Hollande l’Africain : une politique pragmatique au Maghreb

Contrairement à son prédécesseur et alter ego corrézien, Jacques Chirac, qui nourrissait une véritable passion pour l’Orient, on ne connaissait pas de penchant arabe ou maghrébin prononcé chez François Hollande. Tout au plus un léger tropisme algérien, pour des raisons qui tiennent moins à son engagement partisan qu’a son histoire familiale.

Avec Mohammed VI (ici à Casablanca en avril 2013), les tensions se sont apaisées © Bertrand Langlois/Pool/AFP

Avec Mohammed VI (ici à Casablanca en avril 2013), les tensions se sont apaisées © Bertrand Langlois/Pool/AFP

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Publié le 29 mai 2015 Lecture : 6 minutes.

L’un des tournants décisifs : sa visite à Tombouctou, le  2 février 2013,  après la libération de la ville malienne otage des djihadistes © Fred Dufour/AFP
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Hollande l’Africain

Trois ans après son élection, le président français s’est familiarisé avec un continent qu’il connaissait mal. Plus discret qu’à ses débuts dans ses relations avec les chefs d’État, il prône la transparence, mais le pragmatisme s’est invité au fil des crises qu’il a dû gérer.

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Il a fini par trouver ses marques dans un paysage nord-africain chamboulé par le tumulte du Printemps arabe. Inutile de chercher un grand dessein comparable à celui dont Nicolas Sarkozy se voulait porteur, au début de son mandat, avec son "Union pour la Méditerranée".

Hollande n’a même pas essayé, et a préféré développer une approche classique, et strictement bilatérale, avec chacun des trois pays francophones du Maghreb central. Difficile de lui en tenir rigueur, les circonstances rendant tout projet de ce type utopique, car à la brouille persistante entre l’Algérie et le Maroc s’ajoute désormais, depuis 2011, le chaos libyen.

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Ce dossier représente aujourd’hui le plus sérieux motif de préoccupation. La prolifération jihadiste, qui déstabilise les pays sahéliens, et les vagues de clandestins déferlant sur les côtes maltaises et italiennes forcent l’Europe à réagir. Les regards se tournent vers la France, sur la sellette pour avoir provoqué le renversement de Kadhafi sans avoir songé à "l’après". Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, a pensé à des opérations ponctuelles dans le sud du pays, mais son volontarisme n’a pas trouvé d’écho au Quai d’Orsay, où l’on préfère appuyer la médiation onusienne de Bernardino León.

Maroc : On efface tout et on recommence ?

La brouille entre la France et le Maroc, provoquée par la convocation le 20 février 2014, par la juge française Sabine Kheris, du chef des renseignements du royaume, Abdellatif Hammouchi, pour des allégations de torture, est aujourd’hui dissipée. Paris a accepté d’accéder aux demandes de Rabat et proposé la modification de la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays, afin qu’un tel "incident" ne se reproduise plus.

Le Parlement devrait bientôt se prononcer sur le texte – et il y a peu de risques qu’il soit rejeté, vu que la majorité de gauche et l’opposition de droite souhaitent que ce contentieux soit soldé au plus vite. Il n’empêche. Il aura fallu près d’un an de crise, et une multiplication des gestes de mauvaise humeur de la part du Maroc pour que les Français comprennent que quelque chose s’était gravement déréglé dans une relation longtemps qualifiée d’exceptionnelle.

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Le roi Mohammed VI en avait fait une affaire de principe. Contrairement à ses deux prédécesseurs gaullistes, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, François Hollande ne passe pas pour avoir la "fibre marocaine" et connaissait mal le royaume. Néanmoins, même au pire de la crise diplomatique de 2014-2015, les "fondamentaux" n’ont pas été affectés. Le Maroc demeure un allié et un client de la France, qui, de son côté, soutient sans réserve la position de Rabat au Conseil de sécurité dans le dossier du Sahara occidental.

>> À lire aussi : Maroc-France : chronique d’une crise de confiance

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Algérie : Non avare de reconnaissance

Jamais les relations entre la France et l’Algérie n’avaient été si apaisées, hormis durant une brève parenthèse chiraquienne, entre 2002 et 2004 – avant que le Parlement français s’avise de légiférer sur le "rôle positif de la colonisation". François Hollande est pour beaucoup dans cette décrispation. Il entretient avec l’Algérie une relation forte qui obéit à des ressorts intimes et paradoxaux.

Enfant, François assistait à des débats houleux entre son père, partisan de l’Algérie française, et sa mère, de gauche et pour l’indépendance. C’est pourtant Alger qu’il choisit pour faire son stage de l’ENA en 1978. En 2006, alors qu’il est premier secrétaire du Parti socialiste, il y retourne et est reçu pour une audience de trois heures par Abdelaziz Bouteflika, qui apprend alors à l’apprécier.

Quatre ans plus tard, les deux hommes se voient de nouveau à Alger. Hollande y rencontre aussi l’ancien président – et héros de l’indépendance – Ahmed Ben Bella. Enfin, il réserve au pays sa première visite d’État au Maghreb, en décembre 2012. Le chef de l’État français est en phase avec les Algériens sur les sujets mémoriels, d’habitude si épineux.

Il reconnaît volontiers "les souffrances de la colonisation", mais aussi le crime qu’a représenté la sanglante répression de la manifestation des Algériens à Paris, le 17 octobre 1961. Récemment, il a dépêché son secrétaire d’État aux Anciens combattants à Sétif, dans le cadre de la célébration des massacres du 8 mai 1945, qui endeuillèrent cette ville, Guelma et Kherrata (au moins 8 000 morts).

Du coup, les ministres français défilent à Alger, et la diplomatie algérienne, d’ordinaire si abrasive à l’endroit de l’ancienne puissance coloniale, fait preuve d’une retenue remarquable. Le pays, pourtant allergique aux interventions étrangères sur le continent africain, a ainsi autorisé, en janvier 2013, les avions français participant à la guerre au Mali à survoler son territoire. Une nouvelle visite de François Hollande est prévue le 15 juin.

Tunisie : "Nous sommes démocratie"

Aux côtés de la Tunisie pour l’aider à surmonter les défis de la transition démocratique, la France n’a pas dévié du cap fixé par François Hollande au lendemain de son élection. Cette sollicitude voulue s’est traduite par un fort soutien politique aux moments cruciaux.

Le président français s’est rendu à Tunis à trois reprises en trois ans : une première fois en juillet 2013, pour porter un "message d’encouragement" alors que l’Égypte basculait sous la férule du maréchal Abdel Fattah al-Sissi ; une deuxième fois après le vote de la Constitution, en février 2014 ; et, le 29 mars dernier, pour participer à la marche contre le terrorisme après l’attentat du musée du Bardo.

Paris, qui avait témoigné d’une réelle connivence avec le régime de Ben Ali, avait beaucoup à se faire pardonner. En croyant bien faire, le président Hollande en a-t-il fait trop ? Dans le camp des Tunisiens modernistes, beaucoup ont eu le sentiment que la France officielle privilégiait le dialogue avec les islamistes et leurs alliés. Les analystes de l’Élysée et du Quai d’Orsay ont-ils cru que les islamistes seraient au pouvoir pour très longtemps en Tunisie ?

La France, qui a déroulé le tapis rouge à Béji Caïd Essebsi lors de sa visite d’État, à Paris, les 7 et 8 avril (alors qu’elle semblait pencher pour Moncef Marzouki lors de la présidentielle), a corrigé le tir et dissipé les malentendus. Les deux pays ont réussi à établir des rapports "de démocratie à démocratie". Une ombre dans ce tableau idyllique : l’aide économique française, qui demeure trop modeste…

Égypte : Un amour de Sissi

"Il y a une vraie histoire d’amour entre Hollande et Sissi ! Et le pouvoir égyptien est reconnaissant à la France de n’avoir jamais qualifié la destitution du président islamiste Morsi en juillet 2013 de "coup d’État »", explique le politologue égyptien Tewfik Aclimandos. La signature, le 16 février au Caire, de la première vente à l’exportation du Rafale français a été le moment intense de l’idylle et, confirme l’ambassadeur d’Égypte à Paris, les ­avions de combat livrés par la France seront en vedette lors de l’inauguration de la nouvelle voie du canal de Suez, prévue le 4 août.

La présence souhaitée de François Hollande n’y sera pas sans rappeler celle de l’impératrice Eugénie pour l’ouverture du premier canal, il y a 146 ans. Mais les ONG militantes des droits de l’homme s’interrogent : comment peut-on vendre des Rafale à un autocrate en puissance et vouloir bombarder en Syrie un tyran en action ? En coulisses, les choses auraient en effet été plus tiraillées du côté d’une diplomatie française déboussolée par le Printemps arabe et partagée entre pro-islamistes modérés et anti-islamistes.

"Ainsi, la demande conjointe franco-britannique de réunir le Conseil de sécurité le 15 août 2013 à la suite de la répression féroce des islamistes en Égypte a été fort mal reçue au Caire", tempère Aclimandos. Autre reproche égyptien à l’Hexagone : le bombardement du "Guide" et l’absence de suivi après son élimination sont perçues comme responsables du chaos. Mais la visite à Paris du maréchal Sissi en novembre 2014 puis celle de son Premier ministre du 11 au 13 mai ont prolongé la lune de miel entre Hollande et Le Caire.

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