France : Sarko et sa batterie de cuisine

À deux ans de l’échéance, l’ancien chef de l’État paraît bien placé pour prendre sa revanche. Son principal handicap ? Les multiples casseroles judiciaires qu’il traîne derrière lui.

Nicolas Sarkozy, le président de l’UMP bientôt rebaptisée Les Républicains. © Kenzo Tribouillard/AFP

Nicolas Sarkozy, le président de l’UMP bientôt rebaptisée Les Républicains. © Kenzo Tribouillard/AFP

Publié le 26 mai 2015 Lecture : 6 minutes.

Nicolas Sarkozy, qui pense à tout dans son obsession de revanche, n’aura sans doute aucune peine à faire approuver par le congrès de l’ex-UMP, bientôt rebaptisée Les Républicains, la formule de sa future campagne présidentielle testée avec succès sur les foules de chacun de ses meetings : "L’alternance est en marche, et rien ne l’arrêtera !" Mais depuis, une menace a surgi.

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La justice est elle aussi en marche, et de longue date, contre ses ambitions élyséennes. Pourra-t-il l’arrêter, alors qu’un sort malin semble la réactiver parallèlement à chaque progrès de sa reconquête du pouvoir ? La rumeur se chuchotait sous cape dans les coulisses feutrées de la basoche : "Vous verrez qu’il ne pourra pas se présenter à la présidentielle, les juges l’en empêcheront."

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Certains lui prédisaient une sorte d’impeachment à la française, avant de rappeler comment le scandale du Watergate brisa la carrière de Richard Nixon moins de deux ans après sa triomphale réélection. Et déjà pour des cambriolages de secrets, comme aujourd’hui avec l’affaire des écoutes téléphoniques.

Rumeurs

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L’hypothèse paraissait tellement "hénaurme" qu’on se refusait à y croire. On l’attribuait aux détestables relations de Sarkozy avec la justice. Or voilà que les rumeurs prennent ampleur et consistance avec sa mise en examen pour "corruption et trafic d’influence actifs et recel de violation du secret professionnel". Conscients du péril, les proches de Sarkozy se précipitent à son secours. Henri Guaino s’insurge contre "l’ivresse de la surpuissance chez certains juges".

Nadine Morano dénonce un véritable complot politique. Un complot ? Le pétaradant Sarko de la période des mauvaises manières s’est fait, il est vrai, beaucoup d’ennemis. Politique ? Pas de la part du pouvoir ni de la gauche, qui ont tout intérêt à retrouver en 2017, face ou non à François Hollande, le meilleur de leurs ennemis, le plus facile à combattre parce que le plus emblématique de la droite libérale classique, le plus capable surtout d’empêcher Marine Le Pen de s’imposer au second tour de la présidentielle et de rééditer la cauchemardesque défaite de Lionel Jospin en 2002.

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Pour l’ex-chef de l’État, le coup est rude, à quelques jours du congrès où 15 000 inconditionnels s’apprêtent à l’ovationner pour ses indéniables succès depuis son retour dans l’arène et à le consacrer chef d’une coalition de la droite et des centres redevenue aux élections départementales le premier parti de France.

Série télé

Comment ses espérances ont-elles soudain dérapé ? Tout commence comme dans une série policière télévisée où l’enquête sur une affaire en révèle une autre. La première est l’affaire Bettencourt. Sarkozy était soupçonné de s’être fait remettre à deux reprises par l’héritière milliardaire de L’Oréal de l’argent pour sa campagne de 2007.

Les enquêteurs soutiennent avoir trouvé la preuve de ce financement illicite dans ses agendas, qu’ils ont fait saisir et qui mentionnent deux visites présumées suspectes à l’hôtel particulier de la vieille dame. Une saisine illégale, selon ses avocats, qui en demandent l’annulation et ont bon espoir de l’obtenir en cassation, où la procédure aboutira. Et c’est là que se découvre la seconde affaire.

En 2014, Sarkozy croyait s’entretenir en toute sécurité avec Me Thierry Herzog sur un portable acquis au nom fictif de Paul Bismuth.Les deux hommes ignoraient que les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption, grâce à un gadget électronique dissimulé à proximité des bureaux surveillés, enregistraient toutes leurs conversations et étaient en passe de découvrir un nouveau pot aux roses : Me Herzog dispose d’un informateur à la Cour de cassation, et non des moindres puisqu’il s’agit de l’avocat général Gilbert Azibert.

C’est par lui qu’il apprend la nouvelle "extraordinaire", aussitôt transmise à son client : le rapporteur du parquet de la haute juridiction est favorable à l’annulation de la saisine des agendas. Azibert en est certain parce qu’il a pu avoir accès à ses conclusions, pourtant confidentielles. Me Herzog s’esclaffe : "Du boulot pour ces bâtards de Bordeaux !" – où s’est déroulée l’instruction.

Seul petit problème : Azibert ambitionne d’être nommé conseiller d’État à Monaco. Il figure parmi les favoris, mais sait-on jamais ? "Il n’ose pas demander un coup de pouce", rapporte l’avocat, qui le rassure : "Tu rigoles, avec ce que tu fais…" Sarkozy promet en effet d’intervenir en sa faveur à Monaco, où il doit justement se rendre : "Moi, je le fais monter, je verrai le prince dans deux jours."

Il ne le verra pas, mais "fera la démarche" auprès de son ministre d’État. "Ah ! Bon, c’est sympa", opine Herzog, qui s’en inquiète pourtant le surlendemain quand Sarkozy le rappelle : "Tu as pu faire quelque chose, ou pas ?" Il ne l’a pas fait, car entre-temps il a réfléchi : "Tu vas m’en vouloir, mais ça m’embêtait d’intervenir pour quelqu’un que je ne connais pas bien, cela aurait paru un peu ridicule."

Il ne manquera pas de se targuer de cette renonciation pour se disculper : Azibert a-t-il été nommé ? Non ! C’est bien la preuve "qu’on cherche à [l’]humilier publiquement". Pour les juges, c’est en réalité l’indication probable qu’ayant appris la persistance des écoutes, Sarkozy s’en est servi pour berner les enquêteurs. Précaution inutile : en matière de corruption, l’intention suffit à constituer le délit.

C’est en vain également qu’il proteste contre une telle "insulte à son intelligence". Personne ne doute de la sienne, mais c’est une singularité de la politique que les intelligences les plus vives aillent souvent de pair avec le plus effarant manque de bon sens. Ce n’est pas Mme Azibert qui se serait laissé aussi facilement piéger !"T’es dans le trentième dessous, lance-t-elle à son mari penaud et contraint de démissionner. Mais aussi, qu’est-ce que tu es allé magouiller avec ce Sarkozy ?"

Pschitt

Comment réfuter des témoignages d’une aussi flagrante vérité sur lesquels la plupart des dirigeants de l’agonisante UMP gardent un silence circonspect ? Les uns ne voient dans l’accusation outrancière de "corruption" qu’un de ces petits arrangements entre amis qui sont le lot ordinaire du clientélisme politicien. Ils rappellent que Sarkozy n’a jamais été condamné et assurent que la nouvelle affaire fera pschitt comme les précédentes.

Sarko peut compter par ailleurs sur la mobilisation influente de tous les barreaux de France pour lesquels la légalisation des écoutes signifierait la fin des droits de la défense (bien qu’elles soient autorisées en France à la condition que le bâtonnier en soit préalablement informé). D’autres s’inquiètent à l’inverse de l’entraînement inexorable d’une justice que rien n’arrête une fois qu’elle est lancée.

Tout juste peut-on essayer de la freiner. Les nouvelles procédures annoncées en cassation d’abord, puis, en cas d’échec, devant la Cour européenne des droits de l’homme permettront-elles à Sarkozy de retarder jusqu’à la primaire de novembre 2016 et la présidentielle de juin 2017 la menace d’un procès en correctionnelle, avec le risque d’une condamnation à des années d’inéligibilité ?

Un précédent laisse perplexe, celui d’Alain Juppé, condamné à dix ans d’inéligibilité, réduits à un an en appel, pour un emploi fictif de quelques semaines à la mairie de Paris : une vétille, en comparaison des "casseroles" de Sarko. "Une peine de mort politique après un chemin de croix judiciaire", écrira l’ancien Premier ministre dans un bouleversant livre-confession*.

Avant que la cour de Versailles ne lui rende son honneur en reconnaissant son intégrité, il se demande s’il doit abandonner la politique. Puis se convainc que "la page se tournera"… "Tu ne peux pas ne pas revenir." Il est revenu, et dans les conditions les plus flatteuses, toujours favori des sondages pour 2017, alors qu’on se demande si son ami, mais aussi le plus redoutable de ses adversaires, ne pourrait pas être obligé de quitter la course. Le destin a de ces cruautés

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