Diplomatie : Hollande l’Africain, entre cynisme et réalisme
Trois ans après son élection, le président français s’est familiarisé avec un continent qu’il connaissait mal. Plus discret qu’à ses débuts dans ses relations avec les chefs d’État, il prône la transparence, mais le pragmatisme s’est invité au fil des crises qu’il a dû gérer.
Hollande l’Africain
Trois ans après son élection, le président français s’est familiarisé avec un continent qu’il connaissait mal. Plus discret qu’à ses débuts dans ses relations avec les chefs d’État, il prône la transparence, mais le pragmatisme s’est invité au fil des crises qu’il a dû gérer.
La question a fusé, telle une roquette tirée en plein milieu de la nuit, et François Hollande, à la tribune, semble en avoir perdu son latin. Comme son hôte d’ailleurs, Idriss Déby Itno, plus ulcéré, lui, que décontenancé. Elle est venue d’un journaliste qui venait d’évoquer le cas de l’opposant tchadien disparu en 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh : « Monsieur Hollande, l’opération Barkhane va-t-elle se faire au détriment des droits de l’homme ? »
En ce 19 juillet 2014, Hollande en finit avec sa virée africaine de trois jours. Après Abidjan et Niamey, N’Djamena. Cette étape-là n’était pas prévue, mais Déby y tenait, et depuis quelque temps on ne peut rien lui refuser à Paris. Au micro, le président français, pourtant connu pour se tirer avec brio (et humour) des mauvais pas, embrouille l’assistance. Ce n’est pas toujours simple, pour un président français, d’assumer sa politique africaine. Surtout s’il vient du camp de la rose. À en croire son entourage, Hollande n’a pas varié sa « ligne africaine » depuis son élection, il y a tout juste trois ans : « Même doctrine, mêmes méthodes, mêmes thématiques. » Un peu diluées, tout de même, et assaisonnées d’une bonne dose de realpolitik. Les opérations militaires au Mali et en Centrafrique l’ont obligé à infléchir ses principes.
Glacial
Hollande ne referait certainement pas aujourd’hui le « coup » de Kinshasa, quand, quelques mois à peine après son élection, en octobre 2012, il avait, à l’occasion du 14e sommet de la Francophonie, admonesté Joseph Kabila, le président de la République démocratique du Congo – son hôte. Critiques publiques (la situation en RD Congo est « tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition »), poignée de main fraîche et furtive en ouverture du sommet, rencontres avec des opposants… Il avait aussi battu froid d’autres membres controversés du syndicat des chefs d’État : Denis Sassou Nguesso, Paul Biya, Ali Bongo Ondimba. Idriss Déby Itno avait préféré ne pas faire le déplacement. « Notre ligne n’est pas de rompre, mais nous ne leur déroulerons pas le tapis rouge », expliquait-on alors au Quai d’Orsay.
Depuis, il y a eu Serval au Mali, Sangaris en Centrafrique, il y a Boko Haram au Nigeria, le chaos libyen… Certes, contrairement aux opérations engagées par Sarkozy en 2011, en Côte d’Ivoire et en Libye, les guerres menées par Hollande ont reçu l’approbation de la plupart des pays africains et le soutien de l’Union africaine. Mais elles ont considérablement modifié le paysage du village franco-africain.
>> À voir : Carte interactive des interventions françaises en Afrique
Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, un ami de trente ans de Hollande, a profité du vide laissé par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, plus intéressé par « les grands enjeux » syriens et ukrainiens. Il est aujourd’hui le véritable « ministre de l’Afrique ». Hollande, contraint (plus que désireux) de refaire de la France « le gendarme de l’Afrique », a appris de son côté à revoir ses positions et à ménager ses alliés. Les mains, il les serre désormais franchement. Les dérives, il ne les aborde plus publiquement. Et les opposants, il ne les voit plus guère. Lors de sa virée africaine du mois de juillet 2014, des membres de la société civile à Niamey, qui projetaient de manifester lors de son arrivée, ont été arrêtés au coeur de la nuit et placés en garde à vue (avant d’être relâchés sans être poursuivis) : il n’en dira mot.
Exigences
Cynisme ? Réalisme, rétorquent ses amis, ce qui revient souvent au même. « Hollande est très pragmatique, sur l’Afrique comme sur le reste, note l’un de ses conseillers. Mais s’il a évolué, c’est plus sur la forme que sur le fond. » Au « ni ingérence ni indifférence » de Lionel Jospin, le véritable fossoyeur de la Françafrique, Hollande préfère ce slogan : « Pas d’ingérence mais des exigences ». « On ne s’interdit rien, mais on y met la forme », résume un membre de son cabinet. De fait, à chacun de ses discours consacrés au continent, Hollande en remet une couche. Comme lors du dernier sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), à Dakar, il y a six mois, peu de temps après la chute de Blaise Compaoré, et sous le regard de Denis Sassou Nguesso, de Joseph Kabila et de Pierre Nkurunziza : « Ce qu’a fait le peuple burkinabè doit faire réfléchir ceux qui voudraient se maintenir à la tête de leur pays en violant l’ordre constitutionnel. Parce que ce sont les peuples qui décident. »
Son entourage se plaît aussi à citer la lettre envoyée le 7 octobre à Compaoré le mettant en garde contre sa volonté de modifier la Constitution et lui proposant tout son soutien pour se recycler ailleurs. Mais, à Ouagadougou, la publication de cette lettre sur le site de Jeune Afrique a fait sourire plusieurs diplomates non français. « La France a attendu le dernier moment pour avertir Blaise », souligne l’un d’eux. Les Américains, notamment, s’y étaient attelés plus tôt. Au Quai d’Orsay, on appelle cela la « diplomatie à bas bruit ». C’est en restant discret que Hollande a obtenu de Paul Biya qu’il s’engage enfin à combattre Boko Haram. Dans la discrétion encore, la France est intervenue pour obtenir la libération de Thierry Michel Atangana au Cameroun (après dix-sept ans de prison), ainsi que celle du militant mauritanien des droits de l’homme Mohamed Lemine Ould Dadde. « Le minimum syndical », déplore un militant de la société civile d’un pays du Sahel, qui regrette que « Hollande emprunte le même chemin que ses prédécesseurs. » Sa mue n’a pourtant rien à voir avec le spectaculaire revirement de François Mitterrand, qui avait vite cédé aux sirènes des réseaux opaques dans les années 1980, ou avec les faux-semblants de Nicolas Sarkozy. Quand il s’installe à l’Élysée, le Corrézien ne connaît rien, ou presque, au continent. « Quand on est arrivés, il y avait deux dossiers diplomatiques sur la table : la Syrie et le Mali », confie l’un de ses conseillers. Durant les premiers mois, Hollande reçoit, beaucoup et longtemps (les entretiens peuvent durer une heure, quand Sarkozy les ficelait parfois en quelques minutes). Depuis trois ans, il a multiplié les déplacements. Une vingtaine en tout. Le Drian, lui, ne les compte plus.
Passé
Dès le début, Hollande a une idée assez précise de ce qu’il veut faire : en finir avec les intermédiaires, les réseaux, et « ces rapports de domination, d’influence et d’affairisme » ; faire confiance aux Africains « pour régler les questions qui les concernent directement » ; et renforcer la diplomatie économique chère à Fabius ainsi que l’aide au développement. Si l’on excepte ce dernier point, il s’y est tenu.
On ne verra plus un Claude Guéant ou un Robert Bourgi s’accaparer des dossiers africains ou parler au nom du président. Au ministère de la Coopération, qui est devenu celui du Développement et qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il fut pendant quatre décennies, il y a d’abord eu Pascal Canfin, un écologiste qui n’a jamais caché sa volonté d’en finir avec les pratiques du passé, puis Annick Girardin, qui ne connaissait rien à l’Afrique. À la cellule Afrique de l’Élysée, désormais placée sous la tutelle de Jacques Audibert, conseiller diplomatique du président : Hélène Le Gal, une diplomate très peu portée sur la connivence, et Thomas Mélonio, un ancien de l’Agence française de développement, le « Monsieur Afrique » du PS qui a fait du renouveau des relations franco-africaines son totem. Ces deux-là reçoivent beaucoup au 2, Rue de l’Élysée. Ils assistent le chef lorsqu’il prend un homologue africain au téléphone, ce qui est arrivé très souvent depuis trois ans, surtout lors des montées de température, au Mali, en Centrafrique ou au Burkina. Ils lui rédigent des tas de notes, et se déplacent beaucoup : Le Gal a suivi de très près les négociations intermaliennes à Alger. Mais hors de question de recevoir un chef d’État ou d’outrepasser leurs prérogatives. « Le Gal ne prendra pas le risque de parler au nom du président, jamais elle ne fera copain copain », assure un ministre africain qui l’a souvent côtoyée.
Cette « souplesse rigide », selon les termes d’un conseiller, séduit la nouvelle génération de chefs d’État, qui y voient là une évolution positive.
Génération
Est-ce cela, la « normalisation » ? Quand il reçoit un chef d’État, ou quand il le prend au bout du fil, cela fait (presque) toujours l’objet d’un communiqué. Il arrive cependant que Hollande passe des coups de fil discrets et improvisés, parfois en présence d’un chef d’État africain, pour faire passer un message ou lever un malentendu.
Cette « souplesse rigide », selon les termes d’un conseiller, séduit la nouvelle génération de chefs d’État, qui y voient là une évolution positive (« la fin d’un paternalisme suranné », dit un conseiller de l’un d’eux).
Elle a, selon son entourage, permis à Hollande de gagner le respect de ses homologues. « Il a tout de même été invité au sommet de l’Union africaine en 2013 [à l’occasion des 50 ans de l’organisation], rappelle l’un de ses conseillers. Ce n’est pas rien pour le président d’une ancienne puissance coloniale. Il a aussi été invité au Nigeria et en Afrique du Sud. On est loin du pré carré… »
Mais la méthode désoriente les plus anciens. « Ça ne fonctionne pas comme ça en Afrique, déplore un proche d’un chef d’État de l’Afrique centrale. Refuser la diplomatie parallèle et la camaraderie, c’est une erreur. » « C’est faire preuve de naïveté que de refuser l’opacité et les missi dominici, estime un diplomate à la retraite proche de la droite. Sans ça, on ne résout rien, on n’arrive à rien. »
Des critiques (d’une autre nature) émanent de son propre camp. Le député des Français établis en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, Pouria Amirshahi – un socialiste -, reconnaît des avancées et met au crédit de Hollande son sens de l’éthique, mais déplore « la prédominance de l’armée » et l’absence « d’une stratégie de codéveloppement ».
Un rapport parlementaire publié ces derniers jours établit le même constat. « On peut considérer que la realpolitik nous conduit aujourd’hui à des fréquentations africaines qu’on aurait vues naguère avec réticence », peut-on aussi y lire.
Jugé trop critique, ce rapport a été expurgé de certains passages à la demande d’Élisabeth Guigou, la présidente de la commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale – une figure du PS. Il s’agissait de ne pas écorner l’image de la France à l’étranger, mais aussi de ne pas désobliger un certain nombre de chefs d’État, dont Paul Biya. Un vieil ami un temps infréquentable qui, lui aussi, à force de services rendus, a retrouvé du crédit au fil des mois.
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Trois ans après son élection, le président français s’est familiarisé avec un continent qu’il connaissait mal. Plus discret qu’à ses débuts dans ses relations avec les chefs d’État, il prône la transparence, mais le pragmatisme s’est invité au fil des crises qu’il a dû gérer.
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