« Lamb » de Yared Zeleke : va, vis et deviens
À 36 ans, Yared Zeleke est l’auteur du premier film éthiopien sélectionné sur la Croisette, dans la catégorie Un certain regard. Une histoire semi-autobiographique sur le déracinement et l’exil.
À l’annonce de la sélection officielle du Festival de Cannes, Yared Zeleke n’a pu cacher sa déception. En 2013, le jeune Éthiopien avait pourtant participé à l’Atelier de la Cinéfondation, qui aide une quinzaine de réalisateurs prometteurs à trouver le financement nécessaire pour mener à bien leurs projets.
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Un atout majeur pour qu’un film soit ensuite retenu parmi ceux concourant pour la Palme d’or, ou tout du moins dans la sélection officielle Un certain regard. "J’étais déjà très content d’avoir pu présenter mon oeuvre aux sélectionneurs", confie, beau joueur, Yared Zeleke, qui avait alors pris son temps pour finaliser sans pression la bande-son de son film à Paris…Jusqu’à ce que la nouvelle tombe : Lamb, repêché, sera finalement projeté le 20 mai dans la catégorie Un certain regard, lui annonce sa productrice, la Ghanéenne Ama Ampadu.
"Une magnifique surprise, avoue-t-il, qui a illuminé ma journée, ma semaine, mon année, ma vie." On peut le croire sur parole ! Et pas seulement parce que cet homme, qui avec son visage juvénile et ses cheveux courts fait moins que ses 36 ans, paraît incapable de vantardise ou d’hypocrisie.
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Ou parce qu’il s’agit du premier film éthiopien inédit à avoir jamais été sélectionné sur la Croisette. La consécration inattendue de Zeleke à Cannes dès son premier long-métrage relève effectivement d’un petit conte de fées, comme son parcours jusque-là.
Brebis
Le cinéaste a vu le jour dans un quartier déshérité des faubourgs d’Addis-Abeba dans une période sombre de l’histoire du pays. À l’époque des grandes famines. Et quand, après la chute de Haïlé Sélassié, le sinistre régime procommuniste du Derg menait une politique de répression féroce envers tous ceux qu’il considérait comme des opposants.
Ce qui valut au père du futur cinéaste – accusé de trop fréquenter des étrangers alors qu’il travaillait dans le secteur de l’aviation – d’être emprisonné. Et à l’enfant Yared d’être très tôt séparé de sa famille et élevé par une grand-mère dont il garde un excellent souvenir.Son père parviendra finalement à s’enfuir aux États-Unis, où il le rejoindra à l’orée de l’adolescence. "J’ai grandi à Washington et je me suis inscrit à l’université en agroéconomie.
Je voulais, une fois mes études finies, me rendre utile pour les fermiers de mon pays." Un engagement motivé par de bonnes raisons, mais qui ne lui correspond guère. Lors d’un séjour d’études en Norvège, le jeune homme se rend compte qu’il n’a aucune envie de devenir un expert en agriculture.
Ce qui l’attire alors ? Raconter des histoires, comme sa grand-mère. Une occupation professionnelle qui pourrait être tout aussi bénéfique pour son pays. Finalement, il précipite son retour en Amérique pour suivre un cursus dans la section cinéma de la New York University.
Après avoir obtenu son diplôme et réalisé quelques courts-métrages, Yared Zeleke embarque pour l’Éthiopie : "Je pensais qu’il était temps que les Africains racontent leurs propres histoires, nourries de leurs vies. C’est là que j’ai écrit le scénario de Lamb."Une histoire semi-autobiographique puisqu’elle évoque comment, après la disparition de sa mère, victime de la famine, un jeune garçon est envoyé par son père vivre chez des parents dans une région éloignée. Un exil mal vécu.
D’autant que le seul être auquel tient notre héros est une brebis nommée Chuni qui lui rappelle le temps béni de sa prime enfance. Or voilà que son oncle décide de tuer l’animal pour le manger lors d’une fête à venir.Un film quelque peu mélodramatique, mais fort bien réalisé, dans un style apte à séduire le public africain comme les spectateurs occidentaux. Connaîtra-t-il le succès en Éthiopie ?
Yared Zeleke l’espère, même si les salles en activité, bien que plus nombreuses que dans la plupart des régions d’Afrique subsaharienne, subsistent seulement dans quelques grandes villes."J’aimerais que le cinéma d’auteur, quasi inexistant en Éthiopie, soit enfin pris en considération à Addis-Abeba, où l’on estime hélas que les films sont simplement des produits commerciaux comme les autres." D’où l’importance que va revêtir l’accueil que Cannes réservera à Lamb et l’écho qu’il suscitera.
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