Niger : quand la lutte contre Boko Haram menace la liberté d’expression
Moussa Tchangari, l’un des leaders de la société civile, a été libéré mercredi 27 mai après dix jours de détention. Son tort : avoir critiqué l’évacuation par les autorités des réfugiés du lac Tchad, une zone infiltrée par Boko Haram. Comme lui, de nombreux défenseurs des droits de l’homme sont harcelés par les autorités en vertu de la loi antiterroriste.
Évoquer la lutte contre Boko Haram au Niger mène-t-il directement à la case prison ? C’est ce que pensent les acteurs des mouvements citoyens, qui accusent les autorités de vouloir faire taire toute voix dissonante sur le sujet.
Preuve en est, selon eux, de l’interpellation de Moussa Tchangari, secrétaire général de l’ONG "Alternative Espaces Citoyens Niger", libéré mercredi 27 mai. Arrêté le 18 mai par la cellule anti-terroriste de la police de Niamey, Moussa Tchangari s’est dans un premier temps vu accuser d"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", c’est à dire avec Boko Haram.
Accusé de démoraliser l’armée
En cause, un rapport publié par son ONG sur le déplacement de quelque 25 000 personnes début mai des îles du lac Tchad, infiltrées par Boko Haram. Moussa Tchangari, auteur du texte, évoquait une expulsion des habitants sans politique d’accueil prévue à l’arrivée. Selon lui, plusieurs réfugiés seraient morts lors de ce périple éprouvant. Des conclusions que Moussa Tchangari réitérait quelques jours plus tard, dans une interview accordée en haoussa à RFI.
Peu après, il était interpellé par la cellule antiterroriste. Libéré dix jours plus tard, Moussa Tchangari est toutefois inculpé : la justice lui reproche désormais "une atteinte à la défense nationale" mais aussi d’avoir tenu "des propos de nature à démoraliser l’armée".
"Notre travail gêne les autorités"
La situation difficile des réfugiés est pourtant reconnue par Niamey. En déplacement dans la région début mai, le Premier ministre avait lui-même fustigé la gestion de ces déplacements de population par les autorités locales.
"Mais visiblement, notre travail gêne les autorités", constate Moussa Tchangari, contacté par Jeune Afrique. "Nous faisons un travail de suivi des droits humains dans la région du lac Tchad, où Boko Haram sévit et où les forces armées ont été déployées dans le cadre de l’État d’urgence. Le Niger a beau être en guerre, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les exactions commises de part et d’autres", poursuit-il.
Plusieurs personnalités de la société civile arrêtées
"C’est grave, le gouvernement donne un signal clair montrant qu’ils ne veulent pas que nous fassions notre travail. Il essaie de nous faire taire", assure Moussa Tchangari. Si ses dix jours de détention ont rendu son cas médiatique, il n’est pas le seul à avoir été arrêté ces derniers jours.
Ali Idrissa, coordinateur du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (Rotab), a lui aussi déjà été conduit au poste. Contacté par Jeune Afrique, ce dernier dit avoir déjà été arrêté trois fois ces derniers mois, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui. "C’est de l’intimidation", assure-t-il. "Je suis membre de la société civile : je ne suis ni dans l’opposition, ni du coté du pouvoir. La Constitution nous donne le droit de nous exprimer, nous devrions pouvoir le faire", ajoute Ali Idrissa.
La liberté d’expression muselée ?
De "l’intimidation" aussi pour Nouhou Mahamadou Arzik, coordinateur du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable (MPCR). Ce dernier, arrêté vendredi 22 mai et libéré mercredi dernier, est également accusé de démoraliser les troupes nigériennes.
En cause, une interview accordée à un média local, pendant laquelle il réagissait à l’arrestation de Moussa Tchangari, et demandait au gouvernement de fournir plus de moyens à l’armée. "J’ai été arrêté pour ça", souligne Nouhou Mahamadou Arzik à Jeune Afrique. "C’est une façon de nous priver de notre liberté d’expression. Si on critique la manière dont le Niger se comporte en temps de guerre, on peut désormais être considéré comme ennemi de l’État", déplore-t-il.
L’arsenal législatif anti-terroriste jugé "liberticide"
Des inculpations permises, dans certains cas, en vertu de la loi anti-terroriste. "Cette loi est liberticide", estime l’un des avocats de Moussa Tchangari, maître Oumarou. "Elle ouvre la porte à certains abus, comme la limitation de la liberté d’expression ou encore l’arrestation de manifestants pouvant ensuite être qualifiés de terroristes", ajoute l’avocat.
Malgré le climat délétère, Moussa Tchangari reste droit dans ses bottes. "Je suis déjà au bureau pour continuer mon travail", assure celui qui était encore détenu il y a deux jours. Preuve que la société civile ne compte pas se taire, Moussa Tchangari promet que si la situation perdure, des manifestations auront lieu à Niamey et dans le reste du pays dès le 2 juin prochain.
>> Lire aussi : Mouvements citoyens africains : qui sont ces jeunes leaders qui font du bruit ?
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