François Colin Nkoa : « La confiance mutuelle entre les différentes administrations sera nécessaire »

Les chefs de l’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad et RCA) ont décidé, le 06 mai 2015, à Libreville, de l’application immédiate et intégrale de la libre circulation des personnes. Cette décision suscite l’optimisme modéré de cet économiste, enseignant à l’université de Yaoundé II et chercheur à la Fondation Paul Ango Ela de géopolitique en Afrique centrale.

L’économiste camerounais François Colin Nkoa. © Fernand Kuissu

L’économiste camerounais François Colin Nkoa. © Fernand Kuissu

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Publié le 28 mai 2015 Lecture : 4 minutes.

Jeune Afrique : Partagez-vous l’optimisme des chefs d’Etat des pays membres de la Cemac quant à l’application immédiate de l’acte additionnel supprimant le visa sur l’ensemble de la Cemac ? Pourquoi ?

François Colin Nkoa : Je partage cet optimisme de façon modérée parce que l’histoire de la CEMAC en la matière incite à la prudence. La libre circulation figure en bonne place des initiatives d’intégration dans la sous-région depuis l’Union douanière équatoriale (UDE) en 1959 en passant par l’UDEAC. On espère que cette fois sera la bonne, parce que la crédibilité de l’institution est en jeu.

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Quelles garanties ont reçu la Guinée équatoriale et le Gabon généralement rétifs à la libre circulation des personnes ?

Le communiqué qui a sanctionné les travaux des chefs d’Etat ne mentionne pas cet aspect. On ne peut donc que spéculer. Les deux pays, les moins peuplés, mais les plus riches, car possédant les niveaux de PIB/tête et d’IDH les plus élevés de la sous-région, évoquent régulièrement des problèmes d’insécurité liés à une immigration massive et incontrôlée qu’induirait l’application de cette mesure et des problèmes d’équilibres démographiques internes. S’ils ont accepté c’est peut-être parce qu’ils ont eu des garanties sur ces deux points.

La libre circulation des personnes devait être effective depuis le 1er janvier 2014. Qu’est-ce qui a coincé ?

Il existe depuis 2004 une libre circulation partielle en zone CEMAC entre le Cameroun, le Tchad, le Congo et la RCA. Seuls le Gabon et la Guinée Equatoriale sont restés à l’écart de ce mouvement. Au cours des derniers mois, la question de la fiabilité des documents d’identification (carte d’identité biométrique, passeport CEMAC biométrique) ont constitué un point de divergence important entre ces deux pays et les quatre autres pays membres.

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Tous les obstacles ont-ils été levés ?

La mise en œuvre effective de la mesure permettra d’apprécier. On peut cependant affirmer qu’une confiance mutuelle entre les différentes administrations en charge de ces questions dans les différents pays sera nécessaire. C’est elle qui permettra de rendre effective cette mesure et d’éviter les effets pervers redoutés à travers la coopération judiciaire entre les différents Etats, la gestion commune des problèmes de sécurité aux frontières, la fiabilisation des documents d’identification et l’élimination des tracasseries administratives aux postes frontières.

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Que reste-t-il à faire ?

Il faudra mener des politiques de sensibilisation auprès des populations pour surmonter les peurs traditionnelles liées aux sentiments d’invasion démographique et de spoliation démographique très ancrés au sein des populations du Gabon et de la Guinée Equatoriale. Cette sensibilisation doit mettre l’accent sur le fait que les politiques de diversification et de transformation économique mises en place dans ces deux pays seront plus efficaces s’ils sont adossés sur le marché de la CEMAC que sur les marchés domestiques ou hors CEMAC.

Un ressortissant de la zone pourra séjourner pendant quatre-vingt-dix jours au plus dans un autre Etat membre. Le risque de reconduites aux frontières passé ce délai peut-il désormais être évacué ?

La libre circulation des personnes c’est-à-dire le droit pour les ressortissants communautaires de circuler sans visa ni permis de séjour dans tous les pays membres ne doit pas être assimilée au droit d’établissement, ni à un séjour prolongé dans un pays à des fins socio-économiques. Par conséquent, au-delà des 90 jours, le citoyen communautaire qui se retrouve dans un autre pays communautaire peut être reconduit à la frontière.

Quel peut être l’impact à court terme de l’application immédiate de cette mesure  ?

Cette mesure peut avoir pour effet d’accroître l’incitation à la migration à l’intérieur de la sous-région. Les déséquilibres démographiques et de niveaux de revenus constituent un puissant facteur d’incitation à la mobilité des pays relativement plus peuplés et pauvres vers les pays relativement moins peuplés et plus riches que sont le Gabon et de la Guinée Equatoriale. Ce risque est grand. Ces mouvements migratoires pourraient provoquer des réactions d’hostilité au sein des populations avec un risque de renoncement de la part des gouvernements suite aux pressions de la population rendant ainsi la mesure inapplicable.

Par cette décision, sommes-nous proches de l’avènement d’un marché commun en zone Cemac ?

Le marché commun suppose une libre circulation des facteurs de production (travail et capital), une politique extérieure commune et une libre circulation des marchandises. Malheureusement l’adoption de textes dans ces trois domaines ne suffit pas toujours pour atteindre cet objectif. Il faut que les textes soient applicables par tous, que les infrastructures de communication existent et soient en bonne état, que les capacités administratives de gestion des politiques communes existent, qu’il n’y ait pas de tracasseries administratives à la libre circulation des marchandises et des personnes. En outre, l’instabilité politique doit être réduite.

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