Quand la Banque mondiale tombe de son piédestal
C’est une première depuis sa création : l’agence de l’ONU est concurrencée sur la scène internationale. Face à de nouvelles alternatives venues des pays émergents comme la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), elle doit radicalement changer son approche.
C’est peut-être des eaux boueuses du Congo qu’émergera le futur de la Banque mondiale. En approuvant en 2014 le versement de 73 millions de dollars (60 millions d’euros) pour financer les études environnementales préliminaires au démarrage du barrage Grand Inga en RD Congo, son président, Jim Yong Kim, a remis sur les rails le projet hydroélectrique le plus important au monde, tout en renouant avec une politique des grands travaux traditionnellement chère à son institution. Une fois achevé, cet ensemble de huit barrages générera 40 000 MW, soit la moitié de l’énergie électrique disponible aujourd’hui sur le continent, deux fois celle fournie par le barrage des Trois-Gorges en Chine. Un projet à 50 milliards de dollars qui s’annonce déjà comme étant le plus lourd financièrement jamais supporté par la Banque mondiale.
Une opportunité à saisir selon son président, si l’institution veut démontrer ses capacités « à entreprendre des projets d’infrastructures rentables pour les investisseurs, même dans des environnements réputés complexes comme la RD Congo ». Un premier décaissement de 12 milliards de dollars est programmé pour permettre la réalisation du premier barrage. Une goutte d’eau dans les contributions que la banque prévoit d’injecter pour dompter les flots impétueux du fleuve. « Voilà l’exemple type d’un projet qui ne se serait pas fait sans la participation d’acteurs comme nous », veut croire Jim Yong Kim, qui pour l’occasion fait montre d’une fermeté rare, en affirmant en marge d’une réunion avec le FMI : « Je veux absolument que ce projet démarre ».
Crise identitaire
L’heure n’est en effet plus à la tergiversation pour la Banque mondiale, qui semble traverser une période de crise identitaire. Avec ses 188 pays membres, elle tient toujours un rôle de premier plan en matière d’aide au développement. Au cours de la dernière décennie, l’institution et son bras armé dans le secteur privé, la Société financière internationale (SFI), se sont engagés à hauteur de 455 milliards de dollars de prêts pour financer plus de 7 200 projets à travers le monde. Rien qu’en 2014, elle a distribué 65 milliards de dollars, et l’expertise de ses 12 000 agents et 5 000 consultants est aujourd’hui reconnue dans la plupart des secteurs, de l’éducation à la santé, en passant par l’environnement et les infrastructures. Mais la vénérable maison, qui fêtera ses 70 ans cette année en même temps que le FMI, est confrontée à une concurrence inédite depuis sa création.
Longtemps étiquetée comme le bras financier des États-Unis – qui refusent toujours d’en lâcher la présidence -, la Banque mondiale doit, à l’heure de la mondialisation, compter avec les nouvelles alternatives multilatérales proposées par les économies émergentes, à commencer par la Chine. Alors que les États-Unis ont utilisé toutes les armes diplomatiques à leur disposition pour contrer l’influence de la nouvelle Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), créée fin 2014 et soutenue à bout de bras par Pékin, les institutions héritées du consensus de Washington cherchent au contraire à s’adapter à cette nouvelle réalité. Quand l’administration Obama fait directement pression sur ses alliés occidentaux pour qu’ils n’adhèrent pas à l’AIIB, Jim Yong Kim et Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, préfèrent accueillir à bras ouverts la nouvelle institution financière. Faute de choix peut-être.
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La patronne du Fonds ne cesse d’évoquer le besoin d’un « nouveau multilatéralisme », qui, avec le soutien des acteurs émergents comme l’AIIB, doperait la croissance mondiale. Et de presser le Congrès américain de ratifier les réformes de 2010, qui accordent une meilleure représentation des pays émergents au sein de son institution. De son côté, Jim Yong Kim cherche à prendre ses distances avec Washington, qui l’a pourtant nommé en 2012. Il jure de faire tout ce qui est en son pouvoir pour développer les liens avec l’AIIB. « Il y a assez de travail pour tout le monde », estime le président de la Banque, qui ne refuserait pas un peu d’aide afin de poursuivre les Objectifs du millénaire pour le développement.
Souplesse
Pour lui, l’avenir de la Banque mondiale repose sur une solution « hybride ». Un savant équilibre à trouver entre ses contributions financières d’une part et son expertise technique de l’autre. « La Chine et l’Inde empruntent toujours plus auprès de la Banque mondiale, moins pour l’argent que pour ses compétences », insiste l’ancien immunologue et premier président à ne pas être issu des sphères politiques ou financières. « Nous avons en effet beaucoup appris au contact de la Banque mondiale, lui a répondu il y a peu Li Keqiang, le Premier ministre chinois, et il n’est pas question de briser un ordre international dont notre pays a su bénéficier. »
Pour soutenir cette expertise, la Banque mondiale doit faire preuve de plus de souplesse, surtout face à une concurrence prête à prendre sa place. « Il ne s’agit pas seulement de l’AIIB, mais aussi des marchés financiers mêmes. Tout le monde peut y aller directement et collecter des fonds. C’est pour faire face à cette compétition d’un nouveau genre que nous essayons de passer plus rapidement de la conception des projets à leur exécution. Les pays ont dorénavant davantage d’options. C’est un fait, reconnaît Jim Yong Kim. Comme nous étions de loin le créancier le plus important, nous décidions un peu des orientations à prendre. Ce n’est plus le cas. » L’heure du changement semble avoir sonné pour la Banque, plombée par sa bureaucratie.
« L’association de votre administration et de la nôtre est un désastre », aurait confié un jour un représentant indien à David Dollar, alors cadre de l’institution. Comme beaucoup d’observateurs, celui-ci craint un recentrage technocratique, au détriment des solutions sur le terrain. Pourtant étiqueté progressiste, Jim Yong Kim peine à défaire la Banque de son ancien modèle, fondé sur la croissance économique à tout prix et des projets gigantesques au coût faramineux. Nicolas Mombrial, qui travaille avec l’institution pour le compte de la confédération d’ONG Oxfam constate ce retour aux vieilles recettes : « Ils se trompent en poursuivant sur cette voie. »
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Méfiant
Les tentatives de transformation entamées depuis deux ans par le président pour améliorer les pratiques de la Banque ont été fraîchement accueillies au siège, à Washington. Certaines idées ont déplu, ainsi que la méthode. Et ce n’est pas le redécoupage des services, annoncé le 6 mai, qui va redonner le moral à un personnel déjà très méfiant vis-à-vis de son dirigeant. « Plus que d’une réorganisation, la Banque a besoin d’un changement radical », réclame un conseiller en développement de l’administration Obama. L’institution n’a pas attendu la mise en place de l’AIIB pour voir fondre ses parts de marché, face essentiellement à des concurrents régionaux comme les banques asiatiques ou africaines de développement.
Selon les dernières estimations, le capital détenu par la Banque mondiale ne représente plus que 39 % de l’ensemble des contributions multilatérales, contre plus de la moitié encore en 2010. Dans le même temps, la Banque doit compter avec le rôle croissant joué par le secteur privé, alors que les investissements directs étrangers (IDE) vers les économies émergentes sont en hausse constante. L’OCDE estime que ceux émis depuis ses pays membres étaient 1,7 fois supérieurs en 2014 aux montants accordés par toutes les organisations multilatérales réunies, Banque mondiale comprise. Une preuve supplémentaire selon certains de l’impérieuse nécessité pour la banque d’abandonner ses missions d’investisseur pour se concentrer sur le déploiement d’une expertise reconnue, notamment sur les sujets d’envergure mondiale comme le réchauffement climatique.
« En restant attachée à son modèle initial, la Banque érode son influence », regrette le conseiller de la Maison Blanche. Jim Yong Kim estime au contraire que c’est en conservant ce lien unique entre ses fonctions de créancier et d’expert que la banque gardera un avantage comparatif face à la concurrence. Un avis loin d’être partagé par l’ensemble de ses actionnaires, à commencer par le premier d’entre eux, les États-Unis, qui, en s’abstenant l’an dernier sur le sujet de Grand Inga, le maintiennent dans l’incertitude. Les deux barrages construits dans les années 1970 et 1980 sont pourtant tellement délabrés qu’ils fonctionnent bien en deçà de leurs capacités. Si la Banque mondiale ne veut pas connaître un tel sort, elle va devoir se réinventer.
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Interview – Ilyas Moussa Dawaleh : « D’autres institutions ont une meilleure appréciation des défis à relever »
République de Djibouti. © Vincent Fournier / J.A " class="caption" style="margin: 4px; border: 0px solid #000000; float: left;" />Tout en soulignant les efforts réalisés par la Banque mondiale dans la région, Ilyas Moussa Dawaleh, ministre de l’Économie et des Finances de la République de Djibouti, se félicite de l’arrivée de nouveaux bailleurs…
Jeune Afrique : La Banque mondiale fait montre d’une volonté de se réformer en interne. Est-ce que vous ressentez cette volonté de changement sur le terrain ?
Ilyas Moussa Dawaleh : Absolument pas ! Je pense que pour l’instant ces réformes concernent essentiellement l’organisation même de la Banque plutôt que son volet opérationnel. Leurs représentants à Djibouti nous ont néanmoins confirmé que certains changements allaient intervenir à plus ou moins long terme. Il semble que la Banque souhaite appliquer une démarche transversale dans la diffusion de son expertise et non plus uniquement sectorielle et régionale comme jusqu’à maintenant.
Lire la suite de l’interview….
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