Ibrahim Mahlab, ingénieur en chef du chantier Égypte
Ancien patron du géant du BTP Arab contractors et habile administrateur, le Premier ministre n’a pas le profil d’un simple politicien. Sa mission : mettre en oeuvre la politique du président Sissi et superviser le redémarrage du pays après la révolution.
À peine l’entretien commence-t-il, dans la vaste suite rouge et or du Grand Hôtel de Paris, que le chef du gouvernement égyptien, Ibrahim Mahlab, s’interrompt et s’écarte, le téléphone à l’oreille. « Un ministre a démissionné », chuchote l’ambassadeur d’Égypte. Trente-six heures auparavant, Mahfouz Saber, chargé de la Justice, a déclaré sur un plateau de télévision qu’ »un fils de balayeur ne pouvait devenir juge. Cette fonction a du prestige. Il doit venir d’un milieu respectable financièrement et moralement ».
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Depuis la capitale française où il était en visite officielle du 11 au 13 mai, Mahlab a illico « accepté sa démission », déclarant à l’agence de presse officielle Mena que « le gouvernement respectait toutes les composantes de la société, notamment celles qui exercent des métiers manuels et qui contribuent à bâtir l’avenir du pays ».
Nommé par le président Abdel Fattah al-Sissi à la primature en février 2014, cet homme de 66 ans aux traits rudes mais à la voix douce précise descendre lui-même de paysans du delta, dans le nord du pays. Bourgeois laborieux installés au Caire, son père comptable et sa mère lui ont inculqué la modestie. Pareille fatuité ne pouvait être tolérée par celui qui s’est hissé au second poste de l’exécutif égyptien après une brillante carrière d’ingénieur qui l’a amené à diriger The Arab Contractors, un géant continental du BTP à capitaux d’État.
Chef d’équipe
« J’ai fait ma scolarité au collège des frères de Lassale, reprend le chef du gouvernement, qui vient de confirmer l’intérim du ministère de la Justice. Ils ont forgé mon caractère et m’ont appris la tolérance et l’ouverture. »
Avant d’afficher sa morgue, le ministre de la Justice aurait peut-être dû relire ce numéro du quotidien Al-Ahram qui expliquait déjà, alors que Mahlab détenait le portefeuille du Logement entre la destitution du président Morsi en juillet 2013 et sa promotion en février 2014, qu’ »il est l’exemple du ministre qui interagit avec la foule des rues, qui répond aux demandes des pauvres et sanctionne les responsables qui faillissent dans leur mission ».
Justement, quelle est celle d’un Premier ministre égyptien ? « Il ne fait pas partie du cercle qui prend les grandes décisions, mais il met en oeuvre la politique présidentielle et la coordination interministérielle et peut se voir confier la direction de certains dossiers », analyse depuis Le Caire le politologue Tewfik Aclimandos.
Le grand vizir d’Égypte doit donc être un meneur d’équipe, qualité que Mahlab revendique : « Notre premier succès est d’avoir rassemblé un cabinet qui travaille dur. Chacun fait beaucoup dans son domaine. Nous vivons une époque trépidante, et il ne se passe pas un jour sans qu’une décision essentielle soit prise. »
Diplômé de l’école polytechnique de l’université du Caire en 1972, il rejoint d’emblée The Arab Contractors et commence par y superviser des chantiers de ponts, de routes, de stades et autres infrastructures qui confortent son goût pour les grands défis et le travail de terrain.
« Ma carrière m’a appris à être pragmatique, à prendre les décisions les plus importantes à temps sans tergiverser et à frapper à la bonne porte pour avoir le bon conseil. Je n’aime pas les polémiques, les réunions et les grands comités », assure-t-il.
Aclimandos confirme : « Il a la réputation de ne pas être un politicien. C’est un type qui traite ses dossiers efficacement et sait déléguer les responsabilités. Nombre de journalistes lui reprochent d’ailleurs d’être trop sur le terrain et jamais au bureau. Mais on dit aussi que les informations remontent rarement jusqu’en haut et que pour savoir il faut aller voir. »
Une proximité que semble apprécier le peuple égyptien, un sondage de l’institut Baseera réalisé début mai le créditant de 66 % d’opinions favorables, le pic de sa popularité. « Ce résultat ne me paraît pas absurde, même si les élites sont plus partagées entre, par exemple, de grands journalistes déçus par ses performances et certaines personnes dans le secret des coulisses qui louent son travail », poursuit Aclimandos.
De Nasser à Sissi
Ibrahim Mahlab est né en 1949, quelques semaines après la première défaite arabe contre Israël. En 1953, comprend-il du haut de ses 4 ans la proclamation par Nasser de la République après la déposition du roi Farouk ? Il entre dans l’âge de raison lorsque éclate la crise de Suez, en 1956.
Intégrant l’université en 1967, l’année de la seconde défaite arabe face à Israël, qui prive l’Égypte du Sinaï, l’ingénieur s’engage dans la construction des infrastructures de la nation en 1972, un an avant qu’éclate la guerre du Kippour, vue au Caire comme une victoire sur Israël. Sa jeunesse semble avancer de concert avec les grandes étapes de l’édification de l’Égypte moderne, une histoire qui a trempé son caractère.
La maîtrise du français, langue dans laquelle se déroule l’entretien, lui est précieuse pour entretenir les relations le plus directes possible avec les dirigeants d’Afrique de l’Ouest.
« C’était la génération des bouleversements et des grands défis, des plans quinquennaux pour l’industrialisation. C’était l’époque de Nasser, où il y avait tant à faire pour la patrie, où l’Égypte était le foyer des mouvements de libération africains.
Aujourd’hui aussi, le pays fait face à de grands défis et a toutes les ressources – humaines, naturelles et stratégiques – pour se hisser au sommet. Comme l’Égypte de ma jeunesse, elle regarde de nouveau vers l’Afrique, le continent du futur – un grand retour auquel je suis fier de contribuer, car je suis convaincu que l’Égypte en est le coeur battant. »
La maîtrise du français, langue dans laquelle se déroule l’entretien, lui est précieuse pour entretenir les relations le plus directes possible avec les dirigeants d’Afrique de l’Ouest, et Mahlab a représenté son pays au XVe sommet de la Francophonie, à Dakar, en 2014. Car l’ancien ingénieur est aussi un homme de culture et il a supervisé la restauration de plusieurs monuments historiques.
Si ses références littéraires sont celles de l’Égypte rayonnante de sa jeunesse, Naguib Mahfouz, Ihsan Abd al-Quddus et Youssef al-Sibai, il apprécie particulièrement Molière et a demandé à l’ambassadeur d’Égypte à Paris de lui organiser, lors de ce séjour, une visite de la Comédie-Française, dont il a pu comparer les ors, les ivoires et les écarlates à ceux du Théâtre national d’Égypte, incendié en 2008 et dont il a inauguré la salle restaurée en décembre 2014.
Raïs déchu
« Un homme de la restauration ! » mais politique, celle-ci, lui reprochent ses adversaires. Nommé sénateur par Hosni Moubarak en 2010, Mahlab est en effet entré en politique par la porte du Parti national démocrate (PND), formation du raïs déchu dissoute dans la foulée de la révolution de 2011.
« Il a été proche de l’ancien pouvoir, mais il n’a en aucun cas participé aux fraudes électorales, à la corruption et aux répressions dont nombre de fouloul [les caciques de l’ancien régime] sont accusés », rappelle Aclimandos.
C’est au service de son pays que Mahlab veut avoir placé sa vie, et ce père de deux garçons, quatre fois grand-père, confesse : « Je n’ai pas de regrets, je n’ai que des rêves : améliorer la vie des pauvres, voir mon pays et mon peuple se hisser à la place éminente qu’ils méritent… Les réformes que nous effectuons mènent, je l’espère, l’Égypte dans le sens de ces rêves. »
Calé dans une bergère de style Louis XVI à la droite de son chef, le ministre égyptien du Commerce extérieur tapote nerveusement sa montre. La demi-heure d’entretien est écoulée, et le chef du gouvernement a encore fort à faire avant d’aller déjeuner avec le ministre français de la Défense pour parler, on s’en doute, Rafale et coopération sécuritaire dans la langue de Molière.
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