Chine-Taïwan : nuages noirs sur le détroit
À huit mois d’une élection présidentielle à hauts risques, la poignée de main très médiatisée entre Xi Jinping et Eric Chu Li-luan ne doit pas faire illusion : Pékin n’a nullement renoncé à récupérer l’île rebelle.
Le calme qui règne depuis un an sur le détroit de Taïwan n’est qu’apparent. Et la rencontre du 4 mai entre le Taïwanais Eric Chu Li-luan, président du Guomindang (GMD), et le président chinois Xi Jinping risque bien de le troubler. EIle a en tout cas donné lieu à toutes sortes d’exégèses concernant l’histoire des relations entre les deux Chines depuis la partition, en 1949.
Cette rencontre, la première en sept ans, survient en effet dans un contexte régional tendu. Car le Guomindang, le vieux parti nationaliste – celui de Sun Yat-sen et de Tchang Kaï-chek -, qui était hier encore l’irréductible ennemi du Parti communiste, est aujourd’hui partisan d’un rapprochement avec la Chine continentale. Il a perdu le pouvoir en 2000, l’a reconquis en 2008, mais risque fort de le perdre à nouveau lors de l’élection présidentielle de janvier 2016 au profit du Parti démocrate progressiste (DDP).
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Or celui-ci est, à l’inverse, favorable à l’indépendance de l’île… Une position totalement inacceptable pour les autorités de Pékin, qui ne perdent pas une occasion de rappeler leur volonté farouche de faire respecter ce principe à leurs yeux intangible : une seule Chine. Le choix des mots, en ce domaine, pèse lourd. Chine nouvelle, l’Agence de presse officielle, multiplie ainsi les mises en garde pour interdire l’emploi d’expressions comme « un pays de part et d’autre du détroit », ou « la Chine et Taïwan ».
« Les deux parties peuvent échanger sur un pied d’égalité et sur la base du principe d’une Chine unique, et ainsi parvenir à un accord raisonnable », a estimé le président chinois le 4 mai. La Chine populaire n’a toujours pas digéré la sécession de 1949, quand Tchang Kaï-chek, fuyant la révolution communiste, s’installa dans l’île de Taïwan, à 180 km de la côte chinoise, de l’autre côté du détroit.
Depuis, la région est l’une des plus militarisée au monde. Quelque 1 400 missiles chinois sont pointés vers Taïwan, tandis que la VIIe flotte américaine patrouille en permanence dans les parages. Lors de chaque consultation électorale, le DDP agite le spectre de l’indépendance. Il est vrai que Taïwan est une vraie démocratie disposant d’un gouvernement, d’une armée et d’une monnaie propres.
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Rodomontades
En 2008, le retour du GMD au pouvoir calma le jeu. Mais les rodomontades de Pékin ne tardèrent pas à jeter des milliers de Taïwanais dans les bras de l’opposition. Un an après, la « révolution des tournesols », qui, en mars 2014, vit descendre dans la rue 100 000 défenseurs de la démocratie, le GMD n’a plus du tout le vent en poupe. Le prochain chef de l’État à toutes les chances d’être une femme : la très indépendantiste Tsai Ing-wen, candidate du Parti démocrate.
Du coup, la Chine voit rouge et les États-Unis, qui n’ont pas oublié les tensions qui ont marqué le passage au pouvoir de Chen Shui-bian (2000-2008), s’inquiètent. Dans cette atmosphère tendue, un vieil accord conclu en 1992 entre des représentants semi-officiels des deux parties retrouve une importance capitale. Ce texte stipule clairement qu’il n’existe qu’une seule Chine, mais chacun en a évidemment toujours eu une interprétation bien différente.
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Pour mieux faire passer la pilule, Pékin dispose de deux cartes. La première est économique : l’élargissement de l’accord de libre-échange de 2010, qui octroie de larges avantages aux entreprises taïwanaises. Jusqu’ici, c’est indiscutable, il a surtout profité à Taïwan : 539 produits taïwanais exportés en Chine bénéficient de tarifs préférentiels, contre 250 produits chinois en sens inverse.
Grâce à cet accord, 260 000 emplois ont été créés dans l’île. Pékin accorde par ailleurs les mêmes privilèges aux banques taïwanaises qu’aux banques de Hong Kong, alors que l’ex-colonie britannique est partie intégrante du territoire chinois. Du coup, nombre de Taïwanais redoutent une éventuelle réunification économique qui pourrait être le prélude à une intégration politique dont ils ne veulent pas.
La seconde carte est l’éventuelle participation de Taïwan à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), établissement lancé par Pékin pour concurrencer la Banque mondiale. Cinquante-sept pays l’ont déjà rejointe, mais pas Taïwan (pour l’instant), ni le Japon, ni les États-Unis – la Chine choisit ses amis !
Le message de Xi s’adressait donc autant au Guomindang qu’au Parti démocrate progressiste : pour bénéficier des largesses de la Chine, mieux vaut maintenir le statu quo dans le détroit de Taïwan. Pour l’heure, le DDP réserve sa réponse. On comprend que l’évolution de la situation rende les responsables américains nerveux. Formellement, rien ne les contraint à protéger Taïwan par la force militaire, mais l’intégration de l’île à la Chine continentale constituerait pour eux un cuisant échec.
C’est la raison pour laquelle ils ont choisi d’intervenir directement dans la précampagne électorale à Taïwan, sans souci des usages diplomatiques. Des négociateurs sont à pied d’oeuvre pour calmer les ardeurs indépendantistes de la candidate démocrate et tenter de ramener un peu de sérénité dans une région qui en a certes bien besoin.
Jeu dangereux
La mer de Chine méridionale est actuellement le théâtre de très vives tensions ponctuées d’affrontements périodiques pour le contrôle des îles Spratly. Les États-Unis viennent de critiquer les manoeuvres militaires chinoises dans la région. Un « jeu dangereux », estime un général américain. La superficie des zones contrôlées par la République populaire, qui fonde ses revendications sur des cartes datant des années 1940, a selon lui été multipliée par quatre cents, pour l’essentiel depuis le mois de janvier dernier.
Les manoeuvres chinoises se déroulent de surcroît à quelques encablures de Taïwan, dans des eaux territoriales que se disputent six pays. Bref, ces opérations sont de nature à « ébranler la paix, la sécurité et la stabilité » dans la région. C’est en tout cas ce qu’ont estimé les pays du Sud-Est asiatique lors du récent sommet spécial de l’Asean (le 26 avril à Kuala Lumpur, en Malaisie).
Un statut compliqué
Taïwan est-il un « territoire indépendant » ou une « province de la Chine » appelée à revenir sous l’autorité du gouvernement de la République populaire ? La question se pose depuis l’arrivée dans l’île, en 1949, des dirigeants du Guomindang et de l’armée nationaliste fuyant les troupes communistes. Le gouvernement de Taipei a longtemps été reconnu par l’ONU comme l’unique représentant de la Chine. Il était à ce titre l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Mais, le 25 octobre 1971, il a été remplacé par celui de Pékin. Il n’est plus aujourd’hui officiellement reconnu que par 23 États membres de l’ONU. La majorité des Taïwanais est favorable au statu quo. Mais la Chine souhaiterait appliquer à l’île nationaliste la formule inventée par l’ancien président Deng Xiaoping : « un pays, deux systèmes ». Comme pour Hong Kong et Macao.
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