Témoignage : Shmuel et Daniella, soldats falashas en Israël, plus forts que le racisme
Ils sont frère et sœur et portent l’uniforme de la marine israélienne. Celui de Shmuel, 22 ans, est beige car il est officier. Celui de Daniella, jeune caporale de 19 ans, encore blanc, mais elle rêve de suivre les traces de son aîné. Sans avoir eu la même expérience du racisme, tous deux soutiennent le mouvement de protestation des jeunes Éthiopiens.
Les manifestations sont pour le moment suspendues car les responsables de la communauté falasha attendent des actes du gouvernement israélien. Les 30 avril et 3 mai derniers, des rassemblements avait dégénéré en plein cœur de Jérusalem et de Tel Aviv, occasionnant de violentes échauffourées avec la police dont la foule était précisément venue dénoncer le comportement raciste.
Quelques jours auparavant, c’est la large diffusion dans la presse israélienne et sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant deux policiers en train de molester Damas Pakada, un soldat d’origine éthiopienne, qui avait suscité la colère d’une communauté comptant 120 000 personnes recensées.
Depuis, les autorités ont réagi. À Jérusalem, le jeune militaire a été reçu en personne par Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, qui a promis des sanctions contre ses agresseurs. De son coté, le président d’Israël, Reuven Rivlin, a reconnu que les juifs d’origine éthiopienne avaient été négligés : "Nous avons fait des erreurs, nous avons occulté, nous n’avons pas été assez à l’écoute."
L’armée israélienne, vecteur d’intégration sociale, a mis en place le programme Amir pour rehausser le niveau et les aptitudes des jeunes recrues éthiopiennes. "C’est une honte, un déshonneur, et un certificat de pauvreté", s’est récemment indignée l’ancienne députée Penina Tamano-Shata, elle aussi d’origine falasha. Pourtant, un tiers des membres de cette communauté finissent dans les prisons militaires, tandis qu’en dehors de l’armée, 40% des mineurs emprisonnés sont d’origine éthiopienne.
Daniella Siem a rejoint la marine israélienne en août 2014. © DR/Armée israélienne
Jeune Afrique a rencontré Shmuel et Daniella Siem, deux soldats qui, tout en étant bien intégrés, restent sensibles au sort difficile de la plupart des membres leur communauté. Voici leur histoire et leur témoignage.
D’Addis Abeba à Tel Aviv
Shmuel est le premier à parler : "Nos parents ont immigré en Israël en 1984, dans le cadre de l’"opération Moïse" – organisée clandestinement par le Mossad et des commandos israéliens, elle a permis l’exfiltration au Soudan de 8 000 Falashas qui ont ensuite été acheminés vers Tel Aviv. Notre mère, Meital, n’a que 12 ans à l’époque et notre père, Abraham, est de cinq ans son ainé. Tous deux sont originaires de la province d’Addis Abeba. Notre mère a fait des études agricoles à l’école Mikvé Israël – un établissement fondé en 1870 à l’est de Jaffa – et notre père s’est directement enrôlé dans le corps de blindés de l’armée israélienne. Nos parents se sont mariés quelques années plus tard et je crois qu’à l’inverse de nombreux immigrants éthiopiens, ils se sont parfaitement intégrés. On ne peut pas nier les difficultés qu’endure notre communauté, mais c’est comme partout, il y a toujours ceux qui réussissent et ceux qui échouent.
"On a reçu une éducation sioniste, fondée sur l’amour de notre pays d’accueil, souligne Daniella. J’ai effectué ma scolarité dans une école de Jaffa, qui est aujourd’hui rattachée à la municipalité de Tel Aviv. Et c’est au lycée ORT Milton que j’ai décidé qu’après mon bac, je rejoindrai la marine israélienne. C’est chose faite depuis août 2014".
Dans l’armée
"Nos parents nous soutiennent et c’est toujours un plaisir de rentrer à la maison le week-end, ce qui arrive une fois tous les quinze jours, poursuit Daniella. Je sers actuellement dans la base navale de Rosh Hanikra, à la frontière libanaise. "
"Moi, je vois tout ce qu’elle fait et sait tout ce qui ce passe dans son secteur, affirme Shmuel. Je sers dans la salle des opérations de Tsahal, à la Kyria de Tel Aviv, le quartier général de l’armée israélienne. On appelle cet endroit le Bor (trou, en français) car nous travaillons à plusieurs dizaines de mètres sous terre. Ma mission, c’est de surveiller les eaux territoriales israéliennes et aussi, ce qui se passe au-delà, à titre préventif. Il faut beaucoup de concentration au quotidien. Quand je sors à l’extérieur, il m’arrive d’être ébloui de longues minutes par le soleil.
Shmuel Siem sort rarement quartier général de l’armée israélienne, à Tel Aviv. © DR/Armée israélienne
Le racisme anti-falasha
À l’armée on n’échappe pas au racisme, reconnaît Shmuel. Il y a des remarques, des réflexions qui ne sont pas très agréables à entendre. Malheureusement, c’est une norme, et dans le fond, il n’y a pas qu’en Israël que ce phénomène existe."
"Me concernant, j’ai peut être eu de la chance, mais je n’ai pas réellement été confrontée au racisme, explique Daniella. L’armée israélienne, il faut bien comprendre que c’est un melting-pot. On y retrouve toutes les couches de la société, les pauvres comme les minorités dont nous faisons partie. Je crois, en revanche, qu’il faut continuer à se battre pour revendiquer plus d’égalité. Il est clair que moi et mon frère sommes plus sensibles à ces questions."
"Le mouvement de colère de notre communauté, on le soutient, c’est évident, renchérit Shmuel. Ceci dit, je ne m’identifie que partiellement à cette lutte car l’emploi de la violence par certains manifestants me pose problème."
>> Découvrir aussi notre diaporama sonore : Titi, reine de beauté falasha en Israël
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