Qui dirige vraiment le Cameroun ?

Le président règne de loin et supervise de haut, chargeant une poignée de fidèles d’appliquer – voire de déchiffrer – ses directives. Et depuis trente-trois ans ça marche.

Le chef de l’Etat camerounais, dans son bureau. © Denis/REA

Le chef de l’Etat camerounais, dans son bureau. © Denis/REA

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 27 mai 2015 Lecture : 3 minutes.

"Paul, sur quel numéro peut-on te joindre au téléphone ?" aurait demandé sur un ton de reproche feu Omar Bongo Ondimba, le défunt président gabonais, à Paul Biya, son insaisissable homologue camerounais.Selon un ancien ministre qui fut témoin de cet aparté, l’intéressé aurait répondu par une pirouette : "Omar, gouverner le Cameroun est si compliqué !"

Difficile à joindre, souvent absent des grand-messes diplomatiques, Biya, 82 ans, oblige parfois ses collègues de la sous-région à travailler sans lui. Il en a été ainsi le 5 mai : alors qu’un sommet de la Cemac se tenait à Libreville, il a chargé Philémon Yang, son Premier ministre, de le représenter.

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À en croire ses détracteurs, l’attitude distante du président camerounais fait obstacle à la coopération régionale dans la lutte contre Boko Haram, alors que son pays est lui-même en guerre contre ce mouvement jihadiste.

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De fait, Biya n’a accepté de rencontrer Goodluck Jonathan, le président nigérian sortant, que dans le cadre multilatéral d’un sommet de chefs d’État convoqué par François Hollande… Vu de l’intérieur, ses absences et la rareté de sa parole donnent de lui l’image d’un chef qui certes règne, mais gouverne par à-coups.

L’inertie semble une fatalité. Les conservatismes bloquent toute réforme audacieuse.

L’inertie semble une fatalité. Les conservatismes bloquent toute réforme audacieuse. Les lenteurs administratives plombent le climat des affaires. L’économie ne crée pas assez d’emplois pour intégrer les diplômés au marché du travail.

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En dépit des procès à grand spectacle, la corruption est devenue endémique. Et que dire des carences en matière d’infrastructures et d’énergie, ou de l’état des hôpitaux… "Y a-t-il un pilote dans l’avion ?"

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Dans son livre, Le Choix de l’action, Marafa Hamidou Yaya, ex-secrétaire général de la présidence aujourd’hui emprisonné, estime que "la tentative de coup d’État de 1984 puis les émeutes de 1991 et de 2008 ont été vécues par le président Biya et son entourage comme une série de profonds traumatismes qui les ont enfermés dans une obsession unique : ne pas s’exposer, préserver le statu quo en ne prenant aucune initiative".

Le président peut encore s’investir pleinement dans un dossier, mais seulement s’il l’estime nécessaire. Il en a été ainsi de la libération (dont aucun détail n’a filtré), en avril 2013, de la famille Moulin-Fournier, prise en otage deux mois plus tôt par Boko Haram.

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La méthode Biya, nimbée de mystère, tient donc pour une large part à la personnalité de cet homme sans faille psychologique connue, mais "qui dissimule des gouffres intérieurs insondables", comme l’affirme Marafa, qui fut son proche collaborateur pendant deux décennies.

Elle tient aussi au régime qu’il a mis en place à partir de 1982 et dont la nature reste "introuvable", selon François Mattei, l’un de ses biographes. Paré de sa légitimité de politologue et de conseiller spécial du président, Narcisse Mouellé Kombi reconnaît que définir l’ADN de ce régime est un exercice périlleux.

Tout au plus suggère-t-il l’existence d’un "présidentialisme décentralisé"… La réalité est plus prosaïque. Pour éviter de se retrouver en première ligne, le président gouverne, mais en surplomb, dans le souci de préserver son autorité, de sacraliser sa fonction, sans doute avec l’ambition de durer.

Il s’appuie sur un appareil d’État centralisé et omniprésent. Aujourd’hui, à Yaoundé, ceux qui ont accès à son bureau – ou aux salons de la première dame – ont le pouvoir. Mais qui sont ces quelques hommes qui ont pris, par procuration, les commandes de l’avion

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