Torture : retour sur la passe d’armes entre le Maroc et Amnesty International
L’ONG Amnesty International a publié mardi un rapport contenant de nombreuses allégations d’actes de torture commis au Maroc. La délégation interministérielle aux Droits de l’homme lui a répondu le même jour lors d’une conférence de presse à Rabat.
Quelles sont les principales accusations d’Amnesty International ?
Vingt ans après la signature par le Maroc de la Convention des Nations unies contre la torture, que reste-il de ces engagements ? Pas grand chose, selon le dernier rapport d’Amnesty International, publié mardi 19 mai et intitulé : "L’ombre de l’impunité, la torture au Maroc et au Sahara occidental".
- De mutliples cas de torture : À travers le témoignage de détenus, Amnesty International recense l’utilisation d’un certain nombre de méthodes de tortures et de mauvais traitements. Parmi elles : coups, techniques d’asphyxie, simulacre de noyade, violences psychologique, viols, ou encore maintien dans des positions douloureuses telle que celle du "poulet rôti" – la victime est suspendue à une barre horizontale par les genoux et les poignets. L’ONG fait état de 173 cas signalés entre 2010 et 2014. "Des données récoltées dans le cadre de missions de recherche réalisées dans 17 lieux différents au Maroc", indique le rapport.
- Un sentiment d’impunité : D’après l’ONG, le sentiment d’impunité est alimenté dans les faits par de lourdes lacunes en termes de procédure pénale. Le rapport conclut notamment à la quasi-absence d’expértises médicales et d’enquêtes effectuées sur des faits de torture – ce que dément le gouvernement – alors même que le Code de procédure pénale donne aux procureurs et aux juges d’instruction des outils pour enquêter sur des allégations de torture. Le rapport souligne également l’abus excessif des recours en justice pour "dénonciation calmonieuse" ou "fausse déclaration" contre des personnes qui dénoncent des faits de mauvais traitements. L’ONG regrette enfin que les autorités marocaines ne puissent pas faire l’objet de poursuites pénales. Pour elle, l’Instance équité et réconciliation devrait aussi pouvoir établir des responsabilités individuelles pour les actes de torture commis au cours des années de plomb.
- Un manque de volonté politique : "Il existe un fossé béant entre la volonté proclamée de mettre un terme à la torture et une situation de fait dans laquelle les auteurs présumés ne font pas l’objet d’enquêtes et ne sont pas amenés à rendre de comptes", résume le rapport.
Le Maroc conteste en bloc le rapport d’Amnesty
La délégation interministerielle des Droits de l’homme n’a pas tardé à réagir. Dans une conférence de presse, mardi 19 mai, son secrétaire général, Abderrazak Rouwane, aux côtés de représentants du ministre de l’Intérieur et de la Justice, a condamné "le manque d’objectivité" du rapport.
- Des allégations contestées : Abderrazak Rouwane explique que "les autorités marocaines rejettent catégoriquement" les allégations contenues dans le rapport, avant d’ajouter que les conclusions de ce dernier sont "basées sur une appréciation manifestement biaisée de la situation qui renvoie à une époque révolue". Comprendre : l’époque d’Hassan II et de son tout-puissant ministre de l’Intérieur, Driss Basri, décédé en 2007.
- Une méthode critiquée : Mohammed Ouzgane, directeur de la règlementation et des libertés publiques au ministère de l’Intérieur, regrette quant à lui une approche partiale d’Amnesty : "Ces appréciations tendent délibérément à généraliser une situation sur la base de quelques cas isolés et choisis par Amnesty International selon des critères contestables". Et de fustiger "la nature particulière des liens entre certaines personnes citées dans le memorendum et certains représentants d’Amnesty International." Des suspicions de connivence jugées "graves pour une organisation qui a vocation ou du moins prétend représenter toutes les potentielles victimes de violations de droits de l’Homme", dit Mohammed Ouzgane.
- Les avancées du Maroc ignorées : Abderrazak Rawane se dit "étonné" de voir que Amnesty International a décidé de focaliser son attention sur le Maroc alors que sa campagne "Stop Torture" concerne 141 pays. "Amnesty International a depuis le début tiré des conclusions préalables au sujet de la question de la torture et des mauvais traitements au Maroc", déplore-t-il. D’après lui, l’ONG a sciemment ignoré, en vue de "dénigrer le royaume", les avancées réalisées par ce dernier. Un effort "connu et reconnu par toutes les instances internationales", assurait encore il y a peu à Jeune Afrique Driss El-Yazami, le président du Conseil national des Droits de l’homme.
Les questions en suspens
Tout n’est évidemment pas parfait au Maroc, comme le montre le flou qui règne encore sur certains sujets.
- L’impunité en matière de torture : Mounira Lemzouri, chef de division des affaires pénales spéciales au ministère de la Justice, a rappelé qu’en 2014 plusieurs poursuites avaient été engagées sur la base de l’article 231 du Code Pénal qui incrimine la torture. Mais le nombre de ces poursuites n’a pas été communiqué, ni celui des condamnations éventuellement prononcées par des tribunaux marocains dans la lutte contre la torture. Mounira Lemzouri a cependant cité 48 expertises médicales ordonnées par le parquet – ce qui contredit les affirmations d’Amnesty. Enfin, rien n’est avancé sur la question soulevée par l’ONG concernant la responsabilité des autorités pour des tortures présumées commises par des représentants de l’État.
- Quid des plaintes déposées à l’étranger ? Certains plaignants choisissent de contourner la justice marocaine en saisissant des tribunaux à l’étranger, en particulier en France. Or, les autorités marocaines sont critiquées pour ne pas avoir suffisamment enquêté sur les allégations rapportées dans ces affaires et d’avoir choisi de contre-attaquer en déposant des plaintes pour diffamation. Dernier rebondissement en date : selon une source judiciaire citée par l’AFP, le parquet de Paris aurait officiellement dénoncé, le 27 mars, auprès de la justice marocaine des faits présumés de torture sur la personne de l’ancien boxeur franco-marocain Zakaria Moumni, une procédure dans laquelle Abdellatif Hammouchi, le patron du contre-espionnage marocain (DGST), est visé. Par la voix de Mustapha Ramid, ministre de la Justice, le Maroc a cependant nié avoir reçu un tel document. Le dossier avait empoisonné pendant un an les relations diplomatiques entre Paris et Rabat avant qu’un protocole d’entraide judiciaire ne soit signé entre les deux pays le 6 février dernier.
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