Burundi : Nkurunziza, le Messi(e) des Grands Lacs
Pierre Nkurunziza, qu’une minijunte d’officiers supérieurs aussi irresponsables qu’inorganisés a tenté en vain de renverser le 13 mai, a deux caractéristiques peu communes : il dialogue avec le Messie et se prend pour Messi.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 18 mai 2015 Lecture : 3 minutes.
Chrétien évangélique tendance born again et prêcheur bondissant, tout comme son épouse, Denise, elle aussi pasteur, le président burundais gouverne à coups de messages divins et de citations bibliques – ce qui n’a jamais été un signe particulier d’équilibre. Avant-centre d’une équipe de football dénommée Alleluia FC, ce quinquagénaire prolifique joue aussi les serial buteurs en championnat, les gardiens de but adverses ayant une curieuse tendance à se figer dès que Son Excellence a le ballon.
Éperdues d’admiration, les instances nationales du sport lui ont même décerné en 2014 le titre de meilleur joueur de l’année : 39 buts en 28 matchs, de quoi tutoyer les stats de la star du Barça. Le Lionel Messi des Grands Lacs aurait pourtant dû le savoir : il n’est pas prudent pour un capitaine de déserter le terrain au milieu du match. Ils sont une dizaine de chefs d’État à avoir reçu un carton rouge en leur absence alors qu’ils étaient en voyage à l’étranger.
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De Kwame Nkrumah le Ghanéen au roi Idris de Libye, des Centrafricains Bokassa et Patassé aux Mauritaniens Haïdallah et Ould Taya, du Burundais (déjà) Bagaza à l’Ougandais Obote, tous ont payé cash leur imprévoyance, sous le regard consterné de leurs hôtes – d’abord compatissants envers un confrère plongé en plein désarroi, puis rapidement désireux de le voir s’exiler sous d’autres cieux, comme on chasse un oiseau de malheur. Un seul avant lui avait été autorisé à regagner la pelouse après une courte exclusion : Fradique de Menezes.
Il est vrai que São Tomé est si petit que tout s’y résout autour d’une bière et que le putsch qui l’avait renversé il y a douze ans était d’opérette. Mais revenons à l’essentiel : ce qui a valu au spécial one de Bujumbura de se retrouver momentanément hors jeu, c’est à la fois son autisme et son obstination. Persuadé, pour peu qu’on le laisse se représenter, d’être aisément réélu – hypothèse parfaitement plausible au demeurant, sa popularité dans les campagnes étant indéniable -, Nkurunziza a oublié qu’en Afrique le pouvoir se gagne ou se perd dans les capitales et que les révolutions (a fortiori les coups d’État) ne sont pas affaires de démocrates mais de minorités agissantes.
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En l’occurrence, les très élusives "sociétés civiles", lesquelles bénéficient du soutien aussi déterminant que pavlovien de leurs pygmalions : les diplomates, journalistes, ONG et développeurs occidentaux.
Autisme donc, mais aussi obstination à vouloir forcer une interprétation égocentrée de la Constitution, alors même que tout changement de la loi fondamentale doit obéir à trois règles : 1) reposer sur un consensus ; 2) s’opérer en priorité pour le bien et le progrès du pays, non pour permettre uniquement à un seul homme de prolonger son bail au pouvoir ; 3) au cas où la modification proposée inclut ou porte sur le maintien de la candidature du sortant, faire en sorte de donner envie au peuple de lui renouveler sa confiance en lui présentant un bon bilan.
C’est exactement ce qu’a voulu dire le Rwandais Paul Kagamé – lequel sera bientôt, lui aussi, contraint de résoudre son propre Rubik’s Cube constitutionnel – en s’adressant à son voisin Nkurunziza : "Si vos concitoyens vous disent : "Nous ne voulons pas que vous continuiez à nous diriger", c’est qu’ils sont en train de vous dire que vous n’avez pas fait assez pour eux et qu’il aurait fallu le faire lors de vos deux précédents mandats."
En d’autres termes : quand un joueur, à force de maladresses, ou un entraîneur, à force de mauvais choix, devient la tête de Turc d’une partie du public, mieux vaut s’en séparer. Peut-être faut-il employer pareille métaphore pour faire comprendre à Pierre Nkurunziza que l’heure est venue pour lui de raccrocher les crampons à l’issue de son second et ultime mandat.
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