Terrorisme : si Daesh m’était conté

Quatre ouvrages reviennent sur l’État islamique avec un même constat : l’Occident fonce tête baissée dans le piège qui lui est tendu.

Les opinions comme les gouvernants occidentaux sont-ils tombés dans le panneau de Daesh ? © Glez/J.A.

Les opinions comme les gouvernants occidentaux sont-ils tombés dans le panneau de Daesh ? © Glez/J.A.

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 19 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Hormis quelques traités justifiant leur lecture violente du Coran, les jihadistes n’aiment pas les livres. Mais le calife et ses égorgeurs font couler l’encre. Une dizaine d’ouvrages sont parus en France depuis qu’en Irak ils se sont emparés de Mossoul, en juin 2014.

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Quatre d’entre eux dressent ce constat unanime : l’Occident et ses alliés, précipités en guerre, ont foncé dans le piège de l’ennemi faute d’avoir compris où et pourquoi celui-ci a vaincu.

Pour Nicolas Hénin, journaliste spécialisé dans la zone qui a été otage des fous d’Allah pendant dix mois, c’est en Syrie qu’il faut chercher le coeur de la "Jihad Academy". Rappel indispensable, alors que les complications de la guerre d’Assad incitent à considérer Daesh, ou l’État islamique (EI), essentiellement en Irak où leurs conquêtes éclair ont sidéré.

Riche en entretiens, l’ouvrage démontre avec efficacité la responsabilité délibérée, dans la croissance de l’EI, du régime de Damas, qui lui a apporté dès 2011 un levain providentiel en libérant des centaines de radicaux puis a favorisé sa fermentation en ne ciblant que l’insurrection modérée, voire en pactisant. Abandonnés à leur sort, les effectifs de l’Armée syrienne libre ont sombré dans la délinquance ou rejoint les radicaux, ultimes défenseurs du peuple révolté.

Hénin dénonce aussi avec justesse le double jeu des Kurdes, présentés en héros dans les médias, et la focalisation néfaste des opinions occidentales sur les menaces spécifiques aux chrétiens, qui fait apparaître Assad comme leur rempart.

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Jihad Academy, de Nicolas Hénin, Fayard, 258 pages, 18 euros

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C’est "le piège Daech" que démonte aussi Pierre-Jean Luizard, du CNRS, fin connaisseur de l’Irak. "Quand on relit Le Choc des civilisations de Samuel Huntington, écrit-il, on est frappé du jeu de miroirs qui s’instaure avec les conceptions du salafisme jihadiste […].

À bien des égards, l’EI est parvenu à ses fins en impliquant l’Occident dans sa guerre." Un Occident surarmé mais dépourvu de projet politique.

Revenant utilement sur l’Histoire, le chercheur montre comment la genèse mésopotamienne de l’EI a été permise par le basculement des rapports de forces entre sunnites et chiites d’Irak : après l’invasion américaine de 2003, l’élu Nouri al-Maliki, issu de la majorité chiite, s’est mué en oppresseur de la communauté sunnite, minoritaire, comme celle-ci avait dominé la sienne au XXe siècle, sous la monarchie puis sous Saddam Hussein.

Les circonstances étaient réunies pour que, dans les régions sunnites, l’EI puisse être perçu comme un libérateur.

Le piège Daech, de Pierre-Jean Luizard, La Découverte, 192 pages, 13,5 euros

Clés de compréhension

"L’État islamique, multinationale de la violence", constate la journaliste italienne spécialiste du terrorisme Loretta Napoleoni dans une enquête plus vivante mais moins analytique que la précédente, sans pour autant se priver de donner des clés de compréhension et de livrer des références intéressantes.

Soulignant la dichotomie barbarie-modernité de l’EI, l’auteure y rappelle que si sa violence choque, c’est parce qu’elle est largement et intentionnellement diffusée, et non parce qu’elle est exceptionnelle.

Dans un monde hystérisé par les infos flash et les réseaux sociaux, les opinions comme leurs gouvernants tombent dans le panneau de Daesh, faisant son jeu, alors que les occasions n’ont pas manqué de briser son essor.

L’Etat islamique, multinationale de la violence, de Loretta Napoleoni, Calmann-Lévy, 192 pages, 17 euros

Treize ans après le 11 Septembre, c’est ainsi "le retour des djihadistes" pour Patrick Cockburn, correspondant depuis 1979 au Moyen-Orient de grands quotidiens anglophones, qui signe un essai plutôt bâclé.

Quelques pages intéressantes néanmoins sur la Syrie et la dégénérescence du Printemps arabe : "Les révolutions et les soulèvements populaires de 2011 étaient aussi authentiques que d’autres au cours de l’Histoire, mais la façon dont ils ont été perçus en Occident a été souvent sérieusement biaisée."

Le terrain était prêt, le piège était tendu. Reste une question : comment le Moyen-Orient et ses génies en sortiront-ils

Le Retour des djihadistes. Aux racines de l’Etat islamique, de Patrick Cockburn, éditions Equateurs, 174 pages, 14 euros

Le grand chelem de Chokri Mabkhout

Trois prix en un mois ; c’est le grand chelem qu’a remporté le roman Ettaliani du Tunisien Chokri Mabkhout, linguiste et président de l’université de la Manouba. Récompensée à la Foire internationale du livre de Tunis et par le Comar d’or 2015, cette première oeuvre, éditée par la maison tuniso-égyptienne Dar Altanweer, rafle le prix international de la fiction arabe (le "Booker arabe") et remporte, sur 180 romans en lice, une reconnaissance rare dans le monde arabe ainsi que les 50 000 dollars (près de 45 000 euros) à la clé.

Pourtant, le propos d’Ettaliani – "l’Italien", du surnom donné au personnage principal, Abdennasser – aurait pu indisposer un Moyen-Orient souvent réticent envers les auteurs maghrébins.

Mais comme le souligne Mourid Barghouti, écrivain palestinien et membre du jury, "ce roman peut surprendre les lecteurs arabes, qui y reconnaîtront des aspects de leur société".

Avec un récit construit comme un millefeuille et des personnages taillés au cordeau, Chokri Mabkhout, 53 ans, part du choc de la révolution de 2011 pour revenir aux fractures et aux questions idéologiques qui ont agité les pays arabes dès les années 1960.

D’échecs en succès, de constats en paradoxes, Abdennasser et Zina, son alter ego féminin, traversent, avec leurs doutes, la Tunisie de Bourguiba puis celle de Ben Ali mais aussi celle d’aujourd’hui, où l’université est prise entre deux feux, celui des mouvements de gauche et celui de l’émergence islamiste.

Ettaliani sera traduit en anglais et porté à l’écran en attendant la sortie du second roman de Chokri Mabkhout.

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