Palestine – Leïla Shahid : « Je suis très déçue par la diplomatie internationale »

Représentante de la Palestine pendant un quart de siècle, elle a tiré sa révérence au début de l’année. Mais entend poursuivre le combat par d’autres moyens.

À Essaouira, au Maroc, cette année, où elle a assisté au festival gnawa, dont elle est une fidè © A3 communication

À Essaouira, au Maroc, cette année, où elle a assisté au festival gnawa, dont elle est une fidè © A3 communication

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 1 juin 2015 Lecture : 6 minutes.

Fidèle du festival gnawa d’Essaouira, où on la voit parfois déambuler en burnous, la Palestinienne Leïla Shahid a quitté définitivement, au début de l’année, son habit de diplomate. Elle nous reçoit dans un kiosque dressé au milieu d’un jardin face à l’Atlantique. Née sur une autre rive, à Beyrouth, en 1949, peu après la première débâcle des armées arabes face à Israël, elle prend conscience, à 18 ans, au lendemain de la défaite de 1967, de l’urgence de lutter politiquement pour la cause palestinienne et s’engage au Fatah de Yasser Arafat, mouvement fondateur de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). En 1989, convaincue par Arafat de représenter la Palestine sur la scène internationale, cette femme de caractère et de convictions ne cessera, pendant un quart de siècle, de fréquenter plateaux de télévision, conférences et chancelleries pour convaincre. Avec succès auprès des opinions publiques. Avec beaucoup plus de difficultés auprès des gouvernements occidentaux.

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Leïla Shahid : Je milite depuis quarante-huit ans pour mon pays, dont vingt-cinq en tant que diplomate. Or je suis profondément déçue par les instances diplomatiques internationales. Face à Israël, nous ne jouons pas à armes égales. Leur armée nous occupe, nous assiège comme des rats, elle a les moyens de nous écraser comme des mouches, et personne ne fait rien pour nous protéger, ni l’Union européenne, ni les États-Unis, ni même les États arabes. On peut continuer ainsi pendant deux siècles sans que rien ne change. Nous espérions que la société israélienne évoluerait après Oslo vers plus de demande de paix. Elle a évolué dans le sens opposé, devenant beaucoup moins laïque et beaucoup plus religieuse, se repliant sur une identité chauvine. Les Israéliens veulent maintenant non seulement garder tous les territoires, mais aussi que le monde entier considère que ce pays est celui du peuple juif. Or 20 % des citoyens israéliens sont des Arabes chrétiens ou musulmans.

Comment se fait-il que, lorsque Poutine annexe la Crimée, le monde entier adopte aussitôt des sanctions et que, lorsque l’État hébreu annexe Jérusalem, personne ne dit rien ?

Que vous inspire le nouveau gouvernement israélien, très à droite ?

Rien de bon, avec un Premier ministre qui s’est engagé à ce que l’État de Palestine ne voie pas le jour sous son mandat, un Naftali Bennett qui appelle à annexer tous les territoires palestiniens, un Avigdor Lieberman raciste et fier de l’être, qui veut mettre à la porte les "Arabes". La gauche, qui a été à l’initiative des accords d’Oslo avec Rabin et Peres, devient de plus en plus insignifiante. À quoi sert la diplomatie dans un tel contexte si la partie tierce, c’est-à-dire les Européens, les Américains, les Arabes et les membres du Conseil de sécurité n’ont pas le courage de faire respecter le droit international par Israël ? Comment se fait-il que, lorsque Poutine annexe la Crimée, le monde entier adopte aussitôt des sanctions et que, lorsque l’État hébreu annexe Jérusalem, personne ne dit rien ? La diplomatie palestinienne doit changer radicalement de stratégie. Elle doit se charger de renforcer la résistance, la capacité des Palestiniens à rester sur leur terre, alors qu’Israël crée chaque jour des colonies, des routes pour les desservir, des murs pour les protéger. Il n’y a plus de territoire sur lequel on pourrait édifier un État palestinien…

Que faire si la diplomatie est stérile ?

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Je préfère consacrer ce qu’il me reste de vie active à renforcer la société civile et sa capacité à rester sur le sol de sa patrie. Prendre aux gens leur terre, c’est-à-dire l’agriculture, l’eau, toute perspective de travail, c’est vouloir les pousser à partir, ce qu’Israël appelle le "transfert volontaire". Le nettoyage ethnique de 1948 est difficile à reproduire en 2015 sous l’oeil de caméras omniprésentes. En privant les Palestiniens de tout, les Israéliens se disent qu’ils finiront par partir pour aller travailler dans le Golfe, au Canada, là où ils pourront survivre. Il est donc essentiel de leur donner les moyens de rester sur leur terre et d’innover dans les formes de résistance sans avoir recours à la violence.

Nombre d’États et de Parlements ont reconnu la Palestine dernièrement, de beaux succès pour la diplomatie palestinienne tout de même…

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Cent trente-quatre États dans le monde nous reconnaissent, dont neuf pays européens. Sur le plan de l’opinion publique, c’est un succès, mais qui n’aboutit pas à mettre à la porte l’armée israélienne et à devenir souverain. Une conséquence de la lâcheté des Européens, des Américains et des Arabes, qui estiment qu’Israël est un État au-dessus du droit, refusant de l’obliger à quitter les Territoires comme ils l’ont fait avec Saddam au Koweït ou avec Milosevic en Bosnie.

Peut-on toujours parler de négociation, de processus de paix ?

Il n’y a plus de négociations, et il y a peu de chances qu’elles reprennent. Mahmoud Abbas a négocié avec huit Premiers ministres israéliens depuis 1993. Même John Kerry a fini par baisser les bras après avoir tenté la voie des négociations indirectes entre les deux parties. L’histoire de ce que l’on a appelé le processus de paix est finie. La balle est maintenant dans le camp de la communauté internationale, d’où l’importance de la reconnaissance formelle de l’État de Palestine. Quand tous les États l’auront fait, ils auront le devoir d’ordonner le retrait de l’armée israélienne. Cela nécessitera des années de travail, mais il n’y a aucune raison qu’Israël reste indéfiniment hors du droit international. Sinon, ce sera à la guerre comme à la guerre…

Est-ce que la saisie du Conseil de sécurité pourrait être une solution, à l’heure où les États-Unis semblent prendre leurs distances avec le gouvernement israélien ?

Le Conseil de sécurité ne va pas subitement devenir efficace, il n’en donne aucun signe. Dans son état actuel, il est sous le diktat des États-Unis, et tant que ceux-ci brandiront leur veto, rien ne sera fait. Ce qui est très important, c’est de continuer à chercher la comparution d’Israël devant la Cour pénale internationale [CPI]. Les dirigeants israéliens sont terrorisés à l’idée d’être condamnés, car ils seront convoqués par les tribunaux. Ce n’est pas comme une condamnation de l’ONU, que l’on peut ranger dans un tiroir. Ils ne pourront plus voyager. Certains généraux qui ont mené la guerre à Gaza n’osent déjà plus franchir les frontières parce que des familles palestiniennes engagent des procès pour crime de guerre, et leurs amis en Europe leur disent qu’ils ne pourront pas les protéger si un juge les convoque.

>> À lire aussi : Dix ans après la mort d’Arafat, la paix israelo-palestinienne reste hors de portée

Les Palestiniens font aussi le jeu des Israéliens par leurs divisions…

Le processus de réconciliation est en mauvais état, ce qui me peine beaucoup. Il y a eu des élections en 2006, et il aurait dû y en avoir de nouvelles en 2010. Nous sommes en 2015 et il n’y en a toujours pas. Comment voulez-vous en tenir si les deux principaux partis ne s’acceptent pas ! S’ils ne peuvent pas être d’accord, car l’un est islamiste et l’autre laïc, qu’ils fassent au moins l’effort de s’entendre pour représenter chacun des segments de notre société. Je tiens les deux partis, dont le mien, pour responsables de cet échec.

Quid de la succession d’Abbas ? On évoque le nom de Mohamed Dahlan…

Je ne crois pas à la solution Dahlan. Soutenu par les Émirats arabes unis, il a des moyens considérables et tente d’acheter des voix, mais en 2007, lorsqu’il y a eu des combats entre le Hamas et le Fatah à Gaza, au lieu de défendre ses partisans, il s’est enfui en Égypte. Les gens ne le lui pardonnent pas. Et les Palestiniens ne veulent plus élire un membre de la vieille garde. Ils veulent des gens de la nouvelle génération et il y a, dans la diaspora et en Palestine, des jeunes très capables, mais ils doivent se faire connaître et élaborer un programme qui emporte l’adhésion. Les Palestiniens refusent désormais d’élire quelqu’un pour son nom ou pour son compte en banque.

Est-ce qu’une nouvelle Intifada se profile ?

Personne n’avait décidé de la première Intifada. Elle a été une magnifique réaction – non armée – de notre société. Mais l’Histoire ne se répète pas, et l’Intifada à venir ne ressemblera pas à celle de 1987. Ce sera encore quelque chose de nouveau qui contribuera à faire avancer les choses. La population palestinienne est pleine de vitalité, de résilience, d’inventivité, elle est forte et ne va pas se laisser abattre. J’attends de voir comment elle s’exprimera et je l’y aiderai du mieux que je pourrai. C’est à cela que je voudrais maintenant me consacrer. 

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