls à avoir pu prendre de vraies décisions lors de la période de transition en 2011. Il a ainsi créé la Caisse des dépôts et consignations, imaginé un fonds générationnel pour faire fructifier les avoirs confisqués (un projet depuis abandonné) et fait voter une loi sur la microfinance. Suffisant pour succéder à Donald Kaberuka ? Lui y croit.
Le programme de Jaloul Ayed pour la Banque africaine de développement
S’il est élu, Jaloul Ayed entend rester cohérent avec le plan stratégique 2013-2022 adopté par la BAD, faisant la promotion d’une croissance inclusive et verte. L’intégration régionale, le développement des infrastructures – à commencer par le secteur énergétique -, du secteur privé et des marchés financiers figurent parmi ses priorités. Pour y parvenir, il souhaite renforcer les compétences de la Banque, mais sans négliger la gestion des risques. L’amélioration de la gouvernance des États membres constitue selon lui un élément incontournable de la transformation du continent.
Jaloul Ayed insiste aussi sur l’importance de l’intégration économique. L’inclusion financière, le soutien aux micro-, petites et moyennes entreprises, l’appui au secteur agricole sont aussi au programme. Plus original, le candidat met en avant le rôle de la culture, au sens large, comme facteur d’innovation et d’évolution des mentalités.
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