Macky Sall peut-il tenir ses promesses ?

C’est le grand défi du président sénégalais. Lancé en 2014, le Plan Sénégal émergent doit donner un grand coup d’accélérateur à la croissance et au développement global du pays. Un programme ambitieux qui commence cependant à susciter l’inquiétude, notamment au sein du secteur privé.

Macky Sall, président du Sénégal. © Abraham Caro Marin/AP/SIPA

Macky Sall, président du Sénégal. © Abraham Caro Marin/AP/SIPA

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Publié le 29 mai 2015 Lecture : 7 minutes.

C’est un sigle qui représente l’alpha et l’omega de la gouvernance de Macky Sall : PSE, pour Plan Sénégal émergent. Avec cet ambitieux programme de développement économique et social pensé sur une période de vingt ans, le président sénégalais entend placer le pays sur les rails de l’émergence. Objectif annoncé : un taux annuel de croissance du PIB de 7 % à 8 % (contre 3 % à 4 % aujourd’hui) et « un Sénégal émergent en 2035 ». « Le PSE ne se fonde pas sur des cadres doctrinaux mais sur le propre vécu de Macky Sall », témoigne El Hadj Hamidou Kassé, l’un de ses conseillers.

Entre 2009 et 2012, le candidat sillonne le pays de long en large. Des doléances recueillies, il tire un programme électoral : le yoonu yokkute (« chemin du progrès », en wolof). Et, au lendemain de son élection, cette plateforme de promesses fusionne avec plusieurs plans préexistants (la stratégie nationale de développement économique et social, la stratégie de croissance accélérée) pour donner naissance au PSE. Pour ce faire, la nouvelle équipe fait appel à une expertise nationale et internationale. Le cabinet McKinsey est mis à contribution, de même que le groupe Disso, qui réunit des Sénégalais de la diaspora issus des milieux économiques et financiers. La gestation s’étale jusqu’au terme de l’année 2013.

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Le PSE identifie trois axes : la croissance inclusive, le développement humain et la bonne gouvernance. La première phase, qui s’étale jusqu’en 2018, se focalise sur 27 projets phares relatifs à des secteurs censés avoir un effet d’entraînement sur le reste de l’économie : l’agriculture, l’habitat social, l’économie sociale, les mines, l’énergie ainsi que la mise en place d’un hub régional de services et d’un hub logistique et industriel. En parallèle, ce volet s’attache à promouvoir 17 réformes accélérant la réalisation des projets : environnement des affaires et régulation, infrastructures, capital humain, télécoms et technologies de l’information, et financement de l’économie.

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Scepticisme

C’est à Paris, en février 2014, que le PSE subit l’épreuve du feu devant le Groupe consultatif pour le Sénégal, réunissant les bailleurs de fonds. « Nous étions venus chercher 1 800 milliards de F CFA [2,7 milliards d’euros] et nous avons finalement obtenu des engagements supérieurs à 3 000 milliards de F CFA », se félicite Abdoul Aziz Tall, ministre du PSE. Des institutions de Bretton Woods à l’Union européenne en passant par la Chine ou les pays arabes, le PSE rencontre alors une large adhésion. Mais moins d’un an après, l’enthousiasme laisse peu à peu place aux critiques. À commencer par celles de la Banque mondiale, qui, dans un rapport sur la situation économique du Sénégal publié en décembre 2014, faisait montre d’un scepticisme poli, même s’il convient de préciser que son analyse inclut également les années Wade. Relevant que les investissements publics « considérables » effectués dans le pays au cours de la dernière décennie (plus de 10 % du PIB depuis 2007) se sont traduits par l’un des plus faibles taux de croissance de l’UEMOA, la Banque mondiale considère que leur efficacité « laisse à désirer ».

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Les chefs d’entreprise craignent de voir les groupes étrangers se tailler la part du lion.

« Pour atteindre ses objectifs, le PSE devrait accorder plus de poids à l’investissement du secteur privé », estime le rapport. Et alors que la fin du premier semestre 2015 se profile, le gouvernement n’a semble-t-il pas encore réussi à renouer le dialogue avec les entrepreneurs. « Nous sommes un certain nombre à nous interroger sur les capacités de l’administration sénégalaise à piloter le PSE », juge brutalement le représentant d’une organisation patronale. Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois), Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), Conseil national du patronat (CNP), tous les syndicats de chefs d’entreprise craignent par exemple de voir les groupes étrangers se tailler la part du lion au détriment des sociétés sénégalaises.

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« Nous avons un mauvais code des marchés, analyse Oumar Sow, le patron de la Compagnie sahélienne d’entreprises, numéro un du BTP au Sénégal. Une société de droit sénégalais est considérée comme sénégalaise même si la maison mère est chinoise ou française. » « Le PSE ne saurait se réaliser en laissant en marge le secteur privé », a répondu en signe d’apaisement le ministre Abdoul Aziz Tall, qui précise que pour les chantiers liés à l’habitat « le président Macky Sall a demandé qu’un pourcentage important soit réservé aux entreprises locales ».

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Embryonnaire

L’opposition ne manque pas bien sûr d’alimenter le débat. Le député Thierno Bocoum, du parti d’Idrissa Seck, Rewmi, s’inquiète pour sa part du fait que les investissements du PSE soient largement financés par l’emprunt. « Cela va creuser le déficit budgétaire [4,7 % du PIB prévu en 2015] », estime le parlementaire, qui évoque également le taux d’imposition des sociétés, encore trop élevé selon lui (30 %, contre 25 % en Côte d’Ivoire). Élément central du PSE, l’amélioration de l’environnement des affaires reste encore trop limitée. Une majorité d’entrepreneurs souligne les progrès à réaliser en matière de relations avec l’administration, d’accès au financement ou de concurrence déloyale. Mais, pour l’instant, les projets nés du PSE en sont encore au stade embryonnaire.

Si l’accent est mis sur le programme d’autosuffisance en riz à l’horizon 2017, les infrastructures, dont l’autoroute Thiès-Touba, ou l’inclusion sociale, avec la création de pistes pour connecter les zones rurales aux grandes villes, certains de ces chantiers n’en sont encore qu’au stade initial. Quant aux projets initiés sous la présidence d’Abdoulaye Wade et intégrés au plan, ils ont pris un retard inquiétant malgré l’existence d’un ministère chargé du suivi du programme et d’un Bureau opérationnel de suivi (BOS) inspiré de la « Delivery Unit » rattachée au Premier ministre britannique dans les années 2000. La livraison de l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), à Dakar, d’abord prévu pour être opérationnel en 2012, est maintenant repoussée à 2016, tandis que la centrale à charbon de Sendou (de 125 MW), elle aussi attendue depuis trois ans, est toujours en construction (lire encadré).

Risque

Autre défi de taille : en déconnectant volontairement le calendrier du PSE des échéances électorales, le chef de l’État prend le risque d’afficher un bilan en demi-teinte à l’heure de briguer, en 2017 ou en 2019, un second mandat. Dans l’entourage présidentiel, on veut croire que les réalisations dont accouchera progressivement le PSE pallieront ce décalage. Qu’il s’agisse de la couverture maladie universelle (CMU), des bourses de subsistance pour les familles les plus démunies, de la carte d’égalité des chances ou des divers grands travaux (routes, infrastructures, logements sociaux) dont la livraison est attendue avant l’échéance de son premier mandat, les fruits du PSE, espère-t-on au Palais de la République, illustreront par l’exemple sa pertinence. *

DES PROJETS A ACCELERER

Malgré le volontarisme présidentiel et le dispositif de monitoring du Plan Sénégal émergent, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres..

Transport aérien

Lancé sous la présidence d’Abdoulaye Wade, l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), censé coûter initialement 634 millions d’euros et voir le jour à une quarantaine de kilomètres de la capitale, a été intégré par son successeur Macky Sall aux projets phares du PSE. Objectif revendiqué : positionner Dakar comme le « hub aérien majeur de la région ». L’AIBD devait être opérationnel en 2012. Mais depuis lors, les reports se succèdent, sous divers prétextes, des retards à la livraison de l’entreprise saoudienne Bin Laden aux litiges, en cours de règlement, avec les riverains sénégalais. Dernière échéance annoncée pour son entrée en service : 2016. Et alors que le président voyait déjà Sénégal Airlines tirer profit de cet ambitieux projet, la situation financière de la compagnie nationale devenue dramatique – avec 50 milliards de dette fin 2014 – a contrarié ses plans. 

Tourisme

Inscrit parmi les ambitions prioritaires du PSE, le tourisme doit devenir « moteur de croissance et d’emploi ». Mais affecté par une conjonction de facteurs (crise économique et financière, érosion côtière, virus Ebola, niveau élevé des taxes aéroportuaires), le secteur apparaît aujourd’hui sinistré. Malgré la suppression du visa d’entrée (effective depuis le 1er mai) et l’annonce de la réduction prochaine de certaines taxes, la chute de la fréquentation touristique, attestée par les principaux tour-opérateurs (- 30 % à – 40 % pendant la saison 2014-2015), laisse craindre une crise durable dans ce secteur, qui représente pourtant la principale rentrée de devises du pays. Selon le Syndicat patronal de l’industrie hôtelière au Sénégal, le pays a reçu 400 000 touristes l’an dernier. L’aménagement programmé de « trois à six zones touristiques intégrées » suffira-t-il à le placer « dans le top 5 des pays touristiques en Afrique », avec un objectif de 2 millions de touristes en 2018 et 3 millions en 2023 ?

Énergie

Pauvre en ressources énergétiques, le Sénégal affiche, avec environ 120 F CFA (18 centimes d’euros) le KWH, l’un des tarifs de l’électricité les plus élevés du continent. Celle-ci provient principalement de coûteuses centrales alimentées avec du fioul importé héritées du dernier gouvernement Wade. « Nous mettons le paquet dans ce domaine, souligne Abdoul Aziz Tall, ministre du PSE. La nouvelle politique prévoit plusieurs projets de centrales de grande taille, fonctionnant principalement au charbon. » Sur le papier, les ambitions du pays sont grandes, en effet. Ces dernières années, l’État a signé des accords à tour de bras. Reste à savoir si ces projets sortiront de terre. Emblématique des lenteurs du secteur, la centrale à charbon de Sendou (125 MW) attendue depuis 2012, est toujours en construction. Sa mise en service est désormais prévue fin 2015. Même constat dans le développement des énergies renouvelables, où seuls trois projets sur dix entérinés par le gouvernement semblent avancer. Le PSE prévoit aussi l’électrification de l’ensemble des zones rurales d’ici à 2023 et un assainissement des comptes de l’électricien national Senelec, dont la situation est passée d’ »alarmante » à « acceptable » ces dernières années, selon l’une de nos sources. Du côté des coupures, en revanche, l’amélioration a été rapide : selon les chiffres officiels, elles sont passées de 900 heures par an en 2011 à une centaine en 2014.

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