Sénégal : movida dans la Teranga
Des politiciens qui zigzaguent, changent de parti, bref transhument pour se rallier au pouvoir, est-ce immoral ? La réponse varie selon qu’on est dans l’opposition ou dans la majorité…
Au Sénégal, voilà un mois que le pastoralisme s’est invité dans le débat public. Il aura suffi pour cela que le président Macky Sall livre, au détour d’une conférence de presse, mi-avril, sa vision personnelle de la transhumance. "Le pouvoir doit tout faire pour récupérer des gens de l’opposition, a-t-il estimé. C’est un jeu tout à fait normal en politique."
Une normalité pourtant très relative. Car en terre sahélienne, si la transhumance du bétail fait partie du décor, les migrations opportunistes du personnel politique au lendemain d’une élection relèvent en revanche du secret de famille, dont on préfère parler métaphoriquement. Le Petit Larousse illustré se réfère d’ailleurs au Sénégal pour définir la notion de "transhumant", comme le rappelle le professeur Ibrahima Sow, de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), qui a animé en 2014 une table ronde sur la question : "Personne qui quitte son parti d’origine pour adhérer à un autre, généralement au pouvoir."
Or pour Macky Sall, qui dénonçait hier la transhumance au nom de "l’éthique", cette pratique serait aujourd’hui justifiable au nom de "l’ouverture" et de "la liberté d’aller et venir". Jusque dans les rangs de la coalition gouvernementale Benno Bokk Yakaar (BBY), la pilule a du mal à passer. "Un homme qui se renie, un homme qui n’a pas de parole n’atteint même pas le rang d’un animal ou d’une bête sauvage", a commenté Abdoulaye Wilane, le porte-parole du Parti socialiste, sur un ton grandiloquent.
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"On ne peut pas comparer la transhumance à la mobilité professionnelle, comme a semblé le faire le président de la République", a ajouté Moussa Bocar Thiam, son camarade de parti. "Ce type d’appel à la transhumance n’est pas conforme aux attentes que les Sénégalais ont par rapport à cette deuxième alternance", a estimé quant à lui Mamadou Ndoye, de la Ligue démocratique (LD). En 2012, deux députés originaires du Québec et du Burkina Faso avaient rédigé pour l’Assemblée parlementaire de la Francophonie un rapport sur le thème "Nomadisme ou transhumance politique post-électoral [sic] et discipline de parti dans l’espace francophone".
Il en ressortait que si les infidélités partisanes ne sont pas l’apanage de l’Afrique, le nomadisme y est particulièrement enraciné. Une tendance qui, au Sénégal, se décline de différentes manières. Durant les années 1990, on a vu ainsi Abdou Diouf nommer des gouvernements d’ouverture dans lesquels Abdoulaye Wade, son opposant historique, a participé, troquant momentanément les séjours en prison contre les ors du pouvoir.
Au lendemain de la première alternance, en 2000, Wade a lui-même fait preuve d’un talent manoeuvrier que n’eût pas renié Machiavel, provoquant une hémorragie au sein du parti socialiste, dont de nombreux ténors, hébétés par la défaite, s’en vinrent brouter l’herbe grasse du Parti démocratique sénégalais (PDS). Avec un résultat probant : un septennat sans véritable opposition et une réélection dès le premier tour en 2007.
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Chapelles
Pour Macky Sall, la donne fut différente. Acculé à quitter le PDS d’Abdoulaye Wade, l’actuel chef de l’État s’était abstenu de rallier un mouvement d’opposition, préférant créer son Alliance pour la République (APR). Mais une fois élu, c’est sans état d’âme aucun qu’il s’est efforcé d’arrimer à la mouvance présidentielle les principales formations politiques du pays, tout en n’hésitant pas à rallier différents élus issus d’autres chapelles, au nom de la "massification" de son parti.
Une stratégie ouvertement revendiquée par certains de ses lieutenants, comme Cheikh Kanté, le directeur général du Port autonome de Dakar, passé maître dans l’art du débauchage au profit du parti présidentiel. C’est d’ailleurs dans ce contexte que, deux de ses députés préférant rester fidèles au camp de Macky Sall, la formation d’Idrissa Seck, Rewmi, s’est trouvée dans l’incapacité de créer un groupe parlementaire après son retrait de BBY, en 2013.
"Mon rôle, c’est de tout faire pour réduire l’opposition à sa plus simple expression", assume le chef de l’État, tout en contestant que ces ralliements puissent s’accompagner d’une contrepartie intéressée. Un jeu que Mamadou Ndoye, de la Ligue démocratique, estime pourtant risqué pour Macky Sall. Le propre d’une girouette n’est-il pas de tourner avec le vent ?
Ils migrent de toutes parts
Plusieurs pays africains – comme le Burkina Faso, le Sénégal, la Guinée équatoriale, le Gabon ou le Tchad – se sont dotés d’un dispositif législatif ou constitutionnel destiné à limiter la transhumance. S’il fait défection à son parti, un député est censé céder son siège à son suppléant ou se présenter de nouveau devant les électeurs. Une mesure toutefois insuffisante à endiguer un phénomène dont le continent paraît coutumier. Ainsi, pour les parlementaires béninois, la transhumance est comme une seconde nature. Lors des législatives d’avril 2015, une trentaine de députés élus sous la bannière d’un parti politique se sont ainsi présentés sur la liste d’un autre. Au Mali, la transhumance est dénoncée comme un mal endémique qui mine la crédibilité de la classe politique. C’est ainsi qu’au lendemain des législatives de décembre 2013 une dizaine de nomades s’étaient déjà ralliés à la mouvance présidentielle. Une spécialité malienne consiste à déserter les rangs de l’ex-poids lourd de la scène politique, l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ), créé en 1990 par des opposants à la dictature de Moussa Traoré, pour s’en aller fonder sa propre formation, comme l’ont fait successivement l’actuel président Ibrahim Boubacar Keïta, son adversaire à la dernière élection présidentielle Soumaïla Cissé ou l’ancien ministre de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga.
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