Burkina : Zida l’affranchi

Blaise Compaoré avait cru, en le poussant sur le devant de la scène, pouvoir continuer à tirer les ficelles. C’est raté : le Premier ministre a su s’émanciper de ceux qui l’ont porté au pouvoir. Et demeure un mystère pour tout le monde.

Le 3 novembre2014. deux jours plus tôt, il prenait la tête de la transition militaire. © Theo Renaut/AP/SIPA

Le 3 novembre2014. deux jours plus tôt, il prenait la tête de la transition militaire. © Theo Renaut/AP/SIPA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 2 juin 2015 Lecture : 8 minutes.

Sur la porte de son ancien bureau, dans la caserne du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), un psaume biblique imprimé sur une feuille A4 retient l’attention du visiteur. "Montons, emparons-nous du pays, nous y serons vainqueurs" (Nombres 13-30). Pour un croyant comme Yacouba Isaac Zida, convaincu que son destin est entre les mains de Dieu, cette phrase résonne aujourd’hui comme une implacable prémonition.

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Car ce protestant de 49 ans ne voulait pas du pouvoir. Ce sont les circonstances qui l’y ont poussé – ou plutôt Blaise Compaoré et son ancien bras droit, le général Gilbert Diendéré. Le 30 octobre 2014, tandis que les manifestants réclament la tête du chef de l’État, Zida, alors numéro deux du RSP, est chargé des opérations sur le terrain. Dans le bureau présidentiel, "Blaise" et Diendéré, son chef d’état-major particulier, réfléchissent à la manière de contenir l’insurrection. Une réunion de crise doit se tenir en fin d’après-midi à l’état-major général des armées. Se sachant exposés, Diendéré et son adjoint, Boureima Kéré, jouent la prudence et mandatent Zida, en qui ils ont entière confiance.

>> À lire : le récit de la chute de Compaoré

Hauts gradés

Au fil des heures, la contestation prend de l’ampleur. Le 31, au petit matin, Compaoré comprend que la partie est perdue, mais prend soin d’organiser son départ. Diendéré et lui décident de placer Zida à la tête de la transition militaire. Des pressions sont exercées sur les hauts gradés de l’armée pour qu’ils laissent la place à cet officier de second rang. Dans la soirée, le lieutenant-colonel Zida annonce le départ du président et affirme qu’il assurera l’intérim. Le plan a fonctionné.

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Mais les choses vont vite dérailler. Zida n’est pas la marionnette que ses anciens mentors espéraient contrôler à distance. "Il s’est rapidement affranchi de leur tutelle, glisse un protagoniste au coeur des événements. Ils ont perdu la télécommande !" Profitant du désordre ambiant après la chute de Compaoré, ce Mossi aussi imprévisible que rusé impose son rythme. Il parvient à se maintenir à la tête du gouvernement de transition et tire à boulets rouges sur l’ancien régime, dont il est pourtant un pur produit.

Dès 1996, peu après son arrivée au sein du RSP, la garde prétorienne de l’ex-président, Zida a été repéré et pris sous son aile par Gilbert Diendéré, originaire comme lui de la région de Yako (Nord-Ouest). Chargé de la sécurisation des déplacements présidentiels, il est ensuite placé à la stratégique division "renseignements" – aussi bien intérieurs qu’extérieurs – de la présidence. Figurant parmi les officiers les plus prometteurs du régiment, ce polyglotte (il parle français, anglais, mooré et dioula) est sélectionné pour participer, entre 2005 et 2012, à différentes formations spécialisées à Taïwan, au Cameroun et aux États-Unis.

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Idéologue politisé

Militaire de formation, l’actuel Premier ministre n’en reste pas moins un idéologue politisé. Adolescent sous la révolution sankariste, il a été bercé par les thèses marxistes. Passé par le berceau révolutionnaire qu’était alors le Prytanée militaire de Kadiogo, il poursuit ensuite des études d’anglais à l’université de Ouagadougou avant d’atterrir à l’académie Georges-Namoano de Pô, vivier de recrutement des troupes d’élites de l’armée burkinabè. À l’époque, sur sa table de chevet, des écrits de Staline. "Il a gardé cette idéologie très nationaliste, limite communiste", confie une source au coeur de la transition. Le qualifier de nouveau Sankara semble malgré tout exagéré. Ses détracteurs lui reprochent d’ailleurs de ne se placer en héritier du capitaine révolutionnaire que pour mieux s’attirer la sympathie de la société civile.

Peu après l’université, un changement majeur intervient dans sa vie : musulman, il se convertit au protestantisme. Sa foi grandit sous l’influence du pasteur Patrice Tiendrébéogo (lire l’encadré). Aujourd’hui encore, le dimanche, mais aussi certains soirs dans la semaine, il se rend dans son église évangélique à Ouagadougou. C’est aussi là-bas, à la fin des années 1990, qu’il a épousé sa femme, Stéphanie, directrice générale de l’Agence nationale de financement et de promotion des PME, avec laquelle il a eu deux enfants.

La foi exacerbée de Zida fait aujourd’hui grincer des dents au Burkina. "Il est illuminé, tacle un de ses adversaires. Il fait tout le temps référence à Dieu, aussi bien en public qu’en privé, et ne cesse de dire qu’il reçoit des visions, qu’il a été appelé !" Parmi ses principaux collaborateurs, plusieurs "frères en Christ", dont le colonel Denise Auguste Barry, l’influent ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité.

Mais, à se croire trop protégé par la grâce divine, Zida a pris des risques qui auraient pu lui coûter cher. Début décembre, ses anciens frères d’armes apprennent qu’ils vont être réaffectés dans différents régiments. Furieux, persuadés que Zida veut dissoudre le RSP, ils le convoquent le 30 décembre, jour de Conseil des ministres, sur la place d’armes de la caserne Naaba Koom, située juste derrière la présidence. L’échange est musclé. Sous la pression, Zida s’engage à ne pas toucher au RSP et à annuler certaines nominations. Sauf que les jours passent, que rien ne bouge et que les militaires s’exaspèrent. Zida se sait menacé. Le 4 février, plutôt que de se rendre au palais de Kosyam pour diriger un nouveau Conseil des ministres, il se réfugie chez le Mogho Naba, le roi traditionnel des Mossis. Il faudra la médiation du président Michel Kafando, de Diendéré et de l’ancien chef de l’État Jean-Baptiste Ouédraogo pour que le Premier ministre échappe à une démission forcée.

Avec Michel Kafando, en novembre 2014. En sauvant la tête de son Premier ministre, en février de la même année, le président est parvenu à rétablir l’équilibre au sommet de l’État. © Sia Kambou/AFP

Bras de fer

Zida n’est plus en odeur de sainteté au RSP. "Il nous a trahis, estime un cadre du régiment. Il a coupé les ponts, mais c’est une erreur : c’est grâce à nous qu’il est là où il est." Il a rompu aussi les liens avec Diendéré. Signe qui ne trompe pas : après le 4 février, le Premier ministre, jusque-là voisin du général dans la zone sécurisée du Conseil de l’entente, a fait ses valises pour emménager dans sa résidence officielle proche de la primature.

Le chef du gouvernement est, de l’avis de tous, plus prudent depuis son bras de fer avec le RSP. Plus discret aussi (il a refusé de parler à J.A.). Sa relation avec Michel Kafando a également changé. Longtemps considéré comme le maillon faible de leur attelage civilo-militaire, le président de transition a rééquilibré le binôme exécutif en s’imposant habilement dans le rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée. "Kafando a sauvé la tête de Zida le 4 février", affirme une source proche du chef de l’État.

D’après plusieurs observateurs, le Premier ministre reste malgré tout le véritable chef d’orchestre de la transition. Ses collaborateurs jurent qu’il n’a qu’un objectif : permettre l’organisation des élections le 11 octobre. Débutant ses journées vers 7 heures du matin, il peut rester jusqu’à minuit au bureau avant de rentrer chez lui, parfois à pied, accompagné de ses officiers de sécurité. "Il n’a pas changé, c’est toujours le même, raconte son directeur de cabinet, Job Ouédraogo, qui le connaît depuis plusieurs années. Sa principale qualité est de savoir reconnaître ses erreurs et d’ajuster ses décisions en fonction des besoins."

Attentif, le "patron" travaille quotidiennement avec Denise Auguste Barry, cheville ouvrière du gouvernement de transition. Les principales mesures prises depuis six mois ont été élaborées par ce duo de militaires en costume-cravate. C’est le cas de la nouvelle loi électorale, qui exclut des prochains scrutins ceux qui ont soutenu le projet de modification constitutionnelle de Compaoré. "Beaucoup de gens ont des choses à se reprocher et ils le savent. Certains continuent à se poser en victimes, c’est indécent. Ils doivent assumer leurs erreurs", justifie Barry, souvent dépeint comme l’un des éléments les plus radicaux de l’entourage de Zida.

Ces mesures ont permis aux deux hommes de s’attirer le soutien d’une partie des organisations de la société civile. Mais que ce soit dans les chancelleries, dans les QG de partis politiques ou au sein de l’armée, nombreux sont ceux qui estiment que cette proximité n’a rien d’innocent. La hausse du niveau de vie de plusieurs responsables de la société civile, fer de lance de l’insurrection populaire, n’a échappé à personne. "Avant, nous devions presque leur payer l’essence pour qu’ils viennent aux réunions, se rappelle un ex-meneur de l’opposition. Maintenant, ils roulent en 4 x 4 et vivent, pour certains, dans des duplex."

Zones d’ombre

L’argent. L’autre élément qui, avec sa foi protestante, alimente les interrogations sur Yacouba Isaac Zida. En avril, les membres de l’exécutif ont été obligés de déclarer leurs biens. Le patrimoine du Premier ministre avoisine les 600 millions de F CFA (près d’un million d’euros) : pas de compte bancaire, mais des villas, des terrains, du bétail… Des avoirs surprenants pour un militaire. Selon des sources concordantes, il faudrait tourner le regard plus au sud, vers la Côte d’Ivoire, pour tenter d’en trouver l’origine. Zida a acquis une grande partie de ces biens entre 2002 et 2005, du temps où il était l’officier de liaison entre Compaoré et la rébellion des Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro, qui avait la main sur la majeure partie des ressources dans le nord du pays. Intriguant, même s’il n’existe pour l’heure aucune preuve d’un quelconque lien financier.

Ces zones d’ombre n’entament pas sa popularité auprès des responsables politiques. Pour beaucoup, son bilan est positif : tout n’a certes pas été réglé en six mois de transition, mais le pays est en train de tourner la page Compaoré de manière démocratique, avec des élections en passe d’être tenues dans les délais. "Pour un militaire qui n’a jamais géré la chose publique ni été élu, il ne s’en tire pas si mal", résume Simon Compaoré, cofondateur du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP).

Reste la question de son avenir. Un retour à la caserne Naaba Koom après le 11 octobre paraît improbable. Va-t-il se lancer en politique ? "Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, répond un de ses proches collaborateurs. Nous sommes croyants. Nous nous remettons donc entre les mains de Dieu." 

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