Climat : la course contre la montre de Hela Cheikhrouhou

Ex-membre de la Banque africaine de développement, cette Tunisienne a pris la tête du Fonds vert de l’ONU. Une structure qui, avec 10 milliards de dollars, doit faire ses preuves avant la fin de l’année.

‘Ne consacrer qu’une toute petite partie des ressources de notre structure à l’Afrique serait un échec’, répète Hela Cheikhrouhou. © Green Climate Fund

‘Ne consacrer qu’une toute petite partie des ressources de notre structure à l’Afrique serait un échec’, répète Hela Cheikhrouhou. © Green Climate Fund

Publié le 20 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

Mieux vaut ne pas se fier à son air discret et à sa voix délicate. Sur les épaules de cette Tunisienne de 43 ans repose l’un des projets les plus ambitieux du moment. Hela Cheikhrouhou est la directrice générale du Fonds vert pour le climat, une structure des Nations unies qui vise à financer, avec l’argent des pays riches, la lutte des plus pauvres contre le changement climatique.

Né en 2009 au sommet de Copenhague, le projet a connu un grand coup d’accélérateur l’hiver dernier lorsque les États développés se sont engagés à lui verser quelque 10 milliards de dollars (8 milliards d’euros) pour 2015 – l’objectif étant d’atteindre 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020.

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Depuis, Hela Cheikhrouhou est sur tous les fronts. Il lui faut à la fois concrétiser ces promesses de dons et lancer les premiers investissements. Car l’horloge tourne : une première palette de projets de « démonstration » doit être prête pour le sommet de Paris, fin novembre. « Nous travaillons à un rythme extrêmement soutenu, confirme-t-elle à Jeune Afrique, entre deux avions, dans un grand café parisien. Dans les dix à douze prochaines semaines, nous devons avoir une idée très précise des projets de 2015. »

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Impatience

Ceux qui la côtoient louent sa compétence et son énergie. Mais, ajoute l’un d’eux, son impatience bouscule un peu les membres de l’institution, habitués aux longues négociations onusiennes : « Elle veut toujours qu’on prenne des décisions, au risque d’être parfois frustrée si ça ne va pas assez vite. Son parcours l’a amenée à être très orientée sur les résultats. »

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Cette diplômée de HEC Montréal s’est formée dans l’effervescence des salles de marchés. En 1996, elle entre comme trader chez Citibank à Tunis puis occupe différents postes à responsabilité au sein de cette banque internationale (« trésorière pays » pour le Maroc et vice-présidente chargée de la gestion des risques au Maghreb). Mais ces expériences ne sont pas assez humaines à son goût. À 31 ans, elle débute une deuxième carrière dans les institutions financières de développement pour « faire une différence dans la vie des plus vulnérables ».

Elle est la seule prétendante africaine à la direction du Fonds vert, face à un Colombien et à un Néerlandais.

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Après un passage à la Banque mondiale, à Washington, elle revient à Tunis pour intégrer la Banque africaine de développement (BAD). En 2010, elle prend la tête d’une nouvelle direction qui réunit l’énergie, l’environnement et le changement climatique et supervise des projets complexes comme le mégabarrage hydraulique du Grand Inga, en RD Congo.

« Dans ce genre de situation, elle sait fédérer les différents acteurs, raconte un ancien partenaire de négociations. Elle a un bon jugement, de l’éthique, et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas quelqu’un d’effacé. » Elle prend alors conscience de l’enjeu de l’accès à l’énergie pour le continent, de son immense potentiel en ressources renouvelables mais aussi le défi que représente la croissance aussi rapide que chaotique des mégalopoles africaines. Si bien que, lorsqu’un cabinet de recrutement l’appelle au printemps 2013 pour lui proposer de se porter candidate à la direction du Fonds vert, sa décision est prise « en quelques secondes ». Elle sera la seule prétendante africaine, face à un Colombien et à un Néerlandais. « La sélection du directeur exécutif était très importante puisque c’est la personne qui allait insuffler de la réalité dans ce concept qu’était le Fonds vert. Donc il ne fallait pas faire de mauvais choix… J’espère qu’ils considèrent qu’ils ne se sont pas trompés ! » sourit-elle.

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Mobiliser

Cette mère d’un garçon de 2 ans vit désormais à Incheon, en Corée du Sud, où le siège de la structure onusienne est implanté. Mais elle passe la plupart de son temps en déplacement. À Manille, en février, pour accompagner le président français François Hollande lors d’une visite sur le thème de la vulnérabilité des îles au changement climatique. Et à Bamako, pour mobiliser les ministres des Finances de la zone franc et les pousser à proposer au plus vite des projets (lire l’encadré ci-dessous).

Car si l’Afrique est au coeur des priorités du fonds, Hela Cheikhrouhou craint de voir les capitaux s’en détourner. Ces quinze dernières années, d’autres initiatives destinées à soutenir les pays en développement face au changement climatique ont principalement bénéficié aux grandes nations émergentes comme la Chine ou le Brésil.

Or le continent figure, avec les « petits » États insulaires du Pacifique et certains pays asiatiques, parmi les régions les plus vulnérables au changement climatique, qui va amplifier les phénomènes tels que les sécheresses ou les inondations. « Un Fonds vert qui consacrerait un tout petit pourcentage [de ses ressources] à l’Afrique serait un échec », juge celle qui n’a pas encore décidé si elle serait candidate à sa réélection en 2016. « À l’inverse, rien n’empêche de lui allouer 50 % des investissements, dit-elle. Mais pour cela, on ne peut pas se substituer à la proactivité des gouvernements, de la société civile et du secteur privé africains. Ils ne peuvent pas laisser passer ça, c’est l’opportunité d’une génération. »

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Feux « verts »

Le Fonds Vert ne comptera que 55 experts (dont le recrutement est en cours pour la moitié d’entre eux) qui vont s’appuyer sur un réseau de partenaires. Sept premières entités ont été accréditées fin mars, parmi lesquelles la banque allemande de développement KfW et le Centre de suivi écologique du Sénégal.

Ils sont les interlocuteurs privilégiés des porteurs de projets, privés ou publics, qui souhaitent bénéficier d’un financement (en fonds propres, en dette, sous forme de garantie). Leur rôle est ensuite de sélectionner et d’instruire des dossiers pour le compte du Fonds vert, qui les valide. « Nous pouvons prendre plus de risques que les autres investisseurs et accorder des financements à des termes qui défient toute concurrence », précise Hela Cheikhrouhou, rappelant que les projets « verts » sont systématiquement plus chers.

Sa priorité est double : d’une part, atténuer le changement climatique à travers les énergies ou les transports urbains propres et, d’autre part, adapter les régions à ce phénomène avec la construction de digues ou le développement d’une agriculture moins gourmande en eau.

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