Burundi : putsch ou piège ?
Le président Nkurunziza aurait-il délégué à ses hommes de confiance l’organisation d’un « vrai-faux » coup d’État pour faire sortir ses détracteurs du bois ?
Depuis l’échec du coup d’État contre le président Pierre Nkurunziza, le scénario d’un vrai-faux putsch orchestré en sous-main par le régime circule avec insistance. Simple rumeur à l’origine, il s’est nourri des fausses notes constatées pendant ces deux jours où le Burundi a failli basculer : deux généraux putschistes (Godefroid Niyombare et Cyrille Ndayirukiye) qui annoncent prématurément, sur les ondes des radios privées, le renversement du président (absent du pays, pour cause de réunion de la Communauté est-africaine en Tanzanie), alors qu’ils ne sont pas encore maîtres de la capitale ; un conseiller de la présidence (Willy Nyamitwe) qui, aussitôt, qualifie l’opération de "blague" ; et un chef d’état-major (Prime Niyongabo) qui, le soir même, invite les putschistes à déposer les armes. Il n’en fallait pas plus pour voir émerger l’hypothèse d’un coup d’État commandité par sa supposée victime afin de purger les forces armées de leurs éléments dissidents, tout en permettant, dans la confusion générale, le saccage des médias privés.
Hypothèse crédible
Depuis, divers témoignages incitent à prendre l’hypothèse au sérieux. "Fin avril, les généraux Niyombare et Ndayirukiye ont participé à une réunion avec le ministre de la Défense, Pontien Gaciyubwenge, le chef d’état-major des armées (cema), Prime Niyongabo, mais aussi les responsables régionaux et chefs d’unité de l’armée", assure à Jeune Afrique Me Onésime Kabayabaya, avocat de Ndayirukiye, lequel est aujourd’hui aux arrêts. "Leur principale préoccupation était de savoir comment la Défense allait se positionner face à l’obstination présidentielle à briguer un troisième mandat, au risque de plonger le pays dans le chaos."
Selon l’avocat, l’hypothèse d’un coup de force aurait été évoquée à mots couverts, sans faire tousser ni le ministre ni le cema. Aujourd’hui, Ndayirukiye demande à être confronté à ses deux anciens supérieurs, qu’il désigne implicitement comme complices du putsch. Selon plusieurs sources burundaises, rwandaises et belges, le scénario serait le suivant : face à la fronde populaire et à la dissidence de cadres politiques et militaires issus de son propre parti, le CNDD-FDD, Nkurunziza aurait délégué à ses hommes de confiance l’organisation d’un "vrai-faux" putsch destiné à faire sortir ses détracteurs du bois, tout en torpillant le sommet régional où il craignait d’être critiqué par ses pairs.
Cheval de troie
Au coeur du dispositif, un cheval de Troie : le général Niyongabo, qui aurait assuré aux conjurés que l’armée les suivrait. Au matin du 13 mai, selon une source proche des putschistes, ce dernier indique à Niyombare qu’il peut annoncer la réussite du coup d’État sur les ondes des radios privées, tandis que lui-même se charge de prendre le contrôle de la radio nationale (RTNB). Au même moment, le ministre de la Défense, qui pense que le putsch est appuyé par le cema, informe le militant des droits de l’homme Pierre-Claver Mbonimpa du coup d’État. "Il m’a dit que les choses allaient se dérouler sans problème", témoignera l’intéressé.
Croyant bénéficier de l’appui du cema, Niyombare et Ndayirukiye se jettent dans la gueule du loup. Mais ils se retrouvent confrontés à une forte résistance des unités loyalistes. "Niyongabo a joué double jeu", analyse Bob Rugurika, directeur de la radio privée RPA. En comprenant que Niyongabo est resté fidèle à Nkurunziza, le ministre Gaciyubwenge se fait tout petit. Deux jours après le putsch, il est limogé. Selon nos informations, il a fui vers l’Europe, où il se trouverait aujourd’hui. Quant à Niyombare, introuvable depuis le 15 mai, lui aussi aurait quitté le Burundi. Leurs témoignages sur les circonstances du putsch devraient bientôt permettre de cerner si celui-ci a été, pour Nkurunziza, une désagréable surprise… ou une bonne nouvelle.
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