Inde : premier bilan avant inventaire pour Narendra Modi
Premier ministre depuis tout juste un an, Narendra Modi s’efforce, non sans succès, d’attirer les investisseurs étrangers afin de relancer l’économie. Mais il ne dispose pas d’une majorité parlementaire pour faire passer ses réformes.
Narendra Modi, le Premier ministre indien, posant au côté de Li Keqiang, son homologue chinois : le selfie a fait le tour du monde. Posté par le premier sur Weibo, le Twitter chinois, lors de sa récente tournée en République populaire, ce cliché eût été impensable il y a encore quelques années. Il témoigne d’un certain réchauffement des relations entre les deux géants asiatiques. Modi n’est d’ailleurs pas reparti les mains vides : des accords d’un montant global de 22 milliards de dollars (20,1 milliards d’euros) ont été signés dans de nombreux domaines : les énergies renouvelables, l’acier, les ports, les parcs industriels… La diplomatie économique est LA grande réussite de Narendra Modi depuis son élection, le 20 mai 2014. "Il a déjà visité seize pays et renforcé les liens bilatéraux et commerciaux avec nombre d’entre eux", explique l’éditorialiste Sandipan Sharma sur le site Firstpost. "C’est indéniable, il a su "remarketer" l’image de son pays à l’étranger", renchérit un homme d’affaires français à Mumbai. Partout, Modi a su promouvoir avec habileté sa campagne Make in India ("fabriquer en Inde"). L’objectif ? Relancer la production manufacturière locale grâce à l’investissement étranger.
Assurance, défense, transport ferroviaire, fabrication d’équipements médicaux, construction… Dans de nombreux secteurs, l’encadrement législatif a été assoupli. Dans les deux premiers, la limite imposée aux investissements directs étrangers (IDE) est passée de 26 % à 49 %. Résultat : entre octobre 2014 et février 2015, lesdits IDE ont augmenté de 56 % et atteint 21,2 milliards de dollars. "L’intérêt des sociétés de capital-investissement, notamment dans l’e-commerce, est réel", commente Bidisha Ganguly, chef économiste à la Confederation of Indian Industry, l’organisation patronale locale. Amazon vient par exemple d’annoncer son intention d’investir en Inde 2 milliards de dollars supplémentaires. Le montant des IDE pourrait être cette année le plus important depuis quinze ans.
Obstination. Sur le terrain, pourtant, les retombées ne se font pas vraiment sentir. La récente commande de trente-six Rafale à la France montre qu’il n’est pas si simple de bâtir du jour au lendemain une industrie de l’aéronautique et de la défense. "Les Français ont été récompensés de leur obstination et ont obtenu tout ce qu’ils voulaient : les Rafale seront entièrement construits en France, sans transfert de technologies", s’insurge Ajai Shukla, dans le quotidien Business Standard. Dans la même veine, les hommes d’affaires se plaignent de l’absence de réformes de fond. Deux textes importants, la loi sur la terre (lire encadré page suivante) et l’instauration d’une taxe sur les biens et services, se heurtent par exemple au veto de l’opposition, majoritaire à la chambre haute. Ils devront attendre le mois de juillet pour être de nouveau présentés devant les députés. "Le gouvernement ne peut faire autrement : pour être adoptées, les lois doivent obtenir le feu vert des deux assemblées", note l’ambassadeur de France.
Autre récrimination des industriels : les ministres se montrent moins accessibles que par le passé. Mais est-ce vraiment un mal ? "Non, c’est le signe que les choses évoluent positivement. Les hommes d’affaires ne peuvent plus négocier en douce avec les autorités ni infléchir les politiques à leur guise", se félicite le consultant Swaminathan Aiyar. Autant qu’on en puisse juger, la corruption au sommet de l’État commence à régresser. "Modi a réintroduit de la transparence dans certains mécanismes, l’attribution des concessions minières, par exemple", reconnaît un chef d’entreprise français.
Il en faudra sans doute davantage pour regagner la confiance des investisseurs étrangers. D’autant qu’au mois d’avril un cafouillage sur la fiscalité a bien failli tout faire capoter. Plusieurs investisseurs institutionnels ont en effet découvert qu’ils allaient devoir s’acquitter rétroactivement d’une taxe sur les bénéfices réalisés depuis 2008, alors qu’Arun Jaitley, le ministre des Finances, venait d’annoncer lors de la présentation du budget que ladite taxe allait être supprimée ! L’affaire est en voie de règlement, mais elle risque de laisser des traces.
Du coup, la stratégie visant à relancer l’emploi tarde à porter ses fruits. Et l’impatience grandit. Même chose pour l’éducation et la formation. Il est vrai que 12 millions de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail. "Les programmes Make in India et Skilled India [qu’on pourrait traduire par "l’Inde des talents"] contribueront à la création de nombreux emplois dans les prochains mois, tente de se rassurer Amit Shah, président du Bharatiya Janata Party (BJP), la formation au pouvoir. Le financement des petits entrepreneurs par la Mudra Bank, aussi. Plus de 3 milliards de dollars ont été inscrits à cette fin au budget de l’année fiscale en cours. C’est le plan en faveur de l’emploi le plus important depuis l’indépendance."
Crédit. Pour montrer qu’il se soucie des plus pauvres, le gouvernement a aussi lancé deux projets novateurs : l’instauration d’une sécurité sociale universelle et l’ouverture au plus grand nombre du système bancaire. Ce dernier projet a démarré sur les chapeaux de roue : 150 millions de comptes ont été ouverts entre août 2014 et mai 2015. L’objectif fixé par Modi est de 600 millions de comptes. C’est essentiel dans un pays où 73 % de la population n’a pas accès au crédit. "De même que Gandhi a aboli la caste des intouchables, faire en sorte que tous les Indiens puisse bénéficier de ce programme conduira à l’élimination de l’"intouchabilité" financière", a-t-il déclaré. Reste que cette campagne n’est pas sans risque. "L’analphabétisme financier étant encore très répandu, il est possible que certaines personnes aient du mal à gérer leurs crédits et leurs dettes", estime Raghuram Rajan, le gouverneur de la Banque centrale.
Après le temps des promesses vient donc celui du réalisme. L’année 2016 s’annoncerait plus difficile que la précédente. Modi est encore populaire, mais ses compatriotes pourraient vite se lasser si les résultats en matière d’emploi et de niveau de vie ne suivaient pas. D’autant que le contexte macroéconomique reste fragile. S’agissant de la croissance indienne, la Banque mondiale s’est montrée, en janvier, très optimiste : + 6,4 % cette année, + 7 % en 2016… À ce rythme, la Chine sera devancée dès 2017. Mais tout cela reste conditionné à "la poursuite des réformes". De même, le ralentissement de l’inflation (contenue cette année au-dessous de 6 %) ne pourra se poursuivre que si les prochaines récoltes sont bonnes. Ce qui dépendra pour beaucoup de la qualité de la mousson. Au moins celle-ci devrait cette année arriver à la date prévue.
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