Turquie : PIB et bulletins de vote

Les scores électoraux de l’AKP ont tendance à fluctuer en fonction du taux de croissance, explique l’économiste Seyfettin Gürsel. Or, avant les législatives du 7 juin, celui-ci n’est pas au top.

L’économiste Seyfettin Gürsel © D.R

L’économiste Seyfettin Gürsel © D.R

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Publié le 20 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

Le 7 juin, la Turquie élira un nouveau Parlement. Bien que son étoile pâlisse depuis la révolte de Gezi, en mai-juin 2013, et l’éclatement d’un énorme scandale de corruption, au mois de décembre suivant, l’AKP, qui conserve un solide socle électoral, devrait l’emporter sans trop de difficultés.

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Mais c’est son score qui sera scruté à la loupe. Car de celui-ci dépendra la réalisation de l’objectif du président Recep Tayyip Erdogan : transformer le système parlementaire en régime présidentiel afin de disposer de pouvoirs élargis.Directeur du centre de recherche économique à l’université Bahçesehir d’Istanbul, éditorialiste aux quotidiens Today’s Zaman et Zaman, Seyfettin Gürsel tente d’évaluer l’impact du marasme économique sur le vote.

Jeune Afrique : Les bons résultats économiques obtenus par l’AKP ont-ils directement influé sur ses scores électoraux depuis douze ans ?

Seyfettin Gürsel : C’est indéniable. En novembre 2002, l’AKP était arrivé au pouvoir en remportant près de 35 % des voix aux législatives. Lors des législatives suivantes, en juillet 2007, il a bondi à 46,6 %, ce qui a coïncidé avec un essor de l’économie : entre 2002 et 2007, le taux de croissance a été supérieur à 6 %, et cette expansion a notamment profité aux plus pauvres.

A contrario, il est retombé à 38,8 % lors des municipales de mars 2009, alors que la crise mondiale atteignait un pic, que le PIB de la Turquie s’était rétracté de 15 % en un an et que le chômage dépassait 14 %. Ironie du sort, dès avril 2009, la croissance est repartie de manière spectaculaire. En 2010, elle a atteint 9,2 % – ce qui plaçait la Turquie au deuxième rang mondial, juste derrière la Chine -, et 8,5 % l’année suivante. Or, aux élections de juin 2011, l’AKP a recueilli 49,8 % des voix.

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Qu’en est-il aujourd’hui ?

La croissance s’est de nouveau affaissée. De 2012 à 2014, son taux moyen n’a été que de 3 % – et même de 2,9 % en 2014. Les Européens nous envient peut-être, mais il n’empêche : ce taux n’est pas suffisant pour la Turquie, où la population active augmente, notamment en raison de l’entrée des femmes sur le marché du travail. Et il ne suffit pas pour maîtriser le chômage, qui, en un an, est passé de 9,5 % à 10,5 %.

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C’est donc la fin du miracle ?

Assurément. Après la grave crise intérieure de 2001, de grandes réformes structurelles, comme l’indépendance de la Banque centrale, l’assainissement du système bancaire ou la discipline budgétaire, avaient été entreprises à l’instigation du gouvernement précédent.Continuant sur cette lancée, l’AKP a bien géré l’économie alors qu’il y avait abondance de liquidités sur les marchés internationaux, ce qui permettait de financer facilement le déficit extérieur.

Mais, depuis 2012, on sait que la croissance ne peut continuer à ce rythme et qu’il faut impérativement engager de nouvelles réformes de fond – marché du travail, fiscalité, éducation, etc. Or Erdogan a refusé de le faire avant les municipales et la présidentielle de 2014, et il continue de s’y opposer avant les législatives du 7 juin. Il sait fort bien que l’opération est politiquement délicate.

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Comment voyez-vous ces législatives ?

Il faut s’attendre à ce que l’AKP perde des voix en raison de la situation économique. Lors des dernières élections significatives, les municipales de 2014, ce parti avait reflué à moins de 44 %. Je pense qu’il devrait tomber cette fois à 42 % ou 43 %. Quoi qu’il en soit, son score sera crucial pour l’évolution démocratique du pays.

Pourquoi ?

Erdogan veut instaurer un régime présidentiel "alla turca", c’est-à-dire assez autoritaire. Mais il lui faut obtenir une majorité référendaire, soit plus de 330 députés, pour pouvoir modifier la Constitution.Tout dépendra du score du HDP. Si ce parti prokurde qui s’ouvre peu à peu à la gauche et aux libéraux franchit la barre des 10 % [score en deçà duquel il ne serait pas représenté au Parlement], l’AKP aura besoin de plus de 50 % des voix pour atteindre la majorité référendaire.

Si, au contraire, le HDP obtient moins de 10 %, l’AKP, seul parti à être aussi bien implanté que lui dans le Sud-Est, raflera la mise. Dans ce cas, 43 % ou 44 % des suffrages lui suffiraient pour obtenir ces fameux 330 sièges. 

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