Christine Deslaurier : « Pierre Nkurunziza avait bien préparé ses arrières »
Historienne à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), rattachée à l’Institut des mondes africains (IMAF), Christine Deslaurier, spécialiste du Burundi contemporain, a enquêté auprès de militaires issus des forces armées burundaises et de l’ex-rébellion CNDD-FDD. Pour J.A., elle revient sur les lignes de force du putsch avorté.
Jeune Afrique : Avez-vous été surprise par la tentative de coup d’État conduite par le général Niyombare ?
Christine Deslaurier : J’ai été davantage étonnée par la confusion qui a régné à la suite de son annonce – qui semble indiquer que Niyombare n’avait pas forcément bien mesuré les équilibres au sein des forces de sécurité – que par l’identité de son initiateur.
Car parmi les chefs de file du CNDD-FDD susceptibles de représenter les cadres et officiers en rupture, il figurait en première ligne. Ancien chef d’état-major, il avait été progressivement mis sur la touche avant d’être purement et simplement limogé en février. Godefroid Niyombare correspondait au portrait-robot d’un possible putschiste : leader historique du CNDD-FDD, ouvertement opposé à un troisième mandat de Nkurunziza, très populaire à Bujumbura et au sein de la société civile…
Au sein du CNDD-FDD, deux généraux emblématiques incarnent des tendances antagonistes : le "dissident" Godefroid Niyombare et le "faucon" Adolphe Nshimirimana, resté loyal au président Nkurunziza…
Sociologiquement, ils sont issus de milieux différents, même si tous deux ont grandi à Kamenge, un quartier populaire de Bujumbura qui a longtemps fait figure de bastion hutu et fut le berceau de la rébellion du CNDD-FDD. Mais le "général Adolphe", un ancien kokayi – ces apprentis qui rabattent les clients dans les petits bus -, a appris la vie dans la rue, alors que Godefroid Niyombare a fait des études supérieures et travaillait dans une entreprise de télécommunications avant de rejoindre la rébellion.
Pendant la guerre, Nshimirimana était davantage perçu comme un homme d’action et Niyombare comme un stratège. Au sortir de la rébellion, le premier a dirigé pendant dix ans le Service national des renseignements, très brutal et coercitif, alors que Godefroid Niyombare a contribué à la réforme de l’armée en tant que chef d’état-major et a noué, dans ce cadre, des liens à l’étranger. Ces deux officiers incarnent, respectivement, les pôles radical et modéré du CNDD-FDD.
Chaque camp a eu pour priorité de prendre le contrôle des radios du camp adverse. Ce média a-t-il une importance particulière au Burundi ?
Pour le régime Nkurunziza, les radios privées sont l’incarnation de l’opposition. Elles sont par ailleurs le seul média susceptible de toucher l’ensemble de la population, largement illettrée. Par l’intermédiaire des radios se livre donc une guerre des mots qui résonne jusqu’à l’intérieur du pays.
Or depuis 2010 au moins, les pro-Nkurunziza savent qu’ils ont perdu Bujumbura ; c’est pourquoi il est capital pour eux de contrôler l’information en direction des collines afin d’empêcher toute propagande antigouvernementale de s’y répandre. Au Burundi, les radios sont une force politique à part entière, pas seulement un contre-pouvoir.
>> À lire aussi : Burundi : Mbonimpa, Rufyikiri, Nininahazwe … ces défenseurs des droits humains sous pression
Quelles leçons peut-on tirer de l’échec des putschistes et à quoi doit-on s’attendre désormais ?
Dès lors que les putschistes ne parvenaient pas à se rendre maîtres de la RTNB [la radio-télévision nationale], leur échec était sinon prévisible, du moins probable. Avant de partir pour la Tanzanie, où il assistait à un sommet régional, Pierre Nkurunziza avait manifestement bien préparé ses arrières : Niyombare n’est pas parvenu à faire basculer les forces armées, notamment la garde présidentielle, qui a défendu les principaux points stratégiques de la capitale.
Nkurunziza en sort renforcé, même si cet épisode montre des défaillances au sein du CNDD-FDD qui vont probablement donner lieu à de nouvelles purges, lesquelles n’auront rien de tendre. D’une certaine manière, ce putsch manqué aura permis de clarifier dans quel camp se situent les opposants, au sein de l’armée et de la police. Par ailleurs, face aux manifestants, les forces de sécurité sont désormais sûres de leur puissance.
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