« Si nous avions perdu la guerre »

La dernière guerre mondiale s’est terminée en Europe le 8 mai 1945, il y a donc soixante-dix ans.

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 20 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

Elle s’est poursuivie en Asie et ne s’y est achevée que le 15 août de cette même année par l’effroyable cataclysme que fut le largage de bombes atomiques américaines sur les villes japonaises de Hiroshima et de Nagasaki. Le Japon a capitulé le 2 septembre, les armes se sont tues et le monde a retrouvé la paix.

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Les sept décennies suivantes ont cependant été marquées par une succession de guerres. Celle de Corée (1951-1953) a opposé les États-Unis à la Chine et les Américains n’ont pas été loin de recourir de nouveau à l’arme nucléaire. La décolonisation de l’Indochine et la réunification du Vietnam sont le fruit de deux conflits qui ont duré au total un bon quart de siècle ; celle de l’Algérie a duré huit ans (1954-1962) et le Moyen-Orient a été le théâtre, à partir de 1948, de plusieurs guerres israélo-arabes dans lesquelles les principales puissances nucléaires ont été occasionnellement impliquées.

Une fois encore, on a frôlé le conflit nucléaire. Ces guerres ont toutes été féroces, dévastatrices. Quel que soit leur camp, ceux qui les ont menées ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Mais seuls quelques vaincus en ont été convaincus puis jugés.
 

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Freeman Dyson est un grand mathématicien britannique qui a participé du côté des Alliés à la guerre de 1939-1945. En 2008, il a eu le courage et la lucidité de reconnaître sa responsabilité dans un texte que je vous invite à méditer : "Je veux apporter ma contribution personnelle à ce débat. Lorsque j’ai travaillé pour la RAF Bomber Command [le commandement de l’aviation de bombardement de la Royal Air Force], j’ai collaboré avec des gens qui ont organisé la destruction de Dresde en février 1945. Une opération honteuse au cours de laquelle des milliers de civils innocents ont péri dans les flammes.

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Si nous avions perdu la guerre, les responsables auraient pu être condamnés comme criminels de guerre, et j’aurais pu être accusé de complicité. Mon opinion est qu’à la fin de toute guerre l’impératif moral est la réconciliation. Sans réconciliation, il ne peut pas y avoir de véritable paix. Réconciliation signifie amnistie. Il est permis d’exécuter les pires criminels de guerre, avec ou sans procès, à condition que cela se fasse rapidement, tant que les passions de la guerre sont encore brûlantes.

Lorsque les exécutions ont eu lieu, il ne doit plus y avoir de chasse aux criminels et aux collaborateurs. Pour établir une paix durable, nous devons apprendre à vivre avec nos ennemis et leur pardonner leurs crimes. Amnistie signifie que nous sommes tous égaux devant la loi. L’amnistie n’est pas facile et elle n’est pas équitable, mais c’est une nécessité morale, parce que sans elle on entre dans un cycle sans fin de haine et de vengeance. L’Afrique du Sud nous a donné l’exemple et montré comment on peut faire."

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Le mystère des frères Castro

Fidel Castro a donc reçu le 11 mai au soir, chez lui, pendant une heure, le président français, qui achevait sa visite à Cuba. François Hollande a dit de cette rencontre que c’était " un moment d’Histoire". Peu de gens savent dans quel état de santé physique et intellectuelle est l’hommequi a accédé au pouvoir suprême en février 1959 à l’âge de 32 ans.

Déjouant les innombrables tentatives américaines pour le renverser ou le tuer, il a exercé sans partage ce pouvoir pendant près de cinquante ans , ce qui luia permis de façonner la vie des Cubains qui n’ont pas fui le communisme. Contraint par la maladie, il a apssé le relais, le 19 février 2008, à son frère Raúl plus jeune de cinq ans, en meilleure santé et qui avait été jusque-là son très silencieux second.

>> À lire aussi : Petits secrets et grands mystères de Fidel Castro

Au cours des sept années écoulées, on n’a vu de lui que les rares images d’unhommefrêle recevant chez lui des personnalités amies de passage à La Havane. Les journaux les mieux informés ont commencé à parler de mystère Fidel Castro : "un mystère enveloppé dans une énigme", comme aurait dit Winston Churchill. Comment se porte-t-il ? A-t-il encore toute sa tête ? Des deux frères Castro, lequel exerce la réalité du pouvoir ?

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Secret d’État (et de famille) bien gardé : "Ceux qui savent ne parlent pas, ce sont ceux qui ne savent pas qui parlent", a-t-on coutume de dire pour caractériser ce genre de situation. Mais, au début de cette année, par chance, j’ai rencontré un très bon connaisseur de Cuba qui savait, lui, où en était Fidel.

"Il est très diminué, n’a plus ni son énergie ni sa tête, sauf par intermittence, m’a-t-il révélé. Fidel a lâché prise à la fin de 2014 et c’est Raúl qui est maintenant aux commandes. Ce dernier a les mains de plus en plus libres. Désormais, ce qui se fait à Cuba est élaboré par lui et son entourage, sans aucun souci de ce qu’en pensera ou dira le Commandeur, car il n’y a plus de Commandeur."

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L’homme qui a reçu François Hollande le 11 mai et n’a parlé avec lui que de généralités n’est donc plus que la figure de proue du régime. Il est là pour la galerie, les choses sérieuses se discutent ou se décident avec Raúl. Devenu chef de l’État au plein sens du terme, c’est Raúl qui a décidé de renouer avec les États-Unis d’Obama et a utilisé le truchement de l’Église et du pape pour y parvenir plus vite.

Ce même Raúl s’est arrêté à Rome le 10 février pour remercier le pape François, "qui est un jésuite", et lui confier : "Moi aussi, j’ai été dans les écoles de jésuites." Le souverain pontife étant argentin, les deux hommes se sont entretenus une heure durant en espagnol, sans interprète.  "Un jour je recommencerai à prier et je retournerai à l’Église catholique", a dit Raúl à l’issue de l’entretien. Il a ajouté : "Je ne le dis pas pour plaisanter."

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Pour l’heure, il se creuse la tête pour savoir comment sortir son pays du communisme dans les trois ans qui lui restent (son mandat s’achève en février 2018). Choisira-t-il la voie chinoise retenue il y a trente-cinq ans par Deng Xiaoping, ou bien marchera-t-il sur les traces de Mikhaïl Gorbatchev en tentant d’éviter l’échec que ce dernier a essuyé ?

Quelle influence et quelle place redonnera-t-il à l’Église catholique cubaine ? Il est probable qu’en septembre prochain, lors du séjour du pape François à Cuba, il annoncera une nouvelle étapedans la sortiedeCubaducommunisme. S’il est encore en vie, Fidel ne s’en apercevra pas.

 

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