Audiovisuel tunisien : mauvaises ondes à la Haica
Incapable de s’imposer dans un monde médiatique qui flirte avec le pouvoir politique, la Haica, l’instance de régulation de l’audiovisuel, est fragilisée par une série de démissions.
La Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) est de nouveau dans la tourmente. En moins d’un an, quatre de ses neuf membres ont claqué la porte. Les derniers départs, ceux de Rachida Ennaifer et Riadh Ferjani, le 27 avril, laissent l’instance paralysée faute de quorum. En interne, les démissionnaires avaient alerté contre les dysfonctionnements de l’autorité audiovisuelle, mais sans réussir à se faire entendre.
Ils estiment que l’octroi, en juillet 2014 et en avril 2015, de licences d’exploitation à des stations radio et à des chaînes de télévision privées constituait "une violation des constantes de la Haica". Les dérives seraient répétées, mais deux d’entre elles, en particulier, semblent à l’origine de la crise. La première est la reconduction de la chaîne El Hiwar Ettounsi, appartenant à Tahar Ben Hassine, l’une des voix du parti Nidaa Tounes, qui serait passée aux mains de proches de Sami Fehri, propriétaire de la chaîne Attounissia.
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La seconde, l’octroi à la mi-avril d’une nouvelle fréquence à Radio Kalima, qui appartient en partie à Sihem Bensedrine, présidente de l’Instance Vérité et Dignité, et à son époux, Omar Mestiri. Clandestine avant la révolution, la station avait obtenu sa licence en 2011 et fermé en 2013 pour mauvaise gestion, selon ses anciens employés. Depuis, ses fondateurs auraient vendu leurs parts à une société-écran montée par un dirigeant politique propriétaire d’une chaîne de télévision et d’un club de football de la capitale.
Enlisée
Deux cessions qui posent plusieurs problèmes : l’implication de personnalités politiques (alors que la loi tunisienne leur interdit, par souci d’indépendance, d’être actionnaires de médias), l’origine des fonds de ces rachats, qui n’a pas été établie par la Haica, et la question de savoir si cette dernière a, oui ou non, autorisé ces ventes. En réponse, l’autorité s’enlise dans des communiqués peu explicites.
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Sa crédibilité est sérieusement entamée, au point que certains craignent que cette crise, due à un manque de vigilance et de transparence, ne conduise à sa disparition. Selon la Constitution, elle pourrait être remplacée par une Haica bis dont le cadre serait défini par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Mais le risque est que l’existence même d’un organe de régulation soit remise en question.
Le Syndicat tunisien des dirigeants de médias, qui regroupe une vingtaine de patrons, a déjà annoncé qu’il ne se soumettrait plus aux décisions de la Haica. Clairement, l’instance, opérationnelle depuis 2013, dérange, y compris le pouvoir, qui avait hésité plus de dix-huit mois avant de choisir ses neuf membres. Elle a échoué dans sa mission : assurer l’indépendance des médias, la qualité de l’information, l’exercice de la liberté d’expression et le respect d’une éthique.
Entre la chute de la dictature et l’entrée en fonction de la Haica, deux années se sont écoulées durant lesquelles les 14 chaînes de télévision et les 39 radios publiques et privées ont évolué en roue libre et flirté, pour certaines, avec le pouvoir dans une période de transition jalonnée d’échéances électorales.
"Il faudrait revoir ces modalités de désignation qui privilégient le corporatisme aux compétences indépendantes", estime Larbi Chouikha, spécialiste des médias et ancien membre de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (Inric). Kamel Laabidi, ex-président de l’Inric, souligne lui le rôle crucial d’une instance de régulation dans une démocratie et suggère que l’ARP s’inspire des standards internationaux. En attendant, la Haica laisse le champ libre aux dérives des médias.
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