Avec Actis, le camerounais Eneo espère avoir trouvé sa bonne fée

Après la prise de contrôle du capital-investisseur britannique, l’opérateur national d’électricité est en mutation. Mais la réorganisation du secteur et les relations avec l’État compliquent la donne.

La santé financière d’Eneo est assez mauvaise, selon plusieurs sources. © Nicolas Eyidi pour J.A

La santé financière d’Eneo est assez mauvaise, selon plusieurs sources. © Nicolas Eyidi pour J.A

Publié le 17 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

En plein milieu du marché de PK14, dans le nord de Douala, une dizaine de commerciaux d’Eneo reçoivent les habitants de ce quartier populaire sous une tente blanche. Un premier contact avant que les techniciens viennent installer un compteur électrique dans leurs maisons. Cette agence mobile est l’un des symboles du renouveau de l’électricien national camerounais. Car depuis un an « tout a changé », répètent à l’envi les cadres de l’ancienne AES-Sonel. À commencer par l’actionnaire majoritaire, le capital-investisseur britannique Actis, qui a racheté en juin 2014 les 56 % détenus par l’américain AES. La méthode, ensuite, qui laisse toute latitude à l’équipe dirigeante, désormais uniquement composée de Camerounais, et qui mise sur l’innovation, notamment sur le paiement en ligne. Et enfin le nom, abandonné en septembre au profit d’Eneo, plus dynamique et plus lisible.

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Eneo n’est plus le seul producteur d’énergie au Cameroun. Les centrales à gaz de Kribi et de Dibamba, récupérées par Globeleq, une société alors détenue par le même actionnaire qu’Eneo (Actis), sont désormais de véritables producteurs indépendants d’électricité, les deux premiers du pays. Globeleq vient en effet d’être récupérée par la CDC britannique alliée au norvégien Norfund.

Mobilisés

« Ce n’est plus la même société », confirme son directeur général, Joël Nana Kontchou, à Jeune Afrique, qu’il reçoit dans son bureau situé en bordure de Bonanjo, le quartier administratif de la capitale économique. Lui-même incarne ce changement tant vanté. Nommé l’été dernier, l’ancien cadre du groupe parapétrolier Schlumberger, qui a fait toute sa carrière aux États-Unis, n’a qu’un mot à la bouche : efficacité.

>>>> Portrait : Joël Nana Kontchou, de l’énergie à revendre

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« En neuf mois, nous avons fait trois ans de travail, insiste-t-il. Nous savons où nous voulons arriver et nous sommes mobilisés. » Prochaine étape pour le nouveau patron, un plan d’investissement de quelque 477 milliards de F CFA (727 millions d’euros), principalement axé sur la distribution, la seule activité sur laquelle l’entreprise possède une réelle marge de manoeuvre. Conformément à la loi votée en 2006, la production d’électricité a en effet été ouverte à la concurrence et, pour favoriser l’arrivée de nouveaux acteurs, la capacité installée d’Eneo a été plafonnée à 1 000 MW, déjà quasiment atteints. Quant à la gestion du transport, c’est-à-dire l’acheminement de l’électricité via les lignes à haute tension, elle doit être renationalisée à partir de 2016.

La distribution est, par ailleurs, le maillon faible du secteur. Le réseau basse et moyenne tensions est « vieillissant et saturé », selon Joël Nana Kontchou, entraînant des coupures fréquentes et des délestages qui peuvent durer plusieurs heures à Douala et à Yaoundé et qui exaspèrent les Camerounais. L’offre d’électricité est pourtant suffisante (tout juste) pour répondre à la demande, depuis l’inauguration récente d’une centrale d’urgence de 50 MW à Douala. Cette vétusté joue sur les pertes, qui atteignent au total 30 % de l’électricité produite. En cause, un manque d’investissement de l’ex-actionnaire, qui n’a, selon nos calculs, consacré que 7 % de ses investissements, 1 milliard de dollars au total (environ 896 millions d’euros), à cette activité. Schéma du système électrique à l’appui, Peter Nkeih, le directeur technique de l’entreprise, égrène la liste des efforts à accomplir : renouveler les lignes, remplacer les poteaux pourris, changer les transformateurs à bout de souffle… Sans oublier d’installer des compteurs dans les maisons pour lutter contre les vols d’électricité, qui représentent « jusqu’à 48 % des raccordements dans certains quartiers ».

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>>>> Lire aussi – Cameroun : augmentation de capital pour Eneo ?

« Inquiétante »

Reste qu’Eneo doit trouver des aides extérieures pour financer ce plan, alors que, selon plusieurs sources interrogées par Jeune Afrique, sa santé financière est « assez mauvaise », voire « inquiétante ». Pour preuve, aucun dividende n’a été versé aux actionnaires depuis sept ans (lire ci-dessous). Aux difficultés opérationnelles s’ajoute le poids des impayés dus par l’État, coactionnaire et deuxième client d’Eneo. D’après nos informations, la facture s’élève à 20 milliards de F CFA pour l’année 2014, soit environ un tiers de son Ebitda (excédent brut d’exploitation). « L’État finit toujours par payer, mais avec beaucoup de retard. Et pendant ce temps-là, de nouvelles dettes s’accumulent. Cela affecte la trésorerie et c’est encore pire maintenant avec la guerre contre Boko Haram », observe une source locale. En plus des impayés, d’autres sujets liés au plan d’investissement brouillent la ligne entre les deux partenaires.

Actis réclame à l’État une augmentation tarifaire de 4,17 % pour 2015. Une opération indispensable, selon Eneo, pour rassurer les bailleurs qui l’aideront à restructurer sa dette et lever entre 250 et 300 milliards de F CFA supplémentaires. Le capital-investisseur souhaite également procéder à une augmentation de capital, qui nécessite l’accord et même la participation de l’État s’il ne veut pas être dilué. « Actis est prêt à prendre sa part, affirme Joël Nana Kontchou. Mais le gouvernement n’a pas encore indiqué s’il voulait remettre au pot. » Il demande enfin une extension de la durée de sa concession afin de réaliser les investissements sur dix ans. Difficile de décrypter la position de l’État, d’autant que le ministre de l’Énergie, Basile Atangana Kouna, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Les autorités ont bien conscience que l’extension de la concession permettrait à Actis, qui n’a pas vocation à rester éternellement dans la société, de revendre plus facilement sa participation, souligne l’un des observateurs interrogés. Mais, au Cameroun comme ailleurs, l’énergie reste un sujet politiquement sensible. « L’État va chercher à obtenir des contreparties sur d’autres dossiers qui impliquent Eneo, poursuit cette source. Les pouvoirs publics veulent notamment que l’entreprise maintienne les tarifs extrêmement bas dont bénéficie l’usine d’aluminium Alucam pour parvenir à la vendre. »

Quel bilan pour AES ?

Difficile de savoir précisément si l’expérience Sonel a été rentable pour l’américain AES. Des dividendes n’auraient été versés aux deux actionnaires (AES avec 56 % et l’État camerounais avec 44 %) que sur quatre années, comprises entre 2002 et 2008. Rien ensuite jusqu’à la vente de ses parts, actée fin 2013. L’entreprise, cotée à la Bourse de New York et présente dans 18 pays, se retirait alors officiellement de l’Afrique afin de recentrer ses activités. En 2001, AES avait payé 70 millions de dollars (79 millions d’euros) pour obtenir 56 % de la société concessionnaire. Il a revendu pour 200 millions de dollars l’ensemble de ses actifs camerounais. Mais cette somme comprend les nouvelles centrales de Kribi et Dibamba. « Kribi, c’est peut-être la moitié, avec une centaine de millions de dollars », souligne une de nos sources.

Par Marion Douet, envoyée spéciale à Douala

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