Cinéma africain : le Malien Cheick Oumar Sissoko monte au front
Le Malien Cheick Oumar Sissoko, secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes, entend redynamiser un secteur mal en point. Mais en a-t-il réellement les moyens ?
Déterminé ! Cheick Oumar Sissoko l’est, assurément. Convaincu que, avec bientôt un milliard d’habitants, l’Afrique peut produire ses propres images et assurer une autonomie financière à ses réalisateurs, le secrétaire général de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) n’entend pas rester les bras croisés. À la tête de l’institution depuis deux ans, cet homme dynamique, à la belle prestance et au verbe facile souhaite lui redonner tout son prestige. Bénéficiant depuis peu d’un appui financier kényan, Sissoko se fait fort de la relancer en lui assignant des objectifs concrets.
« Chaque région doit posséder une école avec un niveau d’excellence pour former les cinéastes de demain, des jeunes qui maîtrisent le numérique », lançait-il lors du dernier Fespaco. Mais il est également essentiel de « créer des structures de postproduction dans plusieurs pays sur le continent afin qu’il ne soit plus nécessaire d’aller à l’extérieur pour finaliser les films ». Sissoko le revendique : « L’Afrique doit disposer d’une véritable industrie cinématographique, créatrice d’emplois et de chiffre d’affaires. » L’auteur de Guimba, un tyran, une époque et de La Genèse, devenus des classiques après leur sortie en 1995 et 1999, n’en oublie pas pour autant la question majeure de la disparition des salles et envisage d’encourager les initiatives pour que les films africains puissent à nouveau être visibles sur grand écran.
Financer la relance
Mais comment faire pour qu’il ne s’agisse pas, une fois de plus, de voeux pieux ? Sissoko, qui ne ménage pas sa peine pour aller mobiliser les pays et les institutions régionales ou panafricaines, dit compter tout particulièrement sur la création du Fonds panafricain pour le cinéma et l’audiovisuel (FPCA), dont on parle depuis fort longtemps, afin de financer cette relance du septième art sur le continent. Les querelles qui ont jusqu’ici jalonné le processus de constitution de ce fonds seront, assure-t-il, « surmontées », et la naissance de cet organisme pourrait être annoncée d’ici à la fin de l’année. Reste évidemment qu’il s’agit encore de trouver qui va abonder le FPCA, même s’il se dit résolument optimiste quant à cette question cruciale.
L’avenir dira si tous les projets qu’entend promouvoir Cheick Oumar Sissoko verront le jour. Mais la détermination de celui-ci ne fait aucun doute. Alors même qu’il envisage de confirmer son retour à la réalisation en préparant une comédie dont le personnage principal serait un chauffeur de taxi, interprété par Habib Dembélé, il assure être prêt à patienter le temps qu’il faudra avant de tourner ce Taxi troubadour (titre de travail) si ses fonctions à la tête de la Fepaci l’exigent : « Ma priorité, aujourd’hui, c’est de faire sortir le cinéma africain de cette période de stagnation. Le reste, s’il le faut, attendra. »
Rapt à Bamako, le dernier film de l’ancien ministre de la Culture © DR
Satire
Et d’ici là, les cinéphiles devront se contenter de son dernier long-métrage, Rapt à Bamako, qu’il a présenté au Mali puis au Fespaco de Ouagadougou en février. On attendait ce moment depuis quinze ans. C’est en effet en 2000 qu’était sorti le précédent film de Cheick Oumar Sissoko, Bàttu, d’après un célèbre roman de la Sénégalaise Aminata Sow Fall.
Très différent de ses précédents films, Rapt à Bamako est une satire de la vie politique au sud du Sahara, où l’on est prêt à aller jusqu’au crime et aux sacrifices humains pour remporter les élections. Ce film emprunte autant au polar (c’est l’histoire du mystérieux enlèvement d’une Européenne venue contrôler la régularité d’une élection présidentielle) qu’à la comédie (les personnages sont souvent grotesques, et ce sont des adolescents facétieux qui résoudront l’énigme du rapt) ou au mélodrame (le danger est permanent mais n’aboutit jamais au pire). C’est là encore une adaptation d’un roman éponyme, cette fois du Malien Alpha Mandé Diarra.
Bien accueilli par une bonne partie de ses premiers spectateurs, ravis de voir dénoncer les pratiques scandaleuses et parfois criminelles de politiciens africains opportunistes que seul le pouvoir intéresse vraiment, ainsi que le ridicule de certains comportements d’Occidentaux qui ont du mal à oublier le temps des colonies, Rapt à Bamako a en revanche déçu les critiques. Ceux-ci imaginaient sans doute que le réalisateur proposerait à nouveau une oeuvre ambitieuse et non pas un film de genre surtout destiné à plaire au grand public et sans grand apport artistique.
Parenthèse
S’il y a une continuité malgré tout dans le parcours de Sissoko, on la retrouve à la fois dans le choix des sujets qu’il porte à l’écran – des questions de société qui évoquent en particulier les rapports entre la population et les figures du pouvoir – et dans son souci de servir toujours, derrière la caméra comme ailleurs, des causes qu’il estime essentielles. C’est d’ailleurs ce qui explique cette si longue parenthèse dans sa vie de cinéaste.
Entre 2002 et 2007, il fut un homme politique à plein temps, ministre de la Culture sous deux gouvernements à Bamako. Ensuite, il s’est préoccupé d’apprivoiser les nouveautés techniques qui se sont imposées depuis le début des années 2000 avec l’apparition du numérique pour pouvoir revenir à la réalisation, obéissant ainsi avec quelque retard à une injonction de Sembène Ousmane, qui lui avait dit en 2005 : « Arrête ton cinéma de ministre et reviens faire des films ! » Mais il a alors surtout consacré une grande partie de son temps à aider des jeunes, notamment en mettant à leur disposition dans un quartier populaire de Bamako un espace culturel qu’abrite une structure de production pour le cinéma et les spectacles vivants qu’il avait créée dès 1998, Kora Films. On l’aura compris, Sissoko est non seulement un cinéaste engagé mais aussi un militant dans l’âme.
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